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Transition écologique et logement pour tous : face à une équation complexe (M. Defay et J-C. Driant)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°297655 - Publié le 21/08/2023 à 14:00
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Jean-Claude Driant et Marie Defay - ©  dR

La politique du logement, faisant fi à ce stade des réflexions des groupes de travail du conseil national de la refondation (CNR Conseil national de la refondation - grande consultation publique dans le cadre du CNR lancé par le chef de l'État le 08/09/2022 ), n’a pas encore fait d’autres choix que ceux des économies budgétaires. Le secteur est pourtant confronté à un triple défi du logement structurellement trop cher, d’une situation conjoncturelle inflationniste qui aggrave la situation et d’une remise en cause des modes de production et de gestion du logement. Une politique du logement digne de ce nom ne peut faire l’impasse sur ces trois défis et sur les liens qui les unissent ou les contradictions qui les traversent. Le constat du caractère multi-facette de la crise du logement est établi de longue date, co-écrivent Marie Defay Enseignante @ ENSA de Paris-Belleville
, consultante en développement urbain, enseignante à l’ENSA École nationale supérieure d’architecture Paris Belleville, et Jean-Claude Driant Professeur @ École d’urbanisme de Paris
, professeur à l’École d’urbanisme de Paris, dans une tribune adressée à News Tank le 21/08/2023.

Nous proposons de renverser la question de l'équation entre transition écologique et logement pour tous, en posant l’hypothèse que les enjeux écologiques et climatiques peuvent constituer un ensemble d’opportunités pour revoir en profondeur une politique à bout de souffle.

Voici la tribune de Marie Defay et Jean-Claude Driant qui animeront l’introduction générale des Entretiens d’Inxauseta le 25/08/2023 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques).


Transition écologique et logement pour tous : quelles réponses politiques à une équation complexe ?

La politique du logement, faisant fi, à ce stade, des réflexions des groupes de travail du conseil national de la refondation n’a pas encore fait d’autres choix que ceux des économies budgétaires. Le secteur est pourtant aujourd’hui confronté à un triple défi.

  • Celui de la crise désormais structurelle et déjà ancienne (plus de 20 ans) d’un logement trop cher qui génère des inégalités sociales massives, freine les parcours résidentiels, grève le budget des ménages des classes moyennes et laisse persister un mal logement endémique chez les plus pauvres.
  • Celui d’une situation conjoncturelle inflationniste qui aggrave encore, pour les ménages, les effets de la situation structurelle et y ajoute une crise immobilière qui frappe l’ensemble des acteurs du système : bailleurs sociaux, promoteurs et intermédiaires dans toute la chaine avec des conséquences pour un secteur massivement pourvoyeur d’emplois.
  • Celui enfin, tourné vers l’avenir, des impacts environnementaux de l’ensemble de la filière sur les émissions de gaz à effet de serre et sur la biodiversité qui génèrent déjà d’importantes remises en cause des modes de production et de gestion du logement.

Une politique du logement digne de ce nom ne peut pas faire l’impasse sur ces trois défis et sur les liens qui les unissent ou les contradictions qui les traversent. Le constat du caractère multi-facette de la crise du logement est établi de longue date. Il a généré une fréquence élevée d’initiatives législatives à l’affichage ambitieux (« engagement », « mobilisation », ELAN Évolution du logement et aménagement numérique - Loi « Logement » adoptée le 23/11/2018 par le Parlement …) mais aux effets souvent modestes et atténués par de plus discrètes mesures d’économie en lois de finances.

Perspective d’une bombe sociale à retardement »

Alors que la perspective d’une « bombe sociale » à retardement est pourtant reconnue, y compris par les responsables politiques en charge du sujet, aucun changement structurel à la hauteur des enjeux ne semble engagé pour la désamorcer. À l’inverse, la montée des inquiétudes liées au changement climatique et au recul de la biodiversité est souvent perçue comme génératrice de contraintes supplémentaires et d’accroissement des inégalités. Leur prise en compte semble un luxe réservé aux territoires les plus riches et aux propriétaires les plus aisés capables d’absorber les surcoûts générés par de nouvelles normes.

Nous proposons de renverser la question, en posant l’hypothèse que les enjeux écologiques et climatiques peuvent constituer un ensemble d’opportunités pour revoir en profondeur une politique à bout de souffle. Leur prise en compte, loin d’une contrainte supplémentaire, nous semble en effet révéler les failles structurelles des politiques mises en œuvre depuis plusieurs années. Trois dimensions de la question en sont une illustration : celle des interrogations sur l’opportunité de maintenir un rythme élevé de construction neuve, celle de la nécessaire sobriété foncière et celle de la rénovation énergétique du parc.

