Du logement social solide au logement abordable liquide (Marcel Rogemont, président de la FOPH)
Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron visait à « valoriser les actifs » des bailleurs sociaux en les incitant à déployer leurs financements et leur gestion patrimoniale dans une logique de marché. La vente des logements sociaux et la levée de 11 Md€ d’emprunts obligataires par Action Logement
• Missions : faciliter l’accès au logement pour favoriser l’emploi
• Création : 1953 (Participation des Employeurs à l’Effort de Construction dit 1 % logement)
• Organisation :
- Action Logement…
symbolisent cette valorisation d’actifs à l’heure où des taux très faibles auguraient d’un financement aisé de « logements abordables », expression qui intègre le LLI
Logement locatif intermédiaire
. Cette offre provoque une modification sémantique de poids pour le secteur puisqu’on passe du logement social au « logement abordable » ou pour reprendre une autre métaphore, du logement social solide au logement abordable liquide, écrit Marcel Rogemont
Président (reconduit pour un 3e mandat le 12/12/2023) @ Fédération des Offices Publics de l’Habitat (FOPH) • Administrateur @ Néotoa
• Né le 03/01/1948 à Coye-La-Forêt (Oise)
, président de la Fédération des offices publics de l’habitat, dans une tribune adressée à News Tank le 04/07/2024.
Présenté au Conseil des ministres le 03/05/2024, le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables visait à provoquer un « choc de l’offre » pour débloquer la crise immobilière, tout en veillant à ne pas creuser la dette publique et donc en s’abstenant de soutenir le secteur locatif social. Le projet de loi est stoppé mais la dynamique reste la même : engendrer un véritable marché du logement intermédiaire, segment entre le logement social et le secteur privé. Là encore, il s’agit de s’appuyer CDC
Caisse des dépôts et consignations - Institution financière publique qui assure un service d’intérêt général et de développement économique pour le compte de l’État français et des collectivités
Habitat et Action Logement pour prendre le relais du dispositif Pinel et soutenir les promoteurs.
Le risque est que la production de LLI phagocyte la production de logements sociaux, les gisements fonciers se raréfiant. Les PLU
Plan local d’urbanisme
et les projets ne permettront pas aux promoteurs de densifier leurs opérations pour construire des LLI en plus des logements sociaux.
Voici la tribune de Marcel Rogemont.
Du logement social solide au logement abordable liquide
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Du logement social au logement abordable : une évolution sémantique lourde de conséquence
Le 1er quinquennat d’Emmanuel Macron visait à « valoriser les actifs » des bailleurs sociaux en les incitant à déployer leurs financements et leur gestion patrimoniale dans une logique de marché. La vente des logements sociaux et la levée de 11 Md€ d’emprunts obligataires par Action Logement symbolisent cette valorisation d’actifs à l’heure où des taux très faibles auguraient d’un financement aisé de « logements abordables », expression qui intègre le logement locatif intermédiaire (LLI).
Cette offre provoque une modification sémantique de poids pour le secteur puisqu’on passe du logement social au « logement abordable » ou pour reprendre une autre métaphore, du logement social solide au logement abordable liquide [1].
La massification de la production de LLI vise à (re)créer un segment locatif intermédiaire entre une offre sociale et une offre privée, occupée autrefois par le parc des investisseurs institutionnels, les “zinzins”. Entre 1981 et 2011, ce parc est passé de 1,2 million à 200 000 lots [2]. Il s’agit de développer cette nouvelle offre abordable en ayant recours aux deux financeurs et opérateurs du logement social que sont Action Logement, CDC Caisse des dépôts et consignations - Institution financière publique qui assure un service d’intérêt général et de développement économique pour le compte de l’État français et des collectivités Habitat • Missions : Logement social et intermédiaire, gestion locative, accession, à la propriété gestion d’immobiliers publics • Création : 1961 (en 2018, le groupe SNI devient CDC Habitat) • Forme… et leurs filiales ainsi que les bailleurs sociaux. Il s’agit aussi de se substituer aux investissements locatifs de type Pinel qui soutenaient la construction de logements à hauteur de 60 000 unités annuelles. L’objectif est de soutenir les promoteurs immobiliers et espérer drainer une partie de l’épargne des classes moyennes pour financer le LLI. Logement locatif intermédiaire
Ce tournant du logement abordable s’appuie sur des outils financiers préexistants à l’élection présidentielle de 2016 : en 2014, une filiale de la CDC, Ampère • Société de gestion (agréée par l’Autorité des marchés financiers) dédiée au logement intermédiaire et aux projets immobiliers. Revendique le financement de 32 000 logements• Statut : Filiale de… , lance le 1e Fond pour le Logement intermédiaire (FLI Fonds de logement intermédiaire 1) et lève 1,7 Md€ pour financer le logement intermédiaire. En 2019, le FLI 2 lève 1,2 Md€ en 2019 auprès d’investisseurs institutionnels. Action Logement, de son côté, créé en 2017 une filiale pour produire du logement intermédiaire, In’li • Filiale d’Action Logement dédiée au logement intermédiaire • Mission : permettre aux salariés et les jeunes actifs d’accéder au logement, faciliter la mobilité professionnelle, participer à la… . La production de logement intermédiaire a connu une accélération sensible, depuis 2021, avec près de 18 000 LLI annuels et plus de 30 000 en 2023.
