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ExclusifFin du rêve pavillonnaire : bâtissons la machine de guerre de la densité heureuse (D. Caniaux, Audap)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°327663 - Publié le 07/06/2024 à 17:30
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Denis Caniaux - ©  D.R.

Les impératifs du changement climatique, la nécessité de restaurer les fonctions écosystémiques environnementales de nos sols, mais aussi l’évolution démographique de notre société française, inéluctablement vieillissante, nous imposent de revoir nos modèles d’habiter et de nous loger, en particulier celui de la maison individuelle. Or on ne touche pas au « rêve pavillonnaire des Français ». La passion française pour le pavillon serait-elle culturelle ou profondément ancrée dans les gènes des Français ?, écrit Denis Caniaux Directeur général @ Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées (AUDAP)
, urbaniste, directeur général de l’Agence d’urbanisme Atlantique & Pyrénées (Audap Agence d’urbanisme Atlantique & Pyrénées ) à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), dans une tribune adressée à News Tank le 07/06/2024.

Pourquoi, aujourd’hui, ne serions-nous pas capables de construire une nouvelle « machine de guerre » pour promouvoir et mettre en œuvre un autre modèle d’habiter le territoire ? Nous l’avons fait pour les banlieues pavillonnaires et la maison individuelle. Renouvelons l’exercice pour promouvoir un nouveau rêve “Habiter des maisons partagées”.

La maison individuelle et banlieues pavillonnaires doivent faire l’objet de toutes nos attentions, d’élus, d’urbanistes, d’architectes, d’opérateurs… pour en assurer le renouvellement urbain. Elles sont nos villes de demain.

Voici la tribune de Denis Caniaux.


Bâtissons la machine de guerre de la densité heureuse !

Les impératifs du changement climatique, la nécessité de restaurer les fonctions écosystémiques environnementales de nos sols, mais aussi l’évolution démographique de notre société française, inéluctablement vieillissante, nous imposent de revoir nos modèles d’habiter et de nous loger, en particulier celui de la maison individuelle. Or on ne touche pas au « rêve pavillonnaire des Français » ! La passion française pour le pavillon serait-elle culturelle, profondément ancrée dans les gènes des Français ?

Déconstruire le rêve pavillonnaire

Puise-t-elle ses racines dans les pavillons de chasse de l’aristocratie du Siècle d’or, dans les maisons de villégiature de la haute bourgeoisie de la seconde moitié du XIX° siècle, dans les huttes de nos ancêtres les Gaulois, clin d’œil à Astérix et Le Domaine des dieux ? Dans les corons ouvriers du patronat paternaliste des mines et autres industries textiles ou sidérurgiques ?

Charles Fourier avait cependant proposé, dès 1833 avec son Phalanstère, une utopie plus collective pour l’habitat ouvrier, idée promue et réalisée par Jean-Baptiste André Godin dans le Familistère de Guise