Continuer à construire autant ou construire moins ?

La campagne et les résultats des élections municipales de 2020 ont été marqués par une forte poussée des argumentaires opposés à la « bétonnisation » des villes avec les victoires de maires écologistes ou d’alliances dont une part des discours dénonçaient un urbanisme débridé. L’inquiétude à cet égard n’est pas nouvelle depuis le traditionnel nimby défensif et conservateur jusqu’à la dénonciation d’un productivisme mercantile, en passant par la promotion de villes apaisées et moins congestionnées.

Parallèlement, les milieux professionnels du logement et de la construction s’inquiètent d’une baisse de la production de logements neufs depuis 2017. De fait, le nombre de logements commencés connait une tendance baissière depuis 2018 (436 600 en 2017, 376 200 en 2022, soit une baisse de 14 %, baisse encore plus accentuée si on ne compte que les logements en immeubles collectifs : de 211 300 à 177 300, soit un recul de 16 % [1]). Promoteurs privés et bailleurs sociaux s’en inquiètent, mais semblent surjouer un alarmisme qui repose sur un recul très relatif. La baisse de la construction observée s’appuie sur la référence d’une année record.

Dans ce qui peut apparaître en première lecture comme une tendance conjoncturelle, qui sera nettement accentuée en 2023 et 2024 du fait des conséquences économiques et sociales du contexte géopolitique, apparaissent des signaux sans doute plus forts et argumentés, d’une remise en cause d’un rythme de construction qui serait inutilement élevé.

La tentation du scénario extrême »

Une première catégorie d’arguments relève de la problématique écologique et de la lutte contre le changement climatique. Elle repose sur l’importance du bilan carbone du secteur du bâtiment. Celui-ci serait responsable de 26 % de l’empreinte carbone du pays et la construction représenterait 60 % de l’ensemble [2]. Dans ces conditions, on ne peut s’étonner du fait que, dans l’objectif d’atteindre une société décarbonée en 2050, le scénario le plus efficace développé par l’Ademe Agence de l’environnement et de la maîtrise de l'énergie repose d’abord sur une « réduction drastique du nombre de constructions neuves » [3] rendue possible par une réduction de la vacance et du nombre de résidences secondaires, ainsi que par une « meilleure occupation des logements ». Ce scénario extrême conduirait à une production totale de 4 millions de logements entre 2015 et 2050, soit une moyenne annuelle de moins de 115 000 unités ! Un tel argumentaire est développé quasiment à l’identique par plusieurs think-tanks influents [4].

Insister sur une transformation de l’acte de construire

Ces scénarios qui n’énoncent jamais les modalités et moyens réels de leur mise en œuvre, ni leurs conséquences en termes d’emploi dans le secteur du bâtiment, ont pour point commun de souligner l’importance d’un renouveau des capacités de récupération et de recyclage du parc existant et d’insister sur une transformation de l’acte de construire pour le rendre plus économe en ressources et émissions. L’Ordre national des architectes, par la voix de sa présidente Christine Leconte Présidente @ Conseil national de l‘ordre des architectes (CNOA) • Architecte @ Conseil de l’Etat DRAC Normandie • Gérante @ Atelier K.N. Architecture
• Christine Leconte architecte-urbaniste, est…
, n’est pas loin de partager les mêmes perspectives : « Nos modèles sont à revoir drastiquement […] Donner la priorité à l’adaptation du bâti existant, parce que nous avons moins de matières premières, que la ville de demain est celle d’aujourd’hui, à 80 % “déjà là”, que les canicules mortelles s’accentuent. […] Nous pouvons transformer la ville, la réparer, la réhabiliter et la recréer à partir de l’existant. […] Rassurons-nous, nous vivrons toujours dans des maisons, mais nous construirons moins, et différemment » [5].

