Exigence du débat démocratique sur le logement : retour sur les Entretiens d’Inxauseta (É. Dequeker)
Malgré la centralité de la politique du logement dans la vie quotidienne de nos concitoyens, elle ne fait toujours pas l’objet d’un débat politique national digne de ce nom. Les nombreuses contributions orales et écrites à cette édition des Entretiens ont pourtant montré à quel point toute la filière allait devoir à l’avenir évoluer sur des lignes de crêtes subtiles et complexes, nécessitant plus que jamais les apports croisés d’expertises multiples, afin de dépasser certains simplismes, écrit Édouard Dequeker
Responsable pédagogique Management urbain et immobilier @ Essec Business School (Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales) • Ingénieur de recherche pour la chaire d’économie…
, professeur à la Chaire d’économie urbaine de l’Essec et responsable pédagogique du mastère spécialisé management urbain et immobilier, dans une tribune adressée à News Tank le 07/09/2023.
Qu’elles soient portées par l’État ou par les collectivités territoriales, les démarches classiques de planification trop descendantes ne permettront pas de répondre à la complexité de ces enjeux, en particulier lorsqu’elles séparent trop nettement la stratégie de sa mise en œuvre. Ces lignes de crêtes nous appellent à davantage d’évolutivité dans nos modes de faire et un recours à l’expérimentation qui n’est pas monnaie courante dans nos politiques publiques et conduites de projets.
Voici la tribune d’Édouard Dequeker.
L’exigence du débat démocratique : retour sur les Entretiens d’Inxauseta 2023
Le 25/08/2023 se sont déroulés à Bunus dans le Pays Basque les désormais incontournables Entretiens d’Inxauseta, qui furent également l’occasion de célébrer le 50e anniversaire de l’association Supastera. L’expérience et l’énergie des organisateurs, tous bénévoles, ont contribué à façonner dans le temps un événement quasi-unique en son genre, capable de rassembler chaque année dans un village d’à peine 130 habitants un panel extrêmement divers de professionnels du logement : élus locaux et nationaux, architectes, promoteurs, aménageurs, constructeurs, grandes fédérations du secteur (Union sociale pour l’habitat, Fédération française du bâtiment…), professeurs-chercheurs mais aussi citoyens intéressés et conscients de l’importance des enjeux soulevés.
À l’heure de l’omniprésence des outils numériques comme canaux d’écriture, d’information et d’échanges, et du développement récent du télétravail, l’événement pourrait de prime abord passer pour suranné. Il n’en est rien. Si la mise en place ces dernières années d’une retransmission en direct n’a pas découragé la venue en nombre des participants, c’est bien parce qu’il s’y joue quelque chose de très particulier. Bien souvent de très haut niveau, les conférences et débats donnent lieu à des échanges riches, formels comme informels, parfois musclés mais qui dans leur ensemble provoquent un sentiment de respiration.
Évoluer sur des lignes de crêtes subtiles et complexes »Quotidiennement assaillis d’informations, de faits, de chiffres, d’opinions, de fake news, ni sourcés ni hiérarchisés et transitant de surcroît par les mêmes canaux, nous perdons subrepticement le goût et la capacité de la nuance. Loin de nous confronter à l’altérité et la diversité des opinions, les outils numériques nous enferment dans nos certitudes premières, qui se radicalisent ensuite par le biais de confirmation [1]. Emportés par les mêmes forces, nos débats politiques s’appauvrissent d’année en année, se résumant bien souvent à la mise en scène d’invectives binaires et de postures caricaturales. Alors même que les sujets se complexifient, du fait notamment de l’irruption des impératifs environnementaux dans les équations économiques, sociales et politiques existantes, nous peinons à trouver les lieux et canaux pour pouvoir les traiter convenablement.
La politique du logement ne fait pas exception. Malgré sa centralité dans la vie quotidienne de nos concitoyens, elle ne fait toujours pas l’objet d’un débat politique national digne de ce nom. Les nombreuses contributions orales et écrites à cette édition des Entretiens ont pourtant montré à quel point toute la filière allait devoir à l’avenir évoluer sur des lignes de crêtes subtiles et complexes, nécessitant plus que jamais les apports croisés d’expertises multiples, afin de dépasser certains simplismes.
