Demandez votre abonnement gratuit d'un mois !

Architecture élémentaire : réinterroger la notion de confort et d’espace (C. Latieule, architecte)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°290579 - Publié le 02/06/2023 à 18:00
- +
©  D.R.
Clément Latieule, architecte - ©  D.R.

Nos logements sont devenus gourmands en énergie. Notre mode de vie et nos habitudes n’y sont pas pour rien. Jusqu’au XIXe siècle, notre rapport au monde était beaucoup plus fataliste qu’aujourd’hui, la contrainte géographique, environnementale ou spatiale, régissaient les modes de vie et l’Homme devait nécessairement adapter sa capacité d’action. Cette condition nouvelle de frugalité et de décroissance progressive ne doit pas être perçue comme une régression mais plutôt comme une opportunité de retrouver du sens. Il ne s’agit pas de limiter la capacité d’action mais bien de réinterroger la notion de confort et d’espace, écrit Clément Latieule, architecte associé au sein de l’agence Leibar Seigneurin à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), dans une tribune adressée à News Tank le 02/06/2023.

Voici la tribune de Clément Latieule contributeur en 2023 de la publication « Point de vue et Recherche » (dénommée L’a Revue) de l’Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées • Agence d’urbanisme Atlantique & Pyrénées Création : 1998 Statut : association loi 1901 Missions : intervient comme outil d’aide à la décision publique dans les champs de l’urbanisme, de… avec « Entre nos mains, le feu » à propos du feu foyer, le logement, qui joue la carte de l’adaptation face aux transitions écologiques, énergétiques et sociétales.


« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs »

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». La phrase de Jean-Paul Deléage dans l’Histoire de l’écologie rendue célèbre lors de l’IVe Sommet de la Terre en 2002, lorsque Jacques Chirac la prononça résume encore l’état du monde dans lequel nous évoluons et les manquements d’une société face à l’urgence climatique et énergétique.

Le Feu, nous renvoie inévitablement à la notion d’énergie. Une énergie primaire, à la fois vibrante et chaleureuse, puissante et destructrice. Le feu a permis à l’Homme de se chauffer, de s’adapter et de se créer des conditions de vie « plus agréables » dans des milieux où ce dernier n’aurait pas pu s’adapter autrement. Au fil des siècles, le feu a joué un rôle décisif dans la survie de la civilisation, et ce jusqu’à l’accélération progressive conduisant à l’ère industrielle. Depuis, le feu est en partie tenu pour responsable des dégradations environnementales et énergétiques. La combustion s’est démultipliée, l’énergie des machines a permis des avancées considérables permettant de chauffer tout le monde, de manger à notre faim, de vivre plus longtemps… Cette accélération du monde et cette instantanéité s’applique indéniablement au monde de la construction et par extension au logement. Les architectes ont depuis trop peu de temps pris la mesure des conséquences liées à l’acte de construire et l’empreinte carbone colossale engendrée par l’industrie du bâtiment n’est plus à démontrer.

Clément Latieule a participé à la réalisation de « Point de vue et Recherche » (dénommée L’a Revue) éditée par l’Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées (audap) à propos du feu foyer, le logement, qui joue la carte de l’adaptation face aux transitions écologiques, énergétiques et sociétales. Après « Sous nos pieds, la terre » en 2022, « Entre nos mains, le feu » en 2023, suivront l’eau et l’air, dans un cycle de réflexions et d’échanges qui ambitionne de revisiter les quatre éléments des philosophes de l’antiquité à l’aune des Transitions et du défi climatique.

Face aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques qui s’offrent à nous, nous avons à cœur de transcrire une posture, la nôtre, qui se veut apaisée et non dogmatique, pessimiste dans l’analyse, mais optimiste dans l’action. Il est parfois nécessaire de faire ce pas de côté, de sortir de la frénésie du quotidien et de chercher à ne pas plonger avec tout le monde, faire preuve de calme et de sagesse.

Aborder les sujets sans préjugés et condamner les réponses génériques où tout le monde devrait penser la même chose au même moment. Notre héritage et nos valeurs nous obligent à une certaine indépendance d’esprit, loin des pensées généralisantes bienpensantes, pour développer les invariants d’une architecture. « Le feu ne sera pas ici le foyer (le lieu du feu dans l’architecture), mais l’énergie de la transformation, la chaleur, le jeu de la matière soumise aux variations de température, la force de la fabrication ou de l’anéantissement, le début et la fin. » (Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu).

Une architecture durable

Il s’agit alors d’être au rendez-vous de l’Histoire, en développant les principes d’une architecture située, responsable et parfaitement adaptée au territoire dans lequel elle s’inscrit. Une architecture véritablement pérenne et durable, qui s’oppose à l’idée d’une architecture recyclable à l’obsolescence programmée où l’on pense à sa déconstruction avant même de l’avoir mise en œuvre.

