Agissons sur l’écosystème du logement : trois recommandations sont à formuler (D. Caniaux, Audap)
Le logement n’est pas un sujet en soi, autonome et cloisonné. Il est au cœur de nos vies, des transitions écologiques et sociétales que nous devons opérer. Ministère ou pas ministère dédié, peut-être est-ce un débat ? Du reste, il a été tranché puisque qu’un ministre dédié « de la Ville et du Logement » a été nommé, comme quasiment chaque Gouvernement depuis au moins 1989 qui a disposé d’un portefeuille pour le logement. Certains gloseront sur l’ordre des mots. Le logement est-il intimement lié à la ville ? Ou bien le titre exprime-t-il que le logement est séparé de la ville ? Comment peut-on parler de travail sans logement, de mobilité sans logement, d’environnement sans logement, écrit Denis Caniaux
Directeur général @ Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées (AUDAP)
, directeur général de l’Agence d’urbanisme Atlantique & Pyrénées (Audap) dans une tribune adressée à News Tank le 20/07/2022.
Les constats sont là, les faits sont têtus. La construction de logements neufs ralentit, la production de logements locatifs sociaux également. Les listes de demandeurs en logement social ne désemplissent pas. Les prix immobiliers s’envolent tout comme les loyers. Quatre millions de personnes souffrent de mal logement ou d’absence de logement. Les jeunes sont particulièrement touchés par les difficultés d’accès au logement.
Face à ces constats et à une situation qui paraît inextricable, trois recommandations peuvent être formulées : penser global, concevoir et agir collectivement, différencier territorialement.
Voici la tribune de Denis Caniaux.
Aucune politique mise en œuvre ne s’attaque au problème systémique
Le logement n’est pas un sujet en soi, autonome et cloisonné. Il est au cœur de nos vies, des transitions écologiques et sociétales que nous devons opérer. Ministère ou pas ministère dédié, peut-être est-ce un débat… Du reste, il a été tranché puisque qu’un ministre dédié « de la Ville et du logement » a été nommé, comme quasiment chaque Gouvernement depuis au moins 1989 a disposé d’un portefeuille pour le Logement… Certains gloseront sur l’ordre des mots. Le logement est-il intimement lié à la ville ? Ou bien le titre exprime-t-il que le logement est séparé de la ville ? Je me demande comment on peut parler de travail sans logement, de mobilité sans logement, d’environnement sans logement. D’abord le Politique doit exprimer et confronter, mettre en débat, son projet pour loger les citoyens pour leur mieux vivre. Les ministères suivront.
Nous connaissons en France une crise sans précédent de l’accès au logement. Le mot de crise est galvaudé. Parlons de blocage. Cela fait au moins deux décennies que, régulièrement, sont dénoncées des crises du logement. Non pas que rien ne se fasse. Mais aucune politique mise en œuvre ne s’attaque au problème systémique. C’est l’écosystème du logement qui est en passe de se bloquer. C’est d’une possible déflagration sociale que nous parlons.
Choc de l’offre ici. Soutien à la construction de logements sociaux là. Primes aux maires bâtisseurs. Simplification des autorisations d’urbanisme. Obligations de mixité sociale. Mécanismes de défiscalisation à l’investissement locatif. Soutien à la réhabilitation du parc existant : les mesures se sont succédé ces 20 dernières années, sans résoudre les difficultés.
Sobriété foncière
Les constats sont là, les faits sont têtus. La construction de logements neufs ralentit. La production de logements locatifs sociaux également. Les listes de demandeurs en logement social ne désemplissent pas. Les prix immobiliers s’envolent tout comme les loyers. Quatre millions de personnes souffrent de mal logement ou d’absence de logement. Les jeunes sont particulièrement touchés par les difficultés d’accès au logement.
