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Exclusif« Nous connaissons une crise du logement historique » (J.-B. Eyraud, porte-parole du DAL)

News Tank Cities - Paris - Interview n°240733 - Publié le 01/02/2022 à 09:00
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©  Erol Yolal
Jean-Baptiste Eyraud devant les locaux de Paris Habitat, le 25/01/2022 - ©  Erol Yolal

« Le contexte général est dramatique. La question du logement n’est quasiment pas posée. Pourtant, nous connaissons une crise du logement historique comme nous n’en avons pas connue depuis une cinquantaine d’années », indique à News Tank Jean-Baptiste Eyraud
, porte-parole de l’Association Droit au Logement (DAL), le 25/01/2022.

Il pointe « deux différences de taille » par rapport à 1970. « À l’époque, il n’y avait pas assez de logements. Aujourd’hui, nous vivons une crise du logement alors qu’il y a 3,1 millions de logements vacants, selon l’Insee Chargé de la production, de l’analyse et de la publication des statistiques officielles en France : comptabilité nationale annuelle et trimestrielle, évaluation de la démographie nationale, du taux… . Il y a du potentiel, même s’il faut encore construire, surtout des logements sociaux », déclare Jean-Baptiste Eyraud. « La 2ème grande différence est que les locataires consacraient en moyenne 10 % de leurs revenus au logement. Au lendemain de la 2e guerre mondiale, selon des témoins de l’époque, les loyers étaient moins chers que la consommation de tabac… Or en 2013, le taux d’effort net moyen des locataires du privé grimpe à 28,4 %. Nous attendons les données de la dernière enquête logement qui risquent de nous rapprocher, voire de dépasser, les 30 % d’autant que l’APL Aides personnelles au logement correspondant à 3 types d’aides : l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement à caractère familial et l’allocation de logement à caractère social a été pilonnée depuis 2017. Les loyers ont augmenté bien plus vite que les salaires ».

« L’État et les collectivités territoriales ont intérêt au logement cher car cela génère des recettes fiscales, des droits de mutation, de la taxe foncière, de la TVA Taxe sur la valeur ajoutée … L’État a prélevé 79 Md€ sur le logement en 2020, contre 56 Md€ il y a 10 ans, grâce au logement cher. En 2021, il va largement dépasser les 80 Md€ de prélèvements fiscaux sur le logement avec 1,2 million de transactions, à près de 3000 € le m² en moyenne. Un double record historique. », dit-il.

Jean-Baptiste Eyraud répond aux questions de News Tank.


« Nous voyons progresser d’année en année une marchandisation rampante du logement social »

Vous avez mené une action le 25/01/2022 devant les locaux de Paris Habitat dans le 5e arrondissement à Paris. Quel était le but de cette manifestation ?

Le but est de demander à Paris Habitat Office public de l’habitat (OPH) de la ville de Paris • Missions : construire, loger, réhabiliter, renouveler les territoires, attribuer des logements, assurer un cadre de vie agréable, animer la… de reloger des personnes prioritaires DALO Droit au logement opposable - Institué en 2007, Droit reposant sur une procédure d’attribution sur les quotas préfectoraux de logements sociaux pour les personnes reconnues comme étant mal logées ou des demandeurs HLM Habitation à loyer modéré - logement géré par un organisme d’habitations à loyer modéré, public ou privé, qui bénéficie d’un financement public partiel, direct ou indirect du premier quartile, c’est-à-dire le quart le moins riche des demandeurs de logements sociaux. Aux vues des données fournies par le bailleur, nous avons relevé, au regard de la loi, un déficit de relogement de ces deux publics prioritaires de sa part. Nous lui demandons de se mettre à jour et de reloger ces familles qui manifestent et répondent justement à ces critères.

Nous demandons à Paris Habitat de reloger des personnes prioritaires DALO »

Nous effectuons régulièrement ce genre de demande auprès des bailleurs. Nous avions déjà organisé un 1er rassemblement en octobre 2021. Nous les avons rencontrés, mais sentons une forte  réticence. Ces familles ont des droits qui ne sont pas respectés. Nous avons aussi une interrogation sur les chiffres fournis puisqu’il est dit que l’État a relogé 51 % de prioritaires DALO sur son contingent. Nous avons demandé des précisions à la préfecture qui nous a assuré que la quasi-totalité de son contingent, hormis le contingent fonctionnaire, était dédié aux prioritaires DALO. L’État, qui a la responsabilité historique du DALO y consacre-t-il 75 % ou 50 % de ses contingents à Paris ? Nous attendons une clarification. Nous sommes décidés à revenir régulièrement devant le siège de Paris Habitat, à manifester dans ces beaux quartiers du 5e arrondissement.