L’unité et la sobriété forment un tout cohérent »

Nous récupérons une histoire qui vient de loin, qui aborde la tradition avec sérénité, sans le stress de l’hyperactivité, de la quotidienneté et ou la responsabilité culturelle de l’architecture doit nous guider pour renouer avec une histoire commune qui donne du sens à nos quartiers, à nos villes. On ne ressent pas la même émotion dans une rue bordée d’édifices du XVIIIe que dans une ZAC Zone d’aménagement concerté - procédure d’urbanisme qui permet aux collectivités ou aux établissements publics y ayant vocation, de réaliser ou de faire réaliser des opérations d’aménagement urbain . Le chaland ne parcourt pas la ville du XXIe siècle, on y passe, mais on ne s’y attarde pas, on ne s’y émerveille pas. L’architecture y a perdu de sa sincérité, de sa simplicité. Là où chaque bâtiment et, par extension, chaque architecte, cherche à exister, à surpasser, à se différencier des autres, la ville historique comme le centre bourg nous rappelle que l’unité et la sobriété forment un tout cohérent, sensible et serein. C’est cette architecture élémentaire qui nous anime.

« Je continue à chercher dans les choses rudimentaires qui font l’architecture : les matériaux, la construction et les éléments porteurs et portés, le ciel et la terre. Je continue à chercher la confidence en des espaces qui peuvent être de vrais espaces ». (Peter Zumthor, Penser l’architecture)

Renouer avec une architecture de bon sens

Dans ce contexte, notre devoir est de construire un environnement bâti à l’écoute des enjeux environnementaux et adaptés aux besoins de nos concitoyens. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière, mais d’une prise de conscience, celle d’un retour à une architecture simple et intemporelle qui trouve son sens dans le site dans lequel elle s’inscrit. Là où la mondialisation a fait oublier les identités et les singularités territoriales régionales, nous croyons que l’architecture doit revenir à une identité locale.

Nous ne construisons pas de la même manière à Saint-Jean-de-Luz, à Bordeaux ou à Strasbourg. Les spécificités locales doivent être prises en compte et adaptées. La localisation des savoir-faire et des ressources est le point de départ du projet. Il ne s’agit pas de généraliser l’utilisation et la production d’un matériau, mais plutôt de s’adapter à chaque situation, d’accepter qu’un projet a une seule réalité et qu’il n’est pas reproductible. Dès lors, tout est question d’équilibre et de justesse pour renouer avec une architecture de bon sens qui place la matérialité et les systèmes constructifs au cœur de la conception du projet.

La gestion des ressources s’exprime en résonance avec les savoir-faire et les modes constructifs. Loin des dictats d’« architecture écologique », la décarbonisation des bâtiments ne peut pas être qu’une norme applicable et l’addition de procédés technologiques pour répondre favorablement à des calculs thermiques. Nous devons aspirer à retrouver une culture constructive pour que l’architecture s’inscrive à nouveau dans un temps long.

En finir avec la standardisation de l’architecture

Dans son livre Simplifions, l’architecte Bernard Quirot, nous invite à remettre les choix architecturaux au cœur de la transition énergétique et de ses ambitions de réduction de la consommation d’énergie, de production de CO2 Dioxyde de carbone . « Avant de climatiser, de paysager, de donner à nos bâtiments une deuxième peau artificielle, et si pour les rafraîchir en été et les réchauffer en hiver, on reparlait ensemble des épaisseurs des murs, taille des ouvertures, et si on reparlait ensemble choix des matériaux ? » (Bernard Quirot - Simplifions)

Les ressources de notre planète »

Pour en finir avec la standardisation de l’architecture et répondre aux enjeux environnementaux, l’architecture doit viser une forme de permanence et de stabilité en faisant appel à la fois à un vocabulaire simple et éprouvé qui s’appuie sur les notions de bon sens et de culture partagée. La matière devient le ciment de notre territoire. Les ressources de notre planète ne sont pas inépuisables et nos actions ont un impact sur celle-ci. Dès que l’on accepte ces deux postulats, on se doit alors de devenir acteur de ce changement. En effet, l’avenir de notre territoire nous confrontera inexorablement à la baisse de l’approvisionnement en énergie fossile et l’intensification d’une dérive climatique causée par les émissions mondiales.

Face au monde qui vient, fait d’instabilités climatiques et de ressources contraintes, nous avons la responsabilité d’aider et d’orienter les collectivités et les citoyens à transformer les territoires et les bâtiments. Dans cette période d’incertitudes et de fortes tensions, il est donc nécessaire de retrouver de l’intelligence de projet, de sortir des sentiers battus pour imaginer des bâtiments décarbonés, adaptés aux modes de vie émergents.