L’écologie ou le social
Vers davantage d’évolutivité dans nos modes de faire »« Transition écologique et logement pour tous : l’impossible équation ? » : par ce titre l’édition de 2023 avait d’emblée affiché la couleur. Pas question de s’en tenir à une opposition de principe entre des impératifs écologiques et sociaux soi-disant irréconciliables. Dans leur tribune préparatoire aux Entretiens [2] synthétisée dans une introduction à la journée, Marie Defay
Enseignante @ ENSA de Paris-Belleville
et Jean-Claude Driant
Professeur @ École d’urbanisme de Paris
ont remarquablement posé les termes de l’équation. Quels effets sur les prix fonciers et immobiliers de la mise en œuvre progressive du zéro artificialisation nette (ZAN
Zéro artificialisation nette - Objectif de réduction de la consommation d’espace à zéro unité nette de surface consommée en 2050, fixé par le plan Biodiversité du Gouvernement en juillet 2018
) ? Quels risques à moyen terme de constitution d’un patrimoine immobilier à deux vitesses du fait des impératifs de rénovation énergétique et de l’interdiction des passoires thermiques ? Quel niveau de production de logements viser pour les prochaines années, alors que le bâtiment est un important contributeur d’émissions-carbone (26 % de l’empreinte du pays dont 60 % pour la construction) ? Quels types de biens privilégier selon les territoires ?
Qu’elles soient portées par l’État ou par les collectivités territoriales, les démarches classiques de planification trop descendantes ne permettront pas de répondre à la complexité de ces enjeux, en particulier lorsqu’elles séparent trop nettement la stratégie de sa mise en œuvre. Ces lignes de crêtes nous appellent à davantage d’évolutivité dans nos modes de faire et un recours à l’expérimentation qui n’est pas monnaie courante dans nos politiques publiques et conduites de projets.
Les vifs débats autour du ZAN l’ont bien montré, depuis la loi Climat et Résilience du 22/08/2021 jusqu’à l’adoption après commission mixte paritaire en juillet 2023 de la loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux. Focalisés sur le terme de « Zéro » et sur la formulation et l’application de contraintes chiffrées de réduction de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF Espaces naturels, agricoles et forestiers ), certains élus se sont insurgés contre une ingérence de l’État sapant leurs potentialités de développement et contribuant ainsi à une envolée des prix fonciers incompatible avec la production de logements abordables. Bon nombre de ces inquiétudes, exprimées lors de l’édition 2022 des Entretiens, étaient en décalage avec le contenu de la loi et surtout avec ce qui n’y figurait pas.
Consensus sur l’objectif de sobriété foncière »Le député Lionel Causse
Député de la 2e circonscription des Landes @ Assemblée nationale
a rappelé que d’autres propositions allaient inévitablement voir le jour dans les prochaines années pour affiner la définition et les outils de mesures de l’artificialisation, ainsi que les modalités de mise en œuvre du ZAN en matière de calendrier et de territorialisation. Et le vice-président de la Région Ile-de-France, Jean-Philippe Dugoin-Clément
Président @ Grand Paris Aménagement (GPA) • Président @ Établissement public foncier d’Île-de-France (Epfif) • Vice-président en charge de l’écologie et du développement durable @ Région…
, a ajouté que « lorsque l’on parle du ZAN, on parle de quelque chose qui n’existe pas, d’une trajectoire ». Les échanges ont montré que le consensus sur l’objectif de sobriété foncière [3] mais aussi les conséquences concrètes de sa mise en œuvre, avait depuis fait son chemin. Pour qu’une telle bifurcation de nos modèles de développement territorial puisse s’opérer, il nous faudra à l’avenir maintenir cette itération permanente entre stratégie et mise en œuvre, entre objectifs et contraintes.
Quant à l’effet sur la hausse des prix fonciers, Marie Defay et Jean-Claude Driant notent à juste titre que « le ZAN semble n’être que la partie émergée de problèmes fonciers bien plus structurels qui affectent la production de logements depuis plusieurs années. Les premières estimations réalisées par les aménageurs chiffrent le surcoût du renouvellement urbain de l’ordre de 15 à 25 % par rapport à l’aménagement d’un terrain nu. Au regard de l’augmentation moyenne de 200 % des coûts du foncier de ces 20 dernières années, bien que ces chiffres masquent de profondes disparités territoriales, le ZAN aura un impact bien modeste sur les prix de sortie ». Voilà donc un bon exemple des caricatures à éviter à l’avenir lorsque, face aux difficultés à trouver de nouveaux modèles économiques dans l’aménagement du tissu urbain existant, nous serons tentés de revenir sur cette exigence collective au nom d’arguments sociaux.