Critiques d’une production neuve inutilement abondante »

Parallèlement à cet argumentaire écologique, l’hypothèse d’un ralentissement de la croissance du nombre de ménages vient alimenter les critiques d’une production neuve inutilement abondante. Les dernières projections de ménages de l’Insee L’Institut national de la statistique et des études économiques remontent à 2012 et mériteraient d’être actualisées, mais les résultats de cette étude montraient qu’alors que le nombre total de ménages augmenterait d’environ 230 000 unités par an jusqu’en 2030, cette croissance ralentirait rapidement ensuite pour descendre à une augmentation moyenne de 115 000 ménages par an entre 2045 et 2050. Rien dans les évolutions plus récentes de la population et des modes de cohabitation ne semble susceptible de faire évoluer ce scénario. C’est aussi ce qui conduit la direction générale du Trésor à considérer que dans bien des cas la production nouvelle a excédé les besoins générés par la croissance du nombre de ménages, contribuant ainsi au développement d’un parc inoccupé [6]. On retrouve là une part de l’argumentaire écologique qui pointe la croissance de la vacance et des résidences secondaires comme constituant une sorte de parasitisme induit par une production excessive. Reste d’abord à vérifier si construire plus contribue réellement à alimenter cette croissance et ensuite à trouver les moyens de la freiner.

Il apparaît en tout cas clairement qu’entre malthusianisme politique, exigence écologique et possible modération des besoins, la perspective d’un retour aux rythmes de production élevés des métropoles au cours des années 2000 et 2010 semble assez improbable, ce qui rend encore plus important le fait de donner la priorité à la création d’une offre abordable.

Dans de telles conditions, un éventuel resserrement de la construction devra poser certaines questions plus clairement qu’aujourd’hui : quelles priorités territoriales adopter ? Quelles typologies et types de logement promouvoir ? Quelle contribution attendre de la production neuve pour fluidifier les parcours résidentiels ? Quels publics mettre en avant pour cibler l’offre nouvelle ?

Foncier plus rare, foncier plus cher ?

Les changements d’affectation des sols seraient la première cause de perte de biodiversité[7] à l’échelle mondiale. La consommation foncière pour produire la ville et notamment les extensions urbaines liées au développement de l’offre de logement provoquent l’artificialisation des sols [8] qui contribue largement à ce phénomène par la destruction des habitats et des continuités écologiques. Au-delà, la consommation des terres agricoles et des espaces naturels a de multiples conséquences sur l’environnement et la qualité de vie : elle mine notre indépendance alimentaire, perturbe le cycle de l’eau, contribue au réchauffement climatique, augmente notre dépendance à la voiture, peut dégrader nos paysages et nos cadres de vie…

Hausse mécanique des coûts des terrains »

Depuis plus de 20 ans et le vote de la loi SRU Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, du 13/12/2000, dont l’article 55 impose un quota de 25 % de logements sociaux en 2025, dans chaque commune de 3 500 habitants , alors que la lutte contre l’étalement urbain est affichée comme une priorité, l’artificialisation des sols s’est poursuivie à un rythme soutenu (quatre fois plus rapide que l’augmentation de la population), entraînant la décision de poser des contraintes plus strictes sous la forme de la mise en œuvre progressive du zéro artificialisation nette [9], le ZAN Zéro artificialisation nette - Objectif de réduction de la consommation d’espace à zéro unité nette de surface consommée en 2050, fixé par le plan Biodiversité du Gouvernement en juillet 2018 . Si la légitimité de l’objectif est très peu remise en cause, les risques liés à sa mise en œuvre sont néanmoins réels dans le contexte actuel où les fonciers bâtis et non bâtis sont déjà fréquemment l’objet de spéculations de la part d’investisseurs de tous profils. Il est redouté par de nombreux professionnels et élus que la rareté foncière entraîne une hausse mécanique des coûts des terrains. La loi promulguée le 20/07/2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, entend ainsi concilier sobriété foncière et développement économique.

Des processus d’aménagement plus coûteux »

La production de logements va par ailleurs devoir se concentrer sur des terrains déjà plus ou moins bâtis, où les processus d’aménagement se révèlent plus coûteux que sur des terrains nus. Ils doivent en effet prendre en compte des postes supplémentaires dans les bilans d’aménagement avec un impact économique significatif (dépollution, remise en état des sols, déconstruction, prise en compte du patrimoine, de la faune et de la flore…) et sont plus contraints que les extensions urbaines.

Mais le ZAN semble n’être que la partie émergée de problèmes fonciers bien plus structurels qui affectent la production de logements depuis plusieurs années. Les premières estimations réalisées par les aménageurs chiffrent le surcoût du renouvellement urbain de l’ordre de 15 à 25 % par rapport à l’aménagement d’un terrain nu. Au regard de l’augmentation moyenne de 200 % des coûts du foncier de ces 20 dernières années [10], bien que ces chiffres masquent de profondes disparités territoriales, le ZAN aura un impact bien modeste sur les prix de sortie.