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Quand la Vefa intermédiaire s’impose
L’histoire de la crise immobilière que nous traversons est connue. Pour le secteur du logement social, le taux auquel le secteur locatif social emprunte a ainsi augmenté de près de 3 points entre 2022 et 2023 : 1 point d’intérêt correspond à un endettement de 1,5 Md€ supplémentaire pour le secteur. La taxe annuelle sur le chiffre d’affaires des bailleurs (Réduction de loyer de solidarité d’un montant de 1,3 Md€) contribue à ce que les bailleurs choisissent entre rénovation ou construction de logements. La chaîne du logement qui articule les modes d’occupation est grippée à toutes les étapes : le fameux parcours résidentiel est ainsi brutalement bloqué.
Face à cette situation, que propose le Gouvernement comme nouveau choc de l’offre ? Une première réponse avait consisté en 2023 à solliciter CDC Habitat social Entreprise sociale pour l’habitat (ESH) née de la fusion de 13 ESH historiques du groupe CDC Habitat (Osica, Efidis, La Plaine Normande, La SAMO, Nouveau Logis Centre-Limousin, Coligny, Le Nouveau… pour l’achat de 17 000 logements invendus à des promoteurs afin de les transformer en 12 000 en LLI et en 5 000 logements sociaux. Action logement s’est engagé à acquérir 30 000 logements aux promoteurs privés en mobilisant la Participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC Participation des employeurs à l’effort de construction - Impôt versé par les employeurs sous forme d’investissements directs en faveur du logement des salariés. Appelé également le 1 % logement. , ex-1 % logement) : le secteur demeure contracyclique mais produit principalement du LLI au détriment du logement social, contrairement à la crise de 2008. Après 2008, les bailleurs sociaux ont été appelés à racheter des biens invendus des promoteurs pour les transformer en logements sociaux, amorçant un mode de production de logement social aujourd’hui intégré par les bailleurs sociaux et les promoteurs : la VEFA Vente en état futur d’achèvement - Contrat de vente « sur plan » sociale. Aujourd’hui, c’est bien la “VEFA intermédiaire” qui est promue.
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Le logement intermédiaire contre le logement social ?
Présenté au Conseil des ministres le 03/05/2024, le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables (DOLA) visait à provoquer un « choc de l’offre » pour débloquer la crise immobilière actuelle, tout en veillant à ne pas creuser la dette publique et donc en s’abstenant de soutenir le secteur locatif social. Le projet de loi est stoppé mais la dynamique risque de rester la même : engendrer un véritable marché du logement intermédiaire, segment entre le logement social et le secteur privé. Là encore, il s’agit de s’appuyer CDC Habitat et Action Logement pour prendre le relais du dispositif Pinel et soutenir les promoteurs.
Mais le risque est que la production de LLI phagocyte la production de logements sociaux, les gisements fonciers se raréfiant. Les PLU Plan local d’urbanisme et les projets ne permettront pas aux promoteurs de densifier leurs opérations pour construire des LLI en plus des logements sociaux. Les investissements nécessaires, estimés entre 2 et 4,5 Md€ par an [3], contribueront à opérer des choix stratégiques chez les bailleurs sociaux, entre une offre sociale et une offre intermédiaire. Enfin, comme le rappelait l’Institut Paris Region • Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne • Création : 1960 (Institut Paris Region depuis 2020) • Missions : réaliser des études et travaux nécessaires à la prise de décision… , « Les promoteurs privilégient parfois les ventes à destination du LLI, dont les opérateurs disposent de moyens conséquents et sont dispensés de la procédure administrative de l’agrément : ces ventes s’opèrent alors au détriment de programmes de logements sociaux […], la vente en bloc aux opérateurs de LLI permet au promoteur d’économiser les frais et les durées de commercialisation » [4].
En 2016, on produisait 1 LLI pour 9 logements sociaux en Île-de-France [5] pour un total de près de 40 000 logements abordables produits. Cette proportion est passée à 1 LLI pour 3 logements sociaux en 2020 pour un total de 30 000 logements abordables produits dont seulement 20 000 logements sociaux : le LLI ne stimule pas la production de logements sociaux, il tend à la cannibaliser.
