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« Sur la Côte basque, tension foncière et immobilière à tous les niveaux » (Peio Etcheverry-Ainchart)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°202397 - Publié le 11/12/2020 à 12:15
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Peio Etcheverry-Ainchart - ©  D.R.

« Qu’est-ce qu’une politique du logement ambitieuse, juste et écoresponsable ? » Formulé ainsi, le thème des entretiens d’Inxauseta 2020 pose problème. Depuis que l’Humanité a commencé à réfléchir sur sa condition -il y a quelque temps déjà- elle n’est jamais parvenue à donner une définition philosophique consensuelle aux concepts de « justice » et de « responsabilité » (encore moins « d’éco-responsabilité », très récemment apparu). Selon son inclination politique, plus ou moins à gauche ou à droite, les points de vue s’en trouveront divers et même opposés. Quant à l’ambition érigée en vertu politique, convenons que chacun en drape ses propres idées avec la même force de conviction qu’il la dénie à celles de ses concurrents, écrit Peio Etcheverry-Ainchart Conseiller municipal @ Ville de Saint-Jean-de-Luz
, historien, écrivain, éditeur et conseiller municipal (liste Herri Berri) à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), dans une tribune adressée à News Tank, le 09/12/2020.

L’on me permettra d’évoquer un cas local pour illustrer cet enjeu du marché. Sur la Côte basque où je réside, la tension foncière et immobilière, notamment générée par l’attractivité touristique, pèse à tous les niveaux. Je me limiterai à 2 exemples. Au plan purement statistique, il y aurait largement assez de logements existants pour loger la population actuelle et celles qui souhaiteraient s’installer. Mais, du fait de la part énorme de résidences secondaires (jusqu’à 50 % dans certaines communes), un manque apparaît, entraînant un effet haussier sur les prix d’une part, et d’autre part la nécessité très antiécologique de devoir construire toujours plus de nouveaux logements.

Voici la tribune de Peio Etcheverry-Ainchart.


Des concepts inatteignables

Qu’est-ce qu’une politique du logement ambitieuse, juste et écoresponsable ? » Formulé ainsi, le thème des derniers entretiens d’Inxauseta pose problème. Depuis que l’Humanité a commencé à réfléchir sur sa condition - donc il y a quelque temps déjà -elle n’est jamais parvenue à donner une définition philosophique consensuelle aux concepts de « justice » et de « responsabilité » (encore moins « d’éco-responsabilité », très récemment apparu). Selon son inclination politique, plus ou moins à gauche ou à droite, les points de vue s’en trouveront divers et même opposés. Quant à l’ambition érigée en vertu politique, convenons que chacun en drape ses propres idées avec la même force de conviction qu’il la dénie à celles de ses concurrents.

Dans l’absence d’outils de mesure objective de ces concepts, les décliner -a fortiori collectivement- au domaine du logement s’apparente à une gageure, ce domaine précis représentant l’une des dimensions les plus essentielles d’une vie humaine (au Moyen-Âge, le logement était déjà considéré avec l’alimentation et l’habillement comme le 3e élément du triptyque vital ou primum vivere). Et lorsqu’un besoin vital fait l’objet d’un marché aussi tendu que celui du logement, générant un niveau aussi élevé d’inégalités sociales ou d’impacts environnementaux mais aussi un niveau aussi élevé de profits potentiels, c’est la question de l’attitude « juste » et « (éco)-responsable » à adopter face à ce marché qui se pose inévitablement au politique.

Les dérives du marché libre

L’on me permettra d’évoquer un cas local pour illustrer cet enjeu du marché. Sur la Côte basque où je réside, la tension foncière et immobilière, notamment générée par l’attractivité touristique, pèse à tous les niveaux. Je me limiterai à 2 exemples.

Au plan purement statistique, il y aurait largement assez de logements existants pour loger la population actuelle et celles qui souhaiteraient s’installer ; mais, du fait de la part énorme de résidences secondaires (jusqu’à 50 % dans certaines communes) un manque apparaît, entraînant un effet haussier sur les prix d’une part, et d’autre part la nécessité très antiécologique de devoir construire toujours plus de nouveaux logements. Certes, la hausse des prix n’incombe pas entièrement au phénomène de villégiature, mais ce dernier pèse à un tel point qu’il a récemment fait l’objet d’une mesure fiscale.