Et nous restons sur des réponses cloisonnées à chaque constat : une mesure d’incitation fiscale à l’investissement immobilier, un dispositif d’encadrement des loyers, un mécanisme DALO Droit au logement opposable - Institué en 2007, Droit reposant sur une procédure d’attribution sur les quotas préfectoraux de logements sociaux pour les personnes reconnues comme étant mal logées … Oserais-je parler de rustines sur un écosystème à bout de souffle ?
Soyons donc prudent avant de jeter l’anathème sur le ZAN »Beaucoup accuse la Loi Climat et résilience de souffler sur les braises, en alimentant la pénurie de terrains à bâtir et agitant le grelot de la spéculation. Reconnaissons qu’ils crient avant d’avoir mal. Si la trajectoire du Zéro artificialisation nette est définie, les chemins à emprunter pour atteindre l’objectif sont à peine esquissés et restent à dessiner. D’autant que la sobriété foncière est une pratique que les collectivités locales appliquent déjà depuis plus d’une décennie, avec d’ailleurs un certain succès. Nous ne partons pas de zéro. En revanche, le discours est performatif et peut avoir des effets concrets sur la réalité : soyons donc prudent avant de jeter l’anathème sur le ZAN Zéro artificialisation nette - Objectif de réduction de la consommation d’espace à zéro unité nette de surface consommée en 2050, fixé par le plan Biodiversité du Gouvernement en juillet 2018 .
Il ne serait pas objectif enfin de ne pas évoquer en matière de logement le poids des mécanismes « macro » sur lesquels la puissance publique nationale a peu de prises : les mécanismes de marché financier et en particulier les taux d’intérêt, les tendances démographiques (évolutions de populations, migrations résidentielles), la perception du futur par les ménages et leurs comportements d’anticipation… Tout écosystème comporte ses facteurs internes d’évolution et ses facteurs exogènes. En revanche, ils peuvent produire leurs effets différemment selon les territoires et leurs caractéristiques.
Face à ces constats et une situation qui paraît inextricable, trois recommandations pourraient être formulées : penser global, concevoir et agir collectivement, différencier territorialement.
Penser global
L’écosystème du logement est complexe. Une multitude de facteurs inter-agissent entre eux, provoquant des effets de bord souvent indésirables. Dans ce cadre, il est indispensable que les politiques publiques agissent sur plusieurs mécanismes concomitamment et de façon cohérente.
Soutenir la construction neuve ne peut pas se faire sans intervenir, en même temps, sur le parc existant. Inciter à l’investissement immobilier locatif neuf ne peut pas se faire sans repenser globalement la fiscalité du patrimoine locatif, en rééquilibrant, par exemple, les avantages entre locatif saisonnier et locatif permanent au bénéfice de ce dernier. Encadrer les loyers ne peut pas se faire sans intervenir sur la fiscalité immobilière pour soutenir les propriétaires. Faciliter la construction ne peut pas se faire sans encadrer la nature de la production et s’assurer de sa diversité. Promouvoir le parcours résidentiel, c’est forcément agir sur l’ensemble des mécanismes, et pas seulement avec une entrée « produits », mais en anticipant les effets collatéraux entre eux.
Concevoir et agir collectivement
Nous devons réinventer nos modes d’action. L’écosystème du logement comporte une multitude d’acteurs : promoteurs sociaux et privés, gestionnaires de patrimoine, agents immobiliers, représentants des propriétaires, investisseurs institutionnels, représentants des locataires et associations de consommateurs, banques, notaires, collectivités locales. Je ne cite pas l’État en tant qu’entité, mais ses composantes directement impliquées dans l’écosystème : administrations du logement et des finances. Il ne faut plus négocier de façon cloisonnée avec les uns ou les autres. La logique de lobbying à l’œuvre depuis des années, dans ce domaine au moins autant qu’ailleurs, est contre-productive. Elle ne répond qu’à des catégories d’acteurs et des parties de problématique.