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Vers l’autonomie financière du secteur locatif social
Comme d’autres secteurs (Universités, hôpitaux…), les pouvoirs publics visent à « autonomiser » le secteur locatif social. Ce véritable désengagement de l’État du logement social doit aboutir à ce que le secteur soit autonome financièrement, sans soutien public. Rappelons deux éléments cruciaux dans le chemin de l’autonomisation du secteur HLM :
- Loi de Finances 2018 : mise en place de la RLS Réduction de loyer de solidarité , taxe de 1,3 Md€ sur l’activité des bailleurs sociaux ;
- Loi ELAN Évolution du logement et aménagement numérique - Loi « Logement » adoptée le 23/11/2018 par le Parlement 2018 : obligation de regroupement ou de fusion des bailleurs sociaux.
Des mesures de « compensation » à la RLS ont été mises en place pour soutenir les investissements des bailleurs sociaux : la CDC et Action Logement ont ainsi multiplié les nouveaux produits financiers comme le PHBB Prêt de haut de bilan bonifié qui intègre dans le financement des opérations la vente des logements financés.
Les bailleurs dont certains ont fusionné entre eux se sont fait noter par les fameuses agences de notation. Les bailleurs les plus gros ont ainsi levé des obligations sur les marchés, dans un contexte favorable. Or comment faire face aux défis de la rénovation énergétique et du développement d’une offre locative sociale neuve, sans soutien public supplémentaire ? Certaines collectivités ont investi dans des plans d’urgence comme la Métropole de Lyon, avec 10 M€ supplémentaires programmés en 2023-24.
Mais « l’autonomisation » des bailleurs sociaux est surtout encouragée par la diversification de l’activité des bailleurs sociaux ainsi que par des mesures qui avaient été inscrites dans le projet de loi DOLA Développement de l’offre de logements abordables : la production du LLI comme on l’a détaillé ; mais aussi le durcissement du SLS Supplément de loyer de solidarité (SLS) - Majoration du loyer pour les personnes occupant un logement locatif social dont les ressources sont supérieures aux plafonds définis pour y avoir accès qui constituerait des ressources supplémentaires pour les bailleurs, ainsi que la hausse des loyers jusqu’au neuf. Ces mesures s’inscrivent dans un temps long, elles font figure de mesures techniques dont le durcissement s’élabore pas à pas. Mais les échecs des secteurs qui s’inscrivent dans une dynamique « d’autonomisation » doivent nous alerter sur le scénario d’un annoncé.
Conclusion
En mars 2024, le secteur du logement social a signé un “Pacte pour le LLI” qui encourage à financer en LLI les opérations d’acquisition-amélioration, de transformation de bureaux et logements, les résidences pour étudiants… Il s’agit de diversifier l’offre immobilière des bailleurs sociaux mais aussi d’encourager le développement des services adossés aux résidences services qui pourront être financées en LLI.
Mais si les LLI ne rencontrent pas leur demande, les bailleurs auront à assumer la vacance de ces logements ou d’impayés. En outre, la demande en logement social, ne cesse de croître pour atteindre 1,8 million de demandeurs non locataires du parc social. La création d’un marché du logement intermédiaire à marche forcée conduit à la segmentation entre un parc locatif social paupérisé et au développement limité, et un parc locatif intermédiaire dont l’échec serait catastrophique pour les bailleurs.
La priorité est pourtant de réguler les prix fonciers et immobiliers du secteur privé, responsables du blocage de la chaîne du logement : qui osera s’y attaquer ?
[1] Julien Leplaideur et William Le Goff, Le changement d’état du logement social, Esprit, septembre 2021, pp. 57-65.
[2] https://www.ihedate.org/IMG/pdf/logement_le_retour_des_zinzins_antoine_guironnet.pdf
[3] Développement de l’offre de logement locatif intermédiaire par les investisseurs institutionnels, CGEDD Conseil général de l’environnement et du développement durable -IGF, 2021. https://igedd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/notice ?id=Affaires-0012381
[4] https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/logement-locatif-intermediaire-comment-mieux-repondre-aux-besoins-des-menages-et-des-territoires-franciliens/
[5] « Retour sur 20 ans de production de logements sociaux », Le Moniteur, 12/08/2021.
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition est prévue le 30/08/2024 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème du logement. Jean-Luc Berho est président du conseil de surveillance de la Coopérative de l’immobilier à Toulouse, administrateur de l’association Aurore, administrateur d’Espacité et membre du Conseil national de l’habitat. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
Marcel Rogemont
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Député de la 3e circonscription d’Ille-et-Vilaine
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Fiche n° 33575, créée le 13/12/2018 à 19:07 - MàJ le 09/09/2024 à 15:04
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Fiche n° 6297, créée le 22/01/2018 à 04:43 - MàJ le 09/09/2024 à 15:04