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Législatives 2024 : Œdipe, ouvre les yeux et, surtout, ne les referme plus… (Mathias Levy-Nogueres)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°329322 - Publié le 21/06/2024 à 14:00
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Mathias Levy-Nogueres - ©  D.R.

Les dirigeants de la société civile doivent regarder en face leurs responsabilités face au risque de bascule vers l’extrême droite du pays, écrit Mathias Levy-Nogueres, dirigeant d’entreprise sociale, acteur depuis plus de 20 ans de l’économie sociale et solidaire dans le champ de l’habitat et de la ville, dans une tribune adressée à News Tank Cities, le 20/06/2024.

Milan Kundera, dans « L’insoutenable légèreté de l’être », fait écrire à son héros un article d’humeur qui dénonce l’aveuglement et la responsabilité des cadres et dirigeants qui ont conduit au dévoiement du régime communiste, qui savaient, et qui, face à l’horreur de ce qu’ils ont accompli, contrairement à Œdipe, n’ont jamais pensé à se crever les yeux… Pour nous, dirigeants dans l’économie sociale, porteurs de missions d’intérêt général, la bascule politique vers l’extrême droite que connaît notre pays actuellement est un constat d’échec douloureux.

Il est trop aisé d’imputer la charge de cette situation, qui remet en cause les bases mêmes de notre société, aux seuls acteurs politiques. Sans minimiser leur responsabilité, comment nous, qui exerçons des fonctions de dirigeants, parfois depuis plusieurs décennies, que ce soit dans le secteur privé, dans le secteur public ou dans l’économie sociale, pourrions-nous nous dédouaner de nos propres responsabilités ?

Voici la tribune de Mathias Levy-Nogueres dans la perspective des élections législatives les 30/06 et 07/07/2024.


Œdipe, ouvre les yeux et, surtout, ne les referme plus…

Les dirigeants de la société civile doivent regarder en face leurs responsabilités face au risque de bascule vers l’extrême droite du pays.

La responsabilité de la société civile. Milan Kundera, dans le livre « L’insoutenable légèreté de l’être », fait écrire à son héros un article d’humeur qui dénonce l’aveuglement et la responsabilité des cadres et dirigeants qui ont conduit au dévoiement du régime communiste, qui savaient, et qui, face à l’horreur de ce qu’ils ont accompli, contrairement à Œdipe, n’ont jamais pensé à se crever les yeux…

Pour nous, dirigeants dans l’économie sociale, porteurs de missions d’intérêt général, la bascule politique vers l’extrême droite que connaît notre pays actuellement est un constat d’échec douloureux. En ce qui me concerne, 25 ans d’engagement pour travailler sur la cohésion et le lien social, répondre à un besoin fondamental de logement, et se confronter à ce résultat : une société démembrée, des citoyens ne se sentant plus ni considérés, ni représentés, submergés et aigris par les difficultés du quotidien et la perte de sens et de projet commun.

Comment nous dédouaner de nos propres responsabilités ? »

Il est trop aisé d’imputer la charge de cette situation, qui remet en cause les bases mêmes de notre société, aux seuls acteurs politiques. Sans minimiser leur responsabilité, comment nous, qui exerçons des fonctions de dirigeants, parfois depuis plusieurs décennies, que ce soit dans le secteur privé, dans le secteur public ou dans l’économie sociale, pourrions-nous nous dédouaner de nos propres responsabilités ?

Un pouvoir d’alerte non exercé

Nous avons accompagné, ces dernières décennies, la lente et progressive complexification du monde dans lequel nous agissons : les déréglementations qui, par exemple, ont exposé nos habitants à subir la variabilité écrasante des prix de l’énergie ; la stratification continue des politiques publiques et la moindre efficacité et la perte de lisibilité qui en découlent ; une inflation législative et réglementaire jamais ralentie, interdisant toute évaluation, toute appropriation par les acteurs et toute évaluation partagée…

Dans le secteur qui est le mien, pourtant centré sur une mission essentielle pour le logement des ménages modestes, plusieurs politiques parmi les plus emblématiques se sont ainsi perdues dans une technocratisation désespérante. À l’image de la rénovation urbaine qui forge des promesses à 10 ans, voire à 15 ans, bien au-delà des horizons de vie des habitants, et ne les tient souvent que partiellement. Ou du droit au logement et de la transparence des attributions de logements sociaux, avec leurs lots d’exigences réglementaires multiples et d’objectifs souvent contradictoires, qui se heurtent à une absence d’appropriation ou de capacité à faire des acteurs.

