Pour une politique logement éco-responsable (Marie Defay, économiste et urbaniste)
Au lendemain des élections municipales, des questions fondamentales pour la production de logements ont été posées par plusieurs maires de grandes métropoles : faut-il arrêter l’artificialisation des sols ? Comment garantir la compatibilité des projets de construction avec les impératifs environnementaux ? Peut-on les suspendre, les arrêter pour atteindre cet objectif ? Ces questions ne sont pas spécifiquement françaises. Les impacts du secteur du bâtiment en termes de consommation de ressources (matériaux et énergie) et de production de déchets sont bien connus à l’échelle européenne. Ils font de la production et de la gestion du parc de logements (et des infrastructures qu’il génère) un enjeu majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les impacts environnementaux surviennent à toutes les étapes du cycle de vie d’un bâtiment. C’est légitimement que tous les acteurs concernés expriment en la matière une préoccupation grandissante : collectivités, concepteurs, promoteurs, nouveaux acquéreurs, propriétaires…, écrit Marie Defay
Enseignante @ ENSA de Paris-Belleville
, économiste et urbaniste, enseignante à l’école nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, dans une tribune adressée à News Tank, fin juillet 2020.
La définition d’une politique logement éco-responsable va bien au-delà d’une conception performante des bâtiments. Les choix des modes de construction (neuf ou réhabilitation, choix des matériaux, réversibilité et évolutivité) mais aussi plus largement les conceptions urbanistiques (impact démultiplié de certaines morphologies urbaines et typologies d’habitat) sont fondamentaux.
Elle nécessite une stratégie qui doit déboucher sur une conception urbaine qui dépasse la logique de planification et qui constitue une étape fondamentale pour une production éco-responsable. Plusieurs pistes de réflexion seront soumises aux intervenants des prochains Entretiens d’Inxauseta : quelle politique de développement des filières et avec quelle transition pour préserver l’emploi ? Quelle évolution des normes pour concilier exigence environnementale et capacité à financer les réhabilitations ? Quel(s) programme(s) à l’échelle nationale pour limiter la vacance sous toutes ses formes (bâtiments et foncier) ? Comment favoriser la réhabilitation vis-à-vis de la construction neuve ?
Voici la tribune de Marie Defay, intervenante lors des Entretiens d’Inxauseta à Bunus (Pyrénées-Atlantiques), le 28/08/2020.
Pour une politique logement éco-responsable
Au lendemain des élections municipales de 2020, des questions fondamentales pour la production de logements ont été posées par plusieurs maires de grandes métropoles :
- faut-il arrêter l’artificialisation des sols ?
- Comment garantir la compatibilité des projets de construction avec les impératifs environnementaux ?
- Peut-on les suspendre, les arrêter pour atteindre cet objectif ?
- Quelle est la densité souhaitable, acceptable, vivable ?
Ces questions ne sont pas spécifiquement françaises. Les impacts du secteur du bâtiment en termes de consommation de ressources (à la fois matériaux et énergie) et de production de déchets sont aujourd’hui bien connus à l’échelle européenne [1]. Ils font de la production et de la gestion du parc de logements (et des infrastructures qu’il génère) un enjeu majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les impacts environnementaux surviennent à toutes les étapes du cycle de vie d’un bâtiment, y compris lors de la fabrication de produits de construction, de la construction elle-même, de sa gestion, de sa rénovation et de la gestion des déchets.
C’est donc légitimement que tous les acteurs concernés expriment en la matière une préoccupation grandissante : collectivités, concepteurs, promoteurs, nouveaux acquéreurs, propriétaires… Les citoyens font part d’attentes concrètes vis-à-vis de leur logement, renforcées par les informations de plus en plus précises auxquelles ils ont accès. Ces attentes portent sur le logement lui-même - performances du bâtiment (consommation d’énergie, qualité de l’air intérieur, respect de la ressource en eau, adaptabilité au réchauffement climatique) - et sur la qualité de son environnement : pollutions sonores, visuelles ou atmosphériques ou encore sécurité environnementale (risques naturels, technologiques ou sanitaires).
La proximité d’espaces de fraicheur et d’espaces verts
Mais l’inquiétude liée au changement climatique modifie aussi la perception des projets de construction. Elle conduit notamment à questionner les impacts sur les terres agricoles et les espaces naturels (et donc l’emplacement et la disposition des logements neufs), les effets de l’étalement urbain sur le budget des ménages, sur la consommation d’énergie et l’émission de GES Gaz à effet de serre [2], ainsi que la présence à proximité d’espaces de fraicheur et d’espaces verts.
L’impact environnemental des différents modes de production dans le secteur du bâtiment, moins facilement perceptible initialement, devient également un sujet majeur dans le débat public. En effet, le modèle de production de logements en extension et en construction neuve est de plus en plus remis en question pour des raisons cumulées. Tout d’abord l’impact de l’artificialisation sur la disponibilité des terres agricoles et sur la destruction des espaces naturels, avec des effets spécifiques liés à l’imperméabilisation (ruissellement et lessivage des sols), est un phénomène désormais avéré. La présence de locaux et de fonciers vacants, y compris dans des villes au marché « tendu », reste une alternative sous-exploitée et en constante évolution avec un potentiel de futures grandes friches commerciales déjà reconnu, parfois bien insérées dans le tissu urbain.