Ne faudrait-il pas créer des conférences locales permanentes du logement »C’est d’un travail collectif dont nous avons besoin. Il existe depuis 1983 un Conseil national de l’Habitat (CNH Conseil national de l’habitat ), organisme institué auprès du ministre chargé du Logement qui pourrait répondre à cette co-construction. Avouons que ses travaux restent confidentiels face aux rapports annuels sur le mal logement de la Fondation Abbé Pierre dont l’écho est incomparable. À ce CNH, peut-être, d’ouvrir ce vaste chantier de refondation globale et cohérente de la politique du logement ?
Il reste que peu de territoires disposent d’un tel espace de dialogue. Les Conférences intercommunales du logement, dont peuvent se doter les EPCI Établissement public de coopération intercommunale - structure administrative française regroupant plusieurs communes afin d’exercer certaines compétences en commun signataires d’un PLH Programme local de l’habitat - document stratégique de programmation qui inclut l’ensemble de la politique locale de l’habitat (parc public et privé, constructions nouvelles…) , ne regroupent pas l’ensemble des acteurs et ne traitent que des sujets relatifs au logement social. Ne faudrait-il pas créer des Conférences locales Permanentes du Logement, regroupant tous les acteurs privés et publics, qui se réuniraient régulièrement pour produire avis et recommandations dans un dialogue régulier avec élus locaux et représentants de l’État ?
Différencier territorialement
Nous devons prendre acte que la situation des territoires est extrêmement variable, en fonction de leur localisation, de leur profil économique et social, de leur attractivité. Quoi de commun entre une métropole régionale, une agglomération littorale, une vallée de station de montagne, un village en revitalisation ? Les conditions d’accès au logement, le profil des ménages, la nature de la pression immobilière, les profils des parcs immobiliers, varient d’un territoire à l’autre, nécessitant des adaptations des outils, et même des différenciations territoriales d’application de règles nationales.
Il est impossible d’appliquer des règles indifférenciées sans risque de provoquer des effets induits contraires à l’objectif d’intérêt général de faciliter l’accès au logement. C’est à une équité territoriale qu’il faut tendre et non à une égalité de traitement, afin d’aboutir à une égalité des populations face au logement.
C’est à une équité territoriale qu’il faut tendre »Dans cette voie, l’État est un accompagnateur, un facilitateur, garant de l’objectif final, le Droit au logement inscrit dans la loi. La « différenciation territoriale » posée dans la loi 3DS Loi du 21/02/2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale , prévoit dans son titre Ier que les « règles relatives à l’attribution et à l’exercice des compétences applicables à une catégorie de collectivités territoriales peuvent être différenciées pour tenir compte des différences objectives de situations dans lesquelles se trouvent les collectivités territoriales relevant de la même catégorie ». En matière de politique du logement, la différenciation territoriale doit aller bien au-delà, jusqu’à la possibilité de différencier l’impôt national territorialement pour servir des droits égaux pour toutes et tous.
C’est en travaillant sur ces trois piliers (penser global, travailler collectivement et différencier territorialement) que nous pourrons agir sur l’éco-système du logement et avoir quelque chance de le réguler.
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition a eu lieu le 26/08/2022 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de l’urgence à agir. Jean-Luc Berho est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
Denis Caniaux
Directeur général @ Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées (AUDAP)
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Parcours
Directeur général
Établissement & diplôme
DESS urbanisme et aménagement
Diplômé
Fiche n° 41918, créée le 20/11/2020 à 14:57 - MàJ le 07/06/2024 à 16:25
Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées (AUDAP)
Création : 1998
Statut : association loi 1901
Missions : intervient comme outil d’aide à la décision publique dans les champs de l’urbanisme, de l’aménagement et du développement des territoires
Président : Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne
Directeur général : Denis Caniaux
Tél. : 05 33 64 00 30 (Pau) / 05 59 46 50 10 (Bayonne)
Catégorie : Architecture et Urbanisme
Adresse du siège
4 rue Henri IV64000 Pau France
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Fiche n° 11157, créée le 20/11/2020 à 03:34 - MàJ le 29/08/2023 à 11:38