L’élection présidentielle arrive en avril 2022. Qu’attendez-vous de l'élection et que pensez-vous du contexte actuel du logement ?

Le contexte général est dramatique. La question du logement n’est quasiment pas posée. Pourtant, nous connaissons une crise du logement historique, comme nous n’en avons pas connue depuis une cinquantaine d’années, avec deux différences de taille.

À l’époque, il n’y avait pas assez de logements. Aujourd’hui, nous vivons une crise du logement alors qu’il y a 3,1 millions de logements vacants, selon l’Insee qui n’en a jamais autant compté. Il y a donc du potentiel, même s’il faut encore construire, surtout des logements sociaux.

Les loyers ont augmenté bien plus vite que les salaires »

La 2ème grande différence est que les locataires consacraient en moyenne 10 % de leurs revenus au logement. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, selon des témoins de l’époque les loyers étaient moins chers que la consommation de tabac… Or en 2013, le taux d’effort net moyen des locataires du privé grimpe à 28,4 %. Nous attendons les données de la dernière enquête logement qui risquent de nous rapprocher, voire dépasser, les 30 % d’autant que l’APL Aides personnelles au logement correspondant à 3 types d’aides : l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement à caractère familial et l’allocation de logement à caractère social a été pilonnée depuis 2017. Les loyers ont augmenté bien plus vite que les salaires.

Quels sont les chiffres ou tendances que vous souhaitez souligner ?

L’État et les collectivités territoriales ont intérêt au logement cher parce que cela génère des recettes fiscales, des droits de mutation, de la taxe foncière, de la TVA Taxe sur la valeur ajoutée … L’État a prélevé 79 Md€ sur le logement en 2020, contre 56 Md€ il y a 10 ans, grâce au logement cher. En 2021, il va largement dépasser les 80 Md€ de prélèvements fiscaux sur le logement avec 1,2 million de transactions, à près de 3000 € le m2 en moyenne. Un double record historique. C’est une mauvaise nouvelle pour les sans logis car la hausse des prix alimente la hausse des loyers.

Il y a 10 ans, l’État consacrait 43,4 Md€ au logement, soit 2,2 % du PIB. En 2020, il n’a consacré que 37,6 Md€, soit 1,6 % du PIB

Mais il y a pire car, au lieu de chercher à réparer les dégâts de la crise grâce à la hausse des recettes, le Gouvernement la renforce. Il y a 10 ans, l’État consacrait 43,4 Md€ au logement, soit 2,2 % du PIB Produit intérieur brut . En 2020, il n’a consacré que 37,6 Md€, soit 1,6 %. Entre-temps, les APL sont diminuées, les aides à la pierre ont disparu, l’État pioche allègrement dans les caisses du logement social et dans les poches des locataires modestes et des mal logés … Il manque 15 Md€ pour juste revenir à 2,2 % du PIB.

Les politiques publiques budgétaires du logement alimentent donc la crise du logement, jugée comme un dégât collatéral. Il est jugé suffisant de camoufler les aspects les plus visibles de la crise en finançant l’hébergement d’urgence, évidemment sans effet visible, car le logement cher produit massivement du sans-abrisme.

La crise du logement est devant nous »

La crise du logement est devant nous. Il y a de plus en plus d’expulsions, de demandeurs de logements sociaux, de sans-abris, de mal logés et de situations de surpeuplement. On construit moins de logements sociaux, parce qu’il y a moins d’argent et parce que les prix montent. Nous entendons certaines municipalités qui expliquent avoir du mal à régler les problèmes de logement. En attendant, tout le monde est content de recevoir des droits de mutation, pour verdir un peu la ville, la rendre plus jolie, pour faire un tramway… Ces aménagements coûtent très cher. Mais ils font aussi monter les prix.