S’interroger sur l’optimisation des infrastructures et services

Le ZAN est aussi l’opportunité d’une réflexion sur le coût des extensions urbaines peu denses, un modèle dominant aussi bien pour la production de logements que pour la création de zones d’activité économiques ou commerciales. Le coût de l’étalement urbain n’est presque jamais chiffré malgré le surdimensionnement des infrastructures et des réseaux qu’il entraîne, et malgré son impact sur le fonctionnement des services urbains et des activités. Répartis entre plusieurs organismes (plusieurs collectivités, syndicats mixtes, concessionnaires, opérateurs privés, individus), souvent étalés dans le temps (réinvestissements sur les lotissements, mais aussi sur les ZAE Zone d’activité économique - Site réservé à l’implantation d’entreprises dans un périmètre donné, créé et géré par une collectivité ), ils représentent des coûts cachés importants. La question de la sobriété foncière est donc l’occasion de s’interroger sur l’optimisation des infrastructures et des services, et de proposer une densité de qualité, acceptable et adaptée aux territoires.

L’étalement urbain a également produit d’importants gisements fonciers, bien que leurs qualités urbaines et leurs volumes varient là encore fortement selon les territoires. La méconnaissance de ce potentiel (état de la vacance, possibilités de densification, mutations en cours et à venir, stratégie des propriétaires) traduit des outils locaux souvent limités à des observations statiques du sol (quand ils existent) et un éclatement des ingénieries (services des collectivités, EPF Établissement public foncier - leur mission est d’acquérir des terrains (portage de terrains) en vue d’y construire des logements ou de nouveaux quartiers ou encore des équipements publics , aménageurs, agence d’urbanisme, syndicats de SCOT Schéma de cohérence et d’organisation territoriale - Créé par la loi SRU du 13/12/2000 : outil de planification stratégique intercommunale à l'échelle d’un large bassin de vie ou d’une aire urbaine , agences nationales…) d’autant plus problématique qu’elles agissent souvent sur des périmètres distincts et appliquent des stratégies parfois antagonistes.

Enfin, compte tenu des nombreuses limites des outils à la disposition des territoires notamment en matière d’encadrement des prix, d’acquisition, de dissociations fonciers bâti, le ZAN ne pourrait-il pas être l’opportunité de revoir le cadre législatif et réglementaire de l’action foncière des collectivités et de leurs opérateurs ?

Enjeux et périls de la rénovation énergétique

La rénovation des logements existants, et notamment des plus de 5 millions de passoires thermiques [11] que compte le parc de résidences principales en France selon l’Observatoire national de la rénovation énergétique est une préoccupation déjà ancienne, à l’échelle nationale et locale. L’une des caractéristiques fondamentales de ces politiques est le fait qu’elles cumulent des enjeux écologiques à moyen et long terme de ralentissement du changement climatique, ou au moins de l’adaptation à ses conséquences, et des enjeux sociaux à court terme de résorption de la précarité énergétique.

Les limites de MaPrimeRenov’ »

Mais si les volumes, jusque-là modestes, ont fortement augmenté avec la mise en place de MaPrimeRenov’ en 2020, pour atteindre plus de 700 000 en 2022, l’efficacité de la mesure ne semble pas pour le moment à la hauteur des enjeux. Alors que la rénovation globale est la seule efficace pour obtenir des économies d’énergie significatives (plus de 50 % d’économies pour les opérations globales réalisées en 2022), MaPrimeRenov’ reste principalement mobilisée sur des travaux qui ne concernent que le changement du système de chauffage. Les chiffres du 1e semestre 2022 publiés par l’ANAH Agence nationale de l’habitat sont sans appel. Seuls 6 % des dossiers concernent une rénovation globale (contre près de 70 % pour le chauffage individuel). Pire encore, ce chiffre est en baisse par rapport au même semestre en 2021 (en volume) [12]

Les rénovations globales qui visent notamment à l’isolation d’ensemble des bâtiments, sont beaucoup plus coûteuses que les rénovations qui concernent simplement le chauffage, l’eau chaude sanitaire, ou l’isolation des combles. Outre des coûts de travaux plus élevés, peuvent s’ajouter des frais liés à la remise en état des intérieurs et une perte de surface habitable, soit la suppression de précieux m2 pour les propriétaires, qu’il s’agisse de la qualité d’habiter ou de la valeur à la revente.