Améliorer l’état du parc de logement existant

Performances thermiques des logements neufs »

Dos au mur, alors que nous devrions pouvoir compter sur plus d’inventivité, d’ingéniosité pour trouver des solutions innovantes. Les projets se heurtent trop souvent aux réticences vis-à-vis de ce qui sort de la « norme », aux complexités administratives et aux habitudes d’un secteur de la construction qui n’a pas encore totalement saisi l’ampleur du changement en marche. Lorsqu’il s’agit de constructions neuves, la sobriété est de rigueur. Les performances thermiques des logements neufs sont parfaitement adaptées aux enjeux mais le bilan carbone de leur construction est dix fois supérieur à la réhabilitation lourde de bâtiments existants.

La transformation de logements existants est un enjeu considérable, afin d’améliorer l’état du parc de logement existant en ayant un impact carbone minimal. Pour la réhabilitation, l’enjeu est d’améliorer le comportement thermique du bâtiment, que ce soit dans son mode de production de chaleur ou d’enveloppe (isolation, ouvertures, orientations).

Au-delà de la décarbonisation des systèmes de chauffage, souvent présentée comme le seul objectif de ces réhabilitations massives, il est primordial que nous nous emparions de ces projets avec force et volonté pour considérer ces édifices déjà-là et constituer le paysage de demain. La rénovation du logement doit devenir un objet de fierté, qui permettra à chacun de vivre dans un espace confortable, bien ventilé et isolé, pour mettre en accord qualité d’habiter et enjeux environnementaux pour tous. Il s’agit toujours de trouver le juste équilibre entre sobriété, qualité expressive et économie de construction.

Requestionner la notion de confort

Nos logements sont devenus gourmands en énergie. Notre mode de vie et nos habitudes n’y sont pas pour rien. Jusqu’au XIXe siècle, notre rapport au monde était beaucoup plus fataliste. La contrainte géographique, environnementale ou spatiale, régissaient les modes de vie et l’Homme devait nécessairement adapter sa capacité d’action. Cette condition nouvelle de frugalité et de décroissance progressive ne doit pas être perçue comme une régression mais plutôt comme une opportunité de retrouver du sens.

Adaptation en fonction des saisons »

Il ne s’agit pas de limiter la capacité d’action mais bien de réinterroger la notion de confort et d’espace. Nous imaginons proposer des lieux de vie adaptés, des espaces moins énergivores et qui confèrent plus de possibilités que l’appartement ou la maison tels qu’on les connait. Nous imaginons par exemple un logement dont la surface s’adapterait en fonction des saisons. En hiver, le volume chauffé serait réduit à son strict nécessaire : un foyer central de la cellule familiale, qui regroupe la cuisine et un espace de vie très condensé, et des chambres et salles d’eau optimisées. Cela permet de définir une enveloppe thermique minimale avec une cellule de vie d’une qualité de traitement et d’usage entrainant une optimisation des consommations et de la mise en œuvre.

En revanche, en période estivale, le logement peut s’étendre, n’entre dans aucune case : il n’est plus question de T2 ou de T3, mais bel et bien d’un espace à vivre évolutif, où intérieur et extérieur s’entremêlent. Ce travail nous permet de questionner nos modes de vie et nos habitudes de l’espace. Ces dernières décennies le nombre de m² par habitant n’a cessé d’augmenter, c’est un fait qui s’explique à la fois par la diminution de la taille des ménages (moins d’enfants, fragmentation de l’habitat suite à un divorce…), mais également en grande partie par l’amélioration de notre confort et notre cadre de vie. L’humain reste une espèce ubiquiste et en cela, nous trouverons toujours les ressources et les lieux pour initier une volonté de faire changer les choses. La résilience n’étant pas une affaire de capacité individuelle mais une affaire de capacité collective.

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition est prévue le 25/08/2023 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de l’urgence à agir (quelles politiques du logement et du foncier). Jean-Luc Berho est président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées (AUDAP)

• Agence d’urbanisme Atlantique & Pyrénées
Création : 1998
Statut : association loi 1901
Missions : intervient comme outil d’aide à la décision publique dans les champs de l’urbanisme, de l’aménagement et du développement des territoires
Président : Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne
Directeur général : Denis Caniaux
Tél. : 05 33 64 00 30 (Pau) / 05 59 46 50 10 (Bayonne)

Catégorie : Architecture et Urbanisme


Adresse du siège

4 rue Henri IV
64000 Pau France


Consulter la fiche dans l‘annuaire

Fiche n° 11157, créée le 20/11/2020 à 03:34 - MàJ le 29/08/2023 à 11:38

©  D.R.
Clément Latieule, architecte - ©  D.R.