Ensuite, l’empreinte carbone globale de ce mode de production en matériaux (y compris des ressources de plus en plus rares) et en énergie est prépondérante dans la consommation de nos ressources, et l’écart entre construction neuve et réhabilitation est d’autant plus significatif. Rappelons que les démolitions produisent 50 % des déchets de la construction.
Enfin, la localisation des programmes a un fort impact en termes d’émission de GES : les surfaces urbanisées augmentent plus vite que la population depuis plusieurs décennies, allongeant les distances à parcourir et aggravant la dépendance à l’automobile. La définition d’une politique logement éco-responsable va donc bien au-delà d’une conception performante des bâtiments. Les choix des modes de construction (neuf ou réhabilitation, choix des matériaux, réversibilité et évolutivité) mais aussi plus largement les conceptions urbanistiques (impact démultiplié de certaines morphologies urbaines et typologies d’habitat) sont fondamentaux.
La densité peut avoir des effets pervers
Cependant les choix à opérer en la matière se heurtent à de nombreux paradoxes. La production neuve est aussi « rejetée » de plus en plus fortement en ville, où les effets de la densité ont été ressentis très négativement pendant le confinement et où la demande d’espaces verts et d’espaces de respiration est en hausse. Certains programmes récents, encouragés par la flambée des prix du foncier et parfois par les procédures mises en place, proposent à ce titre une densité particulièrement forte et difficilement vivable.
La densité peut avoir des effets pervers, avec des bâtiments plus larges produits dans certains programmes denses, des appartements non traversants, plus petits et sans espaces extérieurs moins adaptés au réchauffement. Les normes de plus en plus contraignantes sur les performances des bâtiments neufs contribuent à renchérir les prix et renforcent de fait dans certaines zones l’attractivité des programmes plus éloignés des centres villes.
Les ménages impécunieux sont durement frappés »La production neuve reste parfois économiquement plus performante que la réhabilitation, voire la seule possible à court terme (contraintes de sites, déficit d’attractivité et donc prix trop faibles sur certains secteurs). Par ailleurs limiter la production neuve semble difficile dans les secteurs les plus tendus, où la demande reste très forte et ou les prix demeurent très (trop) élevés. Le recours à des matériaux locaux et renouvelables a parfois des effets négatifs dans la gestion des filières et des conséquences environnementales. Enfin, l’objectif « zéro artificialisation » introduit une pression supplémentaire sur des sols parfois déjà malmenés (îlots de chaleur, bruit, pollution de l’air, densité excessive), qui exige un arbitrage difficile entre compensation et préservation de la qualité des sols naturels et agricoles.
Quant au parc existant, il a pour une large part été produit avant les règlementations thermiques [3]. Malgré des programmes développés depuis plusieurs années aussi bien à l’échelle nationale que régionale ou locale, la situation s’améliore à un rythme encore lent. Les ménages impécunieux sont durement frappés : dans l’impossibilité de financer les travaux, ils restent aujourd’hui confrontés à des charges lourdes.
Conception urbaine qui dépasse la logique de planification
Ces paradoxes ne peuvent se résoudre sans une stratégie locale adaptée à la dynamique du territoire, aux différents marchés du logement qui s’y développent et aux ressources propres qu’il possède. Cette stratégie doit déboucher sur une conception urbaine qui dépasse la logique de planification et qui constitue une étape fondamentale pour une production éco-responsable. Comment dès lors construire une politique logement à l’échelle nationale qui soutienne, encourage et complète les stratégies locales ?
Parmi les pistes de réflexion qui seront soumises aux intervenants des entretiens d’Inxauseta :
- Quelle politique de développement des filières et avec quelle transition pour préserver l’emploi ?
- Quelle évolution des normes pour concilier exigence environnementale et capacité à financer les réhabilitations ?
- Quel(s) programme(s) à l’échelle nationale pour limiter la vacance sous toutes ses formes (bâtiments et foncier) ?
- Comment favoriser la réhabilitation vis-à-vis de la construction neuve ?
- Quel appui apporter aux collectivités locales dans un contexte de morcèlement communal et d’ingénieries parfois insuffisantes ?
- Comment soutenir une stratégie locale qui s’appuie sur une capacité de conception renforcée ?
- Enfin, quel rôle donner aux citoyens dans ce processus ?
[1] La moitié de la consommation de matériaux et d’énergie et 1/3 de la production des déchets imputables à la construction et à l’utilisation des bâtiments à l’échelle européenne
[2] Gaz à effet de serre
[3] 30 % des logements en classe F et G.
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta sur le logement et l’habitat, qui auront lieu le 28/08/2020 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques), et président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur le logement, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
Parcours
Enseignante
Directrice générale déléguée
Fiche n° 40139, créée le 04/08/2020 à 09:21 - MàJ le 30/08/2024 à 11:30
ENSA de Paris-Belleville
• École publique d’architecture à Paris (19e arr.)
• Missions : dispenser un enseignement pluridisciplinaire, articulant savoir-faire et savoir, théorie et pratique, la formation au projet architectural et urbain et la formation aux autres disciplines
• Création : 1969 par Bernard Huet, architecte
• Étudiants : 1 100
• Enseignants : 150
• Président du conseil d’administration : Jean-François Renaud
• Directrice : Christine Leconte
• Contact : Stéphanie Guyard, responsable de la communication
• Tél. : 01 53 38 50 05
Catégorie : Enseignement supérieur et formation
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Fiche n° 8585, créée le 30/04/2019 à 13:22 - MàJ le 03/09/2024 à 11:51