Revoir la durée d’amortissement des travaux

Comment expliquer que des travaux amortis sur le long terme peinent à trouver leur public malgré la multiplication des dispositifs et une large communication ? L’une des problématiques principales réside dans la durée d’amortissement de ces travaux, estimée à 30 ans en moyenne sur la base des économies d’énergie d’une rénovation globale. Outre le fait que de nombreux propriétaires de logements anciens sont âgés, la durée moyenne de détention d’un bien immobilier est estimée à une dizaine d’année (en forte augmentation ces derniers temps). La temporalité du retour sur investissement est difficilement compatible avec celles de la majorité des propriétaires.

Ces freins économiques et sociaux à la généralisation de rénovations efficaces font courir, à moyen terme, d’importants risques qui contribuent à faire monter l’idée de bombe sociale que constituerait le domaine du logement en France. L’évolution des politiques de rénovation ne peut en ignorer la perspective. Au moins deux risques majeurs peuvent être soulignés.

Mise en vente de logements devenus indécents  »

L’interdiction progressive de la mise en location des passoires énergétiques fournit un premier exemple de ces risques dont les premiers symptômes sont d’ores et déjà visibles dans de nombreux marchés immobiliers locaux, surtout urbains. L’afflux de mises en vente de ces logements devenus indécents peut laisser craindre, dans les grandes villes, l’émergence une pénurie d’offre locative. On peut en anticiper les conséquences à court terme, notamment pour les jeunes mobiles, clientèle classique de ce parc, d’autant que parallèlement le ralentissement de la primo-accession généré par le contexte économique contribue à geler beaucoup de logements locatifs.

Risque de clivage croissant entre patrimoines

Plus fondamentalement encore, le coût élevé d’une rénovation efficace met en avant le risque d’un clivage croissant entre les patrimoines rénovés et ceux qui ne le seront pas, faute de moyens des propriétaires, de décision des copropriétés et/ou de perspective de retour sur investissement. Ce sont donc, au premier rang, les propriétaires à ressources modestes qui risquent de subir les conséquences de ces obstacles en voyant s’éroder progressivement la valeur d’un patrimoine pour lequel ils auront souvent consacré l’essentiel de l’épargne d’une vie. Depuis le milieu des années 2010, Notaires de France analyse chaque année l’impact des étiquettes énergétiques sur les prix des biens vendus, leur « valeur verte ».

Impact plus fort de l’étiquette énergétique »

Dans la dernière étude publiée, portant sur 2021 [13] antérieure à la mise en œuvre des interdictions de louer, les analyses montraient un impact nettement plus fort de l’étiquette énergétique sur le prix des maisons que sur celui des appartements, mais il montrait aussi de fortes disparités régionales. Toutes choses égales par ailleurs, en Nouvelle-Aquitaine, les appartements de classes F et G se sont vendus 21 % moins cher que ceux de classes A et B. L’écart n’était que de 10 % dans le Grand Est et de 6 % dans les Hauts-de-France. Les interdictions locatives pourraient faire évoluer ces variables, à la fois en termes de quantités de logements mis en vente et d’impact sur les prix, notamment pour les appartements.

Nous n’en sommes probablement qu’au début de ce processus de différenciation des valeurs patrimoniales sur le critère de la performance énergétique. Les effets sociaux et politiques d’une nouvelle forme d’inégalité générée, au moins partiellement par l’action publique ne peuvent être durablement ignorés.

C’est ainsi qu’outre une accentuation des efforts de communication, de simplification des procédures et sans doute d’innovations technologiques permettant des rénovations efficaces moins coûteuses ou pénalisantes, il est nécessaire de développer de nouveaux outils d’ingénierie financière capable de rendre possible ce qu’il est aujourd’hui si difficile de généraliser. Au-delà des primes existantes et sans doute encore insuffisantes, n’est-il pas possible d’en démultiplier les effets par des mécanismes de tiers payant et/ou des offres de crédit peu couteuses et d’accès facilité ?