La logique voudrait à l’inverse que les plus-values immobilières générées par ces politiques d’urbanisme financées par la collectivité, soient récupérées et taxées pour financer cet effort public et non pas laissées à des intérêts privés qui en captent la valeur économique.

Une société qui encourage la rente et les profits en exploitant cette nécessité primordiale de se loger »

Derrière ce débat un peu complexe, la question qui se pose est celle d’une société qui  encourage la rente et les profits, en exploitant cette nécessité primordiale qui est de se loger décemment, plutôt que de le satisfaire. La Wallonie vient d’imposer une taxe sévère et même une amende sur les logements vacants qui peut monter jusqu’à 12 000 €. En France, on a laissé le nombre de logements vacants progresser de 50 % en 15 ans.

Dans tous les cas, les milieux de l’immobilier, c’est à dire les investisseurs, les promoteurs, les agents intermédiaires, le BTP Bâtiment et travaux publics … savent très bien défendre leurs intérêts. En 2021, ils vont engranger des profits insolents. Ils s’inquiètent surtout des risques pesant sur leurs profits futurs, comme toujours.

Combien y a-t-il de demandeurs DALO Droit au logement opposable - Institué en 2007, Droit reposant sur une procédure d’attribution sur les quotas préfectoraux de logements sociaux pour les personnes reconnues comme étant mal logées en janvier 2022, en particulier en Île-de-France ?

Il y a toujours plus de demandes de logement social en attente et de plus en plus de prioritaires DALO Droit au logement opposable - Institué en 2007, Droit reposant sur une procédure d’attribution sur les quotas préfectoraux de logements sociaux pour les personnes reconnues comme étant mal logées non relogés, malgré les rejets de plus en plus nombreux des demandes préalables par les commissions de médiations.

65 000 prioritaires DALO attendent d’être relogés en Île-de-France, dont 25 000 à Paris »

En Île-de-France, environ 65 000 prioritaires DALO attendent d’être relogés, certains depuis 14 ans, mais le noyau dur se situe sur Paris, où au moins 25 000 prioritaires DALO sont en attente. C’est pourquoi nous estimons que les bailleurs sociaux parisiens, doivent redoubler d’effort et appliquer la loi au delà de la lettre. Il y a nécessité de loger celles et ceux qui y travaillent, qui l’entretiennent, les premiers de corvée, trop souvent payés au lance-pierre. La Ville de Paris • Commune et département (statut particulier), situés en région Île-de-France• Population : 2 165 423 habitants• Superficie : 105,4 km2• Intercommunalité : Métropole du Grand Paris• Maire : Anne… , et les communes riches d’Île-de-France, devraient faire des efforts supplémentaires, notamment au plan financier. D’autant plus que les recettes fiscales sont en hausse grâce à la spéculation.

Beaucoup d’argent provient du logement cher. Mais il n’est pas suffisamment employé à réparer les dégâts sociaux qu’il génère, gentrification, mal logement, sans-abrisme. Il est regrettable de soutenir la réalisation d’hôtels de luxe, de musées de milliardaires qui remplacent des équipements publics, de soutenir l’industrie du luxe et du tourisme… Une ville peut être prospère sans chasser ses habitants modestes.

L’USH Union sociale pour l’habitat - organisation représentative du secteur HLM : 720 organismes à travers 5 fédérations , la Fondation Abbé Pierre et la Fédération Française du Bâtiment se réunissent le 09/03/2022 pour présenter leurs propositions dans le cadre des présidentielles. Qu’attendez-vous des bailleurs sociaux ?

Produire plus de logements sociaux à loyer accessible pour les ménages modestes »

Il faut produire plus de logements sociaux à loyer accessible pour les ménages modestes. Ils produisent moins dans les grandes villes parce que le foncier et l’immobilier y est cher, pourtant c’est là que se situent les besoins. Nous avons regretté que les bailleurs sociaux n’aient pas mis plus le paquet en 2017, lors de la baisse des APL. C’est regrettable parce que les bailleurs mais aussi, en bout de course, les locataires et les mal logés vont en payer le prix.