Propriété privée ou nationalisation du sol
Dans la continuité des débats sur le ZAN, les Entretiens ont montré à quel point la question foncière, pendant longtemps réduite à des approches purement techniques, désincarnées et dépolitisées, avait changé de statut. Délégué général de la Fondation Abbé Pierre et l’un des deux rapporteurs des travaux du Conseil national de refondation (CNR
Conseil national de la refondation - grande consultation publique dans le cadre du CNR lancé par le chef de l’État le 08/09/2022
) sur le Logement, Christophe Robert
Délégué général @ Fondation Abbé Pierre
a insisté sur l’alignement inédit de tous les acteurs - élus, aménageurs, promoteurs, constructeurs, architectes, associations… - en faveur de l’encadrement des prix des terrains. Aux côtés des coûts à bâtir, du coût des matériaux, du coût de l’argent, le foncier est en effet le seul facteur sur lequel la puissance publique puisse encore, semble-t-il, avoir prise. Un tel consensus semblait encore inenvisageable il y a quelques années, même si le rapport du député Jean-Luc Lagleize [4] avait déjà alerté dès 2019 sur cet enjeu et proposé de nombreuses pistes pour le faire.
Partageant pleinement le constat et l’étayant par des exemples précis, Arnaud Portier, directeur général de l’établissement public foncier local (EPFL Établissement public foncier local ) du Pays Basque, a pointé du doigt l’inadéquation entre l’efficacité de l’action publique et le principe constitutionnel de sacralisation de la propriété privée du sol (article 17). Même lorsque l’intervention publique ne consiste qu’en un changement d’affectation d’un terrain, n’affectant nullement le droit de propriété, celle-ci est continument mise à mal par des recours juridiques de propriétaires, tranchés quasi-systématiquement à leur avantage maximum par les juges de l’expropriation. En sacralisant ainsi la propriété privée du sol, les Révolutionnaires en ont fait un bien comme un autre, objet de stratégies spéculatives et levier de formation de certaines rentes et plus-values indues, subventionnées par la puissance publique. [5]
Questionner la propriété privée pure et simple du sol, est-ce à l’inverse nécessairement succomber aux sirènes du collectivisme et de la nationalisation du foncier, alors opportunément brandie par les détracteurs comme un épouvantail ? Nous retrouvons là un débat ancien sur les “biens communs”, depuis le célèbre article de 1968 par le biologiste américain Garrett Hardin.[6] Il y décrivait l’impasse dans laquelle les communautés humaines arrivaient inévitablement lorsqu’elles devaient gérer collectivement une ressource naturelle commune et limitée. Considérant l’exemple de terres communales que des bergers utilisent tous pour paître leurs vaches, il soutenait que ces derniers auraient chacun intérêt à augmenter leur nombre de vaches pour maximiser leurs gains individuels, puisque le coût est partagé entre tous les utilisateurs. La somme de ces comportements individuels provoquerait un épuisement collectif de la ressource.
La “tragédie des biens communs” (tragedy of the commons), c’est selon Hardin l’incompatibilité entre la propriété commune d’une ressource et sa durabilité. Deux seules solutions s’offriraient alors : la faire gérer par une autorité supérieure comme l’Etat ou la privatiser par division en propriétés parcellaires. Ce schéma a eu dans les années 1980 et 1990 une grande influence aux Etats-Unis et au sein de grandes organisations internationales et entreprises, prônant pour la gestion de ressources naturelles la privatisation et la création de marchés de droits d’usages.
L’approche en matière de biens communs reste à construire
L’argumentation repose cependant sur des hypothèses de pensée contestables et contestées. D’une part le schéma classique d’agents économiques, agissant exclusivement dans un but individuel de maximisation du profit à court terme et inaptes à toute coordination collective pour l’usage raisonné de la ressource. D’autre part une situation où l’accès individuel aux biens communs (commons) se fait librement et sans aucun intermédiaire institutionnel local dont l’histoire et la géographie nous ont pourtant largement montré l’existence (champs, forêts, rizières, zones humides…). L’étude théorique et empirique des différents systèmes de régulation de ces communs a valu le Prix Nobel d’économie de 2009 à Elinor Ostrom pour son célèbre ouvrage La Gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles (Cambridge University Press, 1990).