Prise en compte des enjeux climatiques et environnementaux

On le voit, l’articulation entre les enjeux sociaux majeurs de la question du logement et ceux des politiques environnementales renvoie à toutes les dimensions d’une acception large des politiques urbaines. Droit et fiscalité de l’urbanisme, arbitrages entre construction et rénovation, conception et mise en œuvre des mécanismes d’aides… En l’absence de recette miracle, c’est toute une gamme de modes et de moyens d’actions qui devront être mis en œuvre pour répondre rapidement aux exigences écologiques sans générer de conséquences sociales dangereuses pour les individus et pour les fragiles équilibres de la société.

Dans ces conditions, il semble illusoire de limiter les actions politiques à venir à l’ajout de quelques mesures supplémentaires aux dispositifs existants, et de faire l’impasse sur une refonte en profondeur. La prise en compte des enjeux climatiques et environnementaux, centraux dans tous les aspects de la question du logement, semble une boussole tout à fait pertinente bien plus qu’une nouvelle contrainte.

Pour de nouveaux modes de faire »

Il serait tout aussi illusoire de penser que de telles réformes pourront se faire sans revoir les conditions de leur application et donc les organisations qui les porteront. Parmi les questions à mettre sur la table figure celle des formes de l’articulation entre le national et le local. Rien de ce qui pourra être envisagé sur ces sujets ne pourra être mis en œuvre sans la prise en compte et l’implication des niveaux locaux dans leur diversité de volontés politiques et de moyens. Ces changements appellent de nouveaux modes de faire, et notamment une négociation avec les opérateurs privés pour laquelle les territoires ne sont pas, sauf exception, aujourd’hui outillés. Compte tenu de l’urgence et des profonds blocages en la matière, l’hypothèse d’une vaste réforme territoriale ne semble pas envisageable. Mais la question des ingénieries locales, de leurs compétences, de leurs articulations et de leur transversalité, de leurs temporalités, sera déterminante.

[1] Source : SDES Service des données et études statistiques - service statistique des ministères en charge du logement, des transports, de l'énergie, de l’environnement, du climat et du développement durable , Sit@del2 consulté en février 2023

[2] Production des matériaux, consommation énergétique pour les acheminer et sur les chantiers, recyclage… Données issues de l’Association pour le développement du bâtiment bas carbone (BBCA Bâtiment bas carbone - Label délivré aux bâtiments attestant « d’exemplarité en matière d’empreinte carbone » par Certivéa, Cerqual et Promotolec Services ).

[3] https://transitions2050.ademe.fr/generation-frugales

[4] Négawatt, The Shift Project, Pouget Consultants (2022) Construction neuve et rénovation. Les points communs des scénarios ADEME, négaWatt, The Shift Project et Pouget Consultants / Carbone 4, note présentée lors du Grand défi écologique, la 1ere Biennale de l’ADEME le 29/03/2022

[5] Tribune de Christine Leconte (Le Monde, 25/07/2022)

[6] Tardiveau T. (2020) « La construction et la rénovation des logements privés en France » (Trésor-éco, n° 261, juin 2020)

[7] WWF World Wide Fund for Nature - Fonds mondial pour la nature , Living Planet Report 2020

[8] Soit la transformation d’un sol naturel, agricole ou forestier, par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale, et leur affectation notamment à des fonctions urbaines ou de transport.

[9] Le ZAN introduit dans le cadre de la loi climat et résilience du 22 août 2021

[10] Triplement des prix du foncier sur la période 2000-2018, étude des notaires citée par les Échos 21.04.20

[11] Étiquettes  F et G du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE Diagnostic de performance énergétique - évaluation pour un logement ou d’un bâtiment, en évaluant sa consommation d'énergie et son impact en terme d'émissions de gaz à effet de serre )

[12] On notera toutefois que ces chiffres ne prennent pas en compte les ménages qui effectueraient plusieurs tranches de travaux successives

[13] Notaires de France (2022) « La valeur verte des logements en 2021 » (études statistiques immobilières, novembre 2022)

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition a lieu le 25/08/2023 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de l’urgence à agir. Jean-Luc Berho est président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Marie Defay


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Parcours

Agence de Développement et d’Urbanisme de Lille Métropole (ADU MEL)
Directrice générale déléguée

Fiche n° 40139, créée le 04/08/2020 à 09:21 - MàJ le 24/08/2022 à 07:56

Jean-Claude Driant


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Parcours

École d’urbanisme de Paris
Professeur
Institut d’urbanisme de Paris - Paris Est
Diplômé - DESS - DEA

Fiche n° 44070, créée le 18/07/2021 à 10:23 - MàJ le 12/05/2022 à 08:14

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