Le domaine du logement social est lui aussi impacté, l’accession sociale à la propriété connaissant notamment la dérive suivante : dix ans à peine après avoir bénéficié de l’effort public, les nouveaux propriétaires revendent leur bien au prix fort, ayant parfois purement et simplement prémédité l’effet d’aubaine. Au-delà de la « culbute » effectuée, l’important ici est qu’un logement créé pour être « accessible » perd sa dimension initiale et entre dans le circuit spéculatif classique. Est-il alors « juste », « responsable » et « ambitieux » de chercher à mieux encadrer ce phénomène ?

Vain si l’on n’agit pas directement sur le symptôme

Ces 2 exemples sont loin d’être les seuls, mais suffisent à évoquer un constat alarmant : dans trop de territoires dits « tendus » de l’Hexagone et à tous les stades du parcours résidentiel classique, du fait du niveau des prix en locatif comme en accession une part de plus en plus importante de la population se trouve fragilisée voire carrément exclue. Face à cette situation, les politiques publiques ont été actives et parfois imaginatives, mais visiblement pas assez pour résoudre le problème. On pourra toujours continuer à compléter le dispositif législatif à la marge, mais j’ai peur que cela reste vain si l’on n’agit pas directement sur le symptôme, les prix, que tout le monde y compris les élus et les professionnels s’accorde à qualifier à certains endroits « d’indécents ».

Le niveau des prix de l’immobilier est en grande partie lié au déséquilibre entre l’offre et la demande. Or, si les velléités d’agir sur l’offre sont constamment réitérées, les résultats sont invariablement insuffisants et par ailleurs problématiques au plan écologique, car trop fondés sur des extensions de l’urbanisation. Quant à la demande, elle n’est pas près de baisser. Faute de ne pouvoir peser efficacement ni sur l’une ni sur l’autre, c’est bien sur les prix qu’il faut agir et donc fatalement impacter le droit de propriété.

Encadrer les prix en zones tendues

Que l’on se rassure, je n’ai rien d’un bolchévique et mon propos n’a pas pour but de remettre en cause le droit de propriété. Il s’agit par contre de se demander si le logement doit toujours être considéré comme un bien marchand parmi d’autres, ou s’il est légitime de l’élever à un niveau justifiant qu’on encadre plus fortement son marché.

Cela ne me paraîtrait pas si nouveau. Considérons donc le droit de propriété, dont on sait qu’il recouvre 3 dimensions. L’usus, ou droit d’utiliser son bien comme on l’entend ; à mon sens il est déjà encadré, ne serait-ce que, pour reprendre un exemple déjà évoqué, par la possibilité de surtaxer les biens occupés au titre de résidence secondaire. Le fructus, ou droit pour le propriétaire de disposer des fruits de son bien, par exemple en le louant. Là encore, l’encadrement des loyers dans certaines communautés urbaines participe de cette même logique. Reste l’abusus, qui représente essentiellement la capacité pour le propriétaire de vendre son bien à un tiers.

Loi organique de 1999

Ce sont les vertigineuses dérives des prix du foncier et de l’immobilier qu’il conviendrait d’encadrer. Je ne cache pas que l’idéal à mes yeux serait par exemple d’aller jusqu’à envisager -dans les zones tendues- des barèmes de prix maximum du m2, ne pouvant évoluer à la hausse que par indexation sur l’inflation. Scandaleux ? Pas tant que cela, quand on rappelle qu’une mesure à peu près équivalente est déjà prévue dans le cadre de dispositifs tels que le bail réel solidaire, voire qu’en Nouvelle-Calédonie, la règle des « 4 i » de la loi organique de 1999 sanctuarise purement et simplement les terres coutumières de manière imprescriptible. Mais à défaut de cela, une bien plus forte imposition de la plus-value serait un minimum nécessaire, jusqu’à des niveaux et une durée rendant vain tout excès.

Encadrer la liberté des prix du logement susciterait évidemment un débat constitutionnel. Cela aurait la vertu d’entraîner en filigrane celui du statut particulier ou pas du logement dans la société, et induirait à coup sûr celui de la définition d’une politique « ambitieuse », « juste » et « (éco)responsable »… Mais, pour conclure en évoquant un autre domaine il est vrai fort distinct, au nom de l’urgente nécessité de sauvetage des librairies indépendantes la loi Lang n’était-elle pas allée jusqu’à établir un régime de prix unique du livre ?

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. L'édition 2020 a eu lieu le 28/08/2020 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques). Il est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Peio Etcheverry-Ainchart


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Éditions Elkar
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IUT des Pays de l’Adour
Enseignant

Fiche n° 42202, créée le 11/12/2020 à 10:47 - MàJ le 11/12/2020 à 11:16

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