Généralisation des observatoires fonciers »S’agissant du foncier, l’approche en matière de biens communs reste à construire, mais ce détour théorique nous montre qu’elle peut et qu’elle doit se situer entre les deux scénarios extrêmes de nationalisation totale et complète, et de propriété privée pure et simple. Baux à construction, baux emphytéotiques, formes actuelles et élargies de dissociation entre le foncier et le bâti, recours renforcé à des outils existants comme les zones d’aménagement différé (ZAD Zone d’aménagement différé - secteur où une collectivité locale, un établissement public ou une SEM dispose pour 6 ans d’un droit de préemption sur toutes les ventes de biens immobiliers ) ou les orientations d’aménagement et de programmation (OAP Orientations d’aménagement et de programmation ), refonte de la fiscalité [7] appui et généralisation des observatoires fonciers, dispositifs d’incitations à la densification et à la surélévation, plafonnement des prix de vente dans les PLU Plan local d’urbanisme , mise à jour des valeurs cadastrales… Comme l’a rappelé Jean-Philippe Dugoin-Clément Président @ Grand Paris Aménagement (GPA) • Président @ Établissement public foncier d’Île-de-France (Epfif) • Vice-président en charge de l’écologie et du développement durable @ Région… , il n’y aura pas de recette miracle mais un ensemble d’outils à mobiliser conjointement et en complémentarité selon les cas. Une vision partagée pour l’ensemble de la politique du logement par le nouveau Ministre Patrice Vergriete, en clôture de la journée.
Enfin, appréhender le sol comme un « bien commun » consiste aussi en une révolution de pensée et de représentation. L’architecte-urbaniste Mathieu Delorme (Atelier Georges) a rappelé que le foncier était un outil pratique pour étendre le développement, mais aveugle à la profondeur des sols, lesquels abritent 50 % de la biomasse terrestre et 115 000 espèces. Le progrès de la recherche et la sensibilisation collective à leur richesse et fonctions écologiques ouvrent selon lui la voie à de nouvelles pratiques et de nouveaux modèles en matière de renaturation et de réparation, appelés à devenir l’un des leviers futurs de développement à l’aune du ZAN.
Construire… ou ne pas construire
Le degré, la nature et la localisation de la production neuve dans les prochaines années ont suscité d’intenses débats durant l’après-midi, avec en toile de fond un autre de ces questionnements binaires : faut-il ou non continuer à construire ? Les élections municipales de 2020 ont vu de très nombreux maires « débarqués » pour des motifs urbanistiques et l’acte de construire n’est plus du tout l’objet d’un consensus social et politique. De la mythologie du maire-bâtisseur, nous sommes passés en une dizaine d’années à peine à l’adage « maire-bâtisseur, maire battu ». Les habituels phénomènes de Nimby Not in my backyard : « surtout pas chez moi » ont été décrits durant la journée, aux côtés de témoignages sur le rejet de certaines formes de densité dans des contextes pourtant propices - des constructions en R+2 au lieu de R+5 en cœur d’une métropole régionale… Dans ce contexte, la contribution de la construction à l’empreinte-carbone du pays vient nourrir les partisans d’un ralentissement drastique de la production neuve.
Ce risque d’un arrêt de la construction neuve au profit de la seule rénovation et du seul réemploi a été clairement dénoncé, quelques semaines après l’annonce de la fin du dispositif Pinel et du Prêt à Taux Zéro, qui laisse effectivement plus qu’entrevoir un désengagement de l’Etat du soutien à cette production. Christophe Robert
Délégué général @ Fondation Abbé Pierre
a indiqué que « ce serait une erreur monumentale si l’exécutif faisait ce choix », ce qui reviendrait en fait à faire d’une prétendue nécessité budgétaire une vertu environnementale. Et Emmanuelle Cosse
Présidente @ Union sociale pour l’habitat (USH) • Administratice @ La Coop Foncière • Présidente @ Batigère Habitats Solidaires • Dirigeante @ MTEV Consulting • Conseillère régionale @ Région…
, Présidente de l’USH
Union sociale pour l’habitat - organisation représentative du secteur HLM : 720 organismes à travers 5 fédérations
, de renchérir en affirmant que « les exigences environnementales ne peuvent pas être le cache-sexe de l’inaction sur le logement ».