« Nous voyons progresser d’année en année une marchandisation rampante du logement social »

Nous voyons progresser d’année en année une marchandisation rampante du logement social : vente des logements sociaux, concentration imposée des bailleurs, affaiblissement de leur trésorerie via notamment la RLS Réduction de loyer de solidarité ou la suppression des aides à la pierre… Pourtant, il faut de l’argent pour entretenir, réhabiliter et mettre aux normes thermiques… Qui va le fournir ? Les politiques du logement conduites ces dernières années poussent les bailleurs à se tourner vers des investisseurs privés. Il faut s’opposer à ce scénario qui permettrait à des foncières, BlackRock et autres prédateurs d’acheter des bailleurs sociaux et, surtout, leur patrimoine, amenant vers une liquidation progressive du logement social.

Quel message souhaiteriez-vous leur adresser en vue de cette conférence en mars 2022 ?

Nous défendons les locataires et leurs droits à être logés dignement décemment, à un prix abordable. Il y a beaucoup à faire, tant en matière d’entretien des bâtiments, de réduction du personnel de proximité, de relogement ou de maintien plutôt que d’expulsion, de baisse des charges, notamment en matière d’énergie. Il faut aussi respecter les règles en matière d’attribution pour les prioritaires DALO, le 1er quartile des demandeurs HLM

Arrêter le gâchis des destructions de logements sociaux »

Il faut arrêter le gâchis des destructions de logements sociaux, qui sont des logements grands, bien conçus et bien construits, traversants, avec cuisine, amortis, pas chers… Pourquoi les détruire alors qu’on en a tant besoin ? C’est une absurdité écologique et un gaspillage financier : 150 000 € par logement puisqu’il faut y ajouter le coût de la reconstitution de l’offre. Ces immeubles, qu’on abat au lieu de les réhabiliter, sont de meilleure qualité que de nombreux logements produits aujourd’hui. Lesquels sont d’une durée de vie encore plus courte et livrés souvent avec des malfaçons. On produit trop de logements de mauvaise qualité depuis 20 ans.

Il faut au minimum que l’État consacre au logement à nouveau l’équivalent de 2,2 % du PIB et qu’il mette fin à la spirale inflationniste et spéculative qui frappe le logement car elle est confiscatoire. Elle alimente les inégalités et l’insatisfaction salariale. C’est pourquoi il faut aussi baisser les loyers, notamment dans le privé, contrôler et sanctionner la fraude très répandue aux rapports locatifs et muscler l’impôt sur les plus-values immobilières.

Un toit, c’est un droit »

Ce qu’on pourrait dire aux bailleurs sociaux, c’est : résistez et agissons tous ensemble, locataires, associations, bailleurs sociaux, pour défendre ce service public et pousser l’État à se réinvestir dans le logement des classes populaires. Poussons à mener un politique du logement qui cesse d’être une machine à profits. Qu’il devienne un droit universel, inconditionnel et protecteur. Un toit, c’est un droit.

Parcours


Fiche n° 45211, créée le 28/01/2022 à 14:42 - MàJ le 28/01/2022 à 16:22

Association Droit au Logement (DAL)

• Activités : association de défense du droit au logement
• Création : en 1990, par des familles mal-logées ou sans-logis et des militants associatifs de quartier, dans le 20ème arrondissement de Paris
• Missions (et revendications) :
- unir et organiser les familles et personnes mal-logées, pour la défense du droit à un logement décent pour tous ;
- exiger l’arrêt des expulsions sans relogement ;
- exiger le relogement décent et adapté de toute famille et personne mal-logée ou sans-logis ;
- exiger l’application de la loi de réquisition sur les immeubles et logements vacants appartenant aux collectivités locales, à des administrations, à l’État, à des banques, à des compagnies d’assurance, à des professionnels de l’immobilier.
- Initier et organiser le soutien, l’information, la promotion d’action ayant pour but de remédier au problème des mal-logés et sans-logis, notamment par des propositions visant à améliorer la législation sur le logement.
• Porte-parole : Jean-Baptiste Eyraud
• Contact : 01 40 27 92 98

Catégorie : Association, Fondation


Adresse du siège

29 avenue Ledru-Rollin
75012 Paris France


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Fiche n° 9760, créée le 25/03/2020 à 05:34 - MàJ le 18/03/2024 à 14:00

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Jean-Baptiste Eyraud devant les locaux de Paris Habitat, le 25/01/2022 - ©  Erol Yolal