Nous avons vu se construire ces impasses et nous n’avons rien dit, ou trop peu. Nous n’avons pas exercé assez fortement le pouvoir d’alerte, de mobilisation et de contestation qui était le nôtre.

Des opérateurs qui perdent leur raison

À l’inverse, de bonne foi le plus souvent, nous avons essayé d’intégrer cette complexité, de la surmonter, pour saisir les opportunités qui pouvaient se présenter, donner du sens et engager nos collaborateurs, continuer d’inventer et de déployer des nouvelles réponses.

Dans un climat de plus en plus concurrentiel »

Nous avons bâti des projets d’entreprise, nous avons modernisé et restructuré nos opérateurs, nous avons bataillé pendant des années pour faire émerger des nouveaux produits, des nouvelles réponses… Mais toujours sous la pression de réglementations changeantes et inachevées, de contrôleurs multiples, de financiers toujours plus inventifs, qui nous ont conduits à mener des batailles de titan pour des objectifs profondément justes et utiles, mais avec des résultats visibles trop souvent modestes. Nous avons intégré sans rechigner les nouvelles contraintes et les nouveaux enjeux des gouvernances actuelles et nous avons dû parfois livrer des batailles pour défendre nos organismes dans un climat de plus en plus concurrentiel.

Nous devions faire l’essentiel de ce que nous avons fait, certainement, et nous l’avons fait avec un engagement fort et sincère. Mais cette énergie déployée nous a éloigné de notre mission, de la vie vraie des gens et des territoires, de l’obsession de la considération envers les publics qui dépendent de nous. Nous nous sommes égarés, et nous avons fini par nous tromper de combats.

Des cadres dirigeants malgré eux acteurs du problème

Pire que cela, il faut reconnaître que nous avons sans doute tiré parti de la dérive de ce système. Cadres supérieurs du privé comme du public, hautement formés, nous avons peut-être trouvé dans cette complexité un terrain d’expression professionnel intéressant, qui rendait indispensable notre contribution, nous qui restions sans doute les derniers à maîtriser les codes et à être encore capables, dans un tel environnement, d’insuffler du projet et un peu de cohérence auprès de nos parties prenantes. Nous n’en avons pas eu conscience pour la plupart d’entre nous, et c’est cruel à admettre, mais nous avons sans doute contribué, par notre formation intellectuelle, à alimenter cette dérive.

Un devoir de vigilance et d’exigence »

Il ne s’agit pas de se crever les yeux, mais de les ouvrir grands sur les erreurs collectives que nous avons accompagnées, et parfois directement commises. Avec l’ensemble de nos collaborateurs, leur engagement et leur quête de sens jamais démentis, il s’agit de rebondir de refonder notre action sur la base d’une vision renouvelée et sans concession de notre mission, de nos obligations et de nos objectifs, au service du pacte républicain et social du pays. Il s’agit aussi de partager notre expérience avec la nouvelle génération, pour lui transmettre les devoirs de vigilance et d’exigence auxquels nous n’avons pas toujours su, collectivement, répondre.

Cette réflexion s’impose à tous les acteurs de la société civile. Notre avenir est aussi entre nos mains. Il y aura un après le 07/07/2024.

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition est prévue le 30/08/2024 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème du logement. Jean-Luc Berho est président du conseil de surveillance de la Coopérative de l’immobilier à Toulouse, administrateur de l’association Aurore, administrateur d’Espacité et membre du Conseil national de l’habitat. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

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