Il faudra continuer à « produire », c’est-à-dire à la fois construire et rénover. Marie Defay et Jean-Claude Driant développent dans leur tribune une analyse fine de l’évolution des niveaux de construction neuve depuis 2017, en modérant l’alarmisme des professionnels de l’immobilier et de la construction. D’une part parce que la baisse constatée prend comme année de référence 2017, soit une année record en termes de niveau de production. D’autre part parce que les projections de l’Insee L’Institut national de la statistique et des études économiques - certes à actualiser - renvoient à une baisse de la croissance annuelle du nombre de ménages à horizon 2050 - de 230 000 unités par an à horizon 2030 à 115 000 entre 2045 et 2050. Loin de considérer qu’il n’y aura plus besoin de construction neuve, ils notent « qu’entre malthusianisme politique, exigence écologique et possible modération des besoins, la perspective d’un retour aux rythmes de production élevés des métropoles au cours des années 2000 et 2010 semble assez improbable, ce qui rend encore plus important le fait de donner la priorité à la création d’une offre abordable ». L’enjeu sera donc moins de simplement construire que de parvenir à faire habiter.
Enfin, au-delà d’un débat purement quantitatif, la journée a également permis de débattre d’une transformation du processus de production. Présidente du Conseil national de l’Ordre des Architectes, Christine Leconte
Directrice @ ENSA de Paris-Belleville • Membre @ Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA) • Gérante @ Atelier K.N. Architecture • Architecte @ Conseil de l’État DRAC Normandie
• Christine…
a évoqué les progrès effectués par la profession en matière de formes acceptables de densité et de conciliation avec le besoin de nature, et plaidé en faveur d’une construction neuve en lien avec les filières locales et les circuits-courts. Elle a, à ce titre, appelé à une association de l’architecte plus en amont du projet et à une ré-interrogation du métier de promoteur.
Le lieu de la méthode
Nous n’avons là qu’esquissé des exemples de simplismes et de postures qui guettent nos débats publics à venir sur la politique du logement. Face à la complexité des enjeux et la fragilité des lignes de crêtes sur lesquelles nous allons devoir évoluer à l’avenir, la tentation de nous raccrocher à des arbitrages prétendument simples sera grande et permanente. Les rares lieux comme Inxauseta devront alors, avec d’autres, jouer ce rôle de garde-fous, afin de maintenir un niveau nécessaire d’exigence, non seulement technique mais également démocratique. À l’heure où nos pensées et débats se cloisonnent dans des tribus numériques et des silos intellectuels, faisant courir un risque majeur d’affadissement de nos démocraties représentatives, les Entretiens participent à atténuer l’individualisme et le désengagement ambiants.
Incohérences et d’injonctions contradictoires »De manière transversale, Inxauseta peut aussi contribuer à renouer un véritable dialogue entre l’Etat et les collectivités territoriales, qui s’est peu à peu distendu depuis une quinzaine d’années. Certes le législateur, dans ses réformes successives de l’État déconcentré, de l’organisation des collectivités territoriales et des finances publiques et locales, n’a pas été avare d’incohérences et d’injonctions contradictoires. Par ailleurs l’appréhension actuelle des politiques du logement par le seul prisme des économies budgétaires ne prête franchement pas à l’optimisme. Il nous faut cependant aussi nous méfier de postures parfois commodes de déresponsabilisation des échelons locaux dans les politiques conduites, dont les insuffisances / inadaptations ne seraient dues qu’à des manques d’outils et de moyens de la part de l’Etat. Nos débats s’enferment alors trop souvent dans un balancier permanent entre « au secours, l’État s’en va » et « au secours, l’Etat revient ». Là encore de véritables lieux et cadres pour l’échange font trop souvent défaut, et chacun des deux mondes - national et local - s’isole et s’enferme dans des représentations mutuelles biaisées et simplistes.
Ce que les Entretiens ont réussi à produire au fil des années, c’est le savant mélange d’un lieu à la fois militant et éclectique. La grande diversité des acteurs présents mais aussi le caractère de l’événement libère la parole tout en maintenant le respect de la contradiction. La journée nous renvoie en fait tout simplement au constat simple et limpide d’Etienne Klein : pour que nos démocraties retrouvent de la vitalité, il est nécessaire que les gens modérés s’engagent immodérément ; faute de quoi les discours tranchés et polarisants s’imposeront au détriment même de tout débat. Aurons-nous ainsi besoin de conforter et développer de tels lieux dans les prochaines années ? Il est permis de le craindre.
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. L’édition 2023 a eu lieu le 25/08/2023 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de l’urgence à agir. Jean-Luc Berho est président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
[1] Ces phénomènes ont été très étudiés en sciences humaines et sociales ainsi qu’en sciences cognitives. Le formidable ouvrage de vulgarisation d’Etienne Klein Le Goût du vrai (Gallimard, 2020) analyse ces principaux biais qui pervertissent notre rapport à la raison, au doute, à la complexité et à la vérité.
[2] « Transition écologique et logement pour tous : face à une équation complexe » (News Tank Cities, publié le 21/08/2023)
[3] Rappelons que l’artificialisation des sols a des effets environnementaux néfastes (perte de biodiversité, perturbation du cycle de l’eau, destruction des fonctions de puits de carbone des sols, formation d’îlots de chaleur…) mais aussi des conséquences socioéconomiques fâcheuses. Outre les surcoûts induits par l’étalement urbain, encore très difficiles à mesurer, ce mode de développement éloigne les populations des cœurs urbains, de l’emploi et des services, et les enferme dans une dépendance presque structurelle à la voiture individuelle qui, dans un contexte de crise énergétique appelée à s’installer dans les décennies à venir, pourrait constituer le terreau de futures crises sociales.
[4] « La maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction » (rapport remis en novembre 2019 par le député de la Haute-Garonne Jean-Luc Lagleize au Premier ministre, Édouard Philippe)
[5] Dans leur récent ouvrage consacré au rôle des terrains dans les dynamiques patrimoniales actuelles, Alain Trannoy et Etienne Wassmer ont chiffré à 7 000 milliards d’euros l’ensemble du patrimoine foncier national, en très forte hausse depuis vingt ans, et proposent de faire basculer 60 milliards d’euros d’impôts prélevés sur les salaires et investissements vers les rentes immobilières et foncières (Le Grand retour de la terre dans les patrimoines : Et pourquoi c’est une bonne nouvelle !, Odile Jacob, 2022).
[6] Garett Hardin, “The Tragedy of the Commons” (Science, 162, 1968, pp. 1243-1248)
[7] Sur ce point, les propositions ne manquent pas et de nombreux rapports, dont celui de Dominique Figeat (« La mobilisation du foncier privé en faveur du logement ») et celui du député Jean-Luc Lagleize, consacrent de très intéressants développements à une refonte de la fiscalité. Ils insistent respectivement sur la nécessité de transférer la taxation sur les transactions vers la taxation sur la détention, afin de fluidifier les transactions, et sur le besoin de taxer les plus-values foncières et d’en reverser le produit aux acteurs publics locaux.
Édouard Dequeker
Responsable pédagogique Management urbain et immobilier @ Essec Business School (Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales)
Ingénieur de recherche pour la chaire d’économie urbaine @ Essec Business School (Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales)
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Parcours
Responsable pédagogique Management urbain et immobilier
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Ingéneur de recherche pour la Chaire d’Economie Urbaine
Doctorant en économie urbaine
Master of Science in Management
Fiche n° 29018, créée le 22/02/2018 à 18:01 - MàJ le 23/08/2022 à 14:24
Entretiens d’Inxauseta
• Association Supastera / Les Entretiens d’Inxauseta
• Création : 1982
• Mission : organiser des événements culturels et sociétaux dans le village de Bunus (Pyrénées-Atlantiques) au cœur du Pays Basque
• Président : Jean-Luc Berho
• Tél. : 05 59 37 81 49
Catégorie : Association, Fondation
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Fiche n° 7547, créée le 29/08/2018 à 12:35 - MàJ le 12/11/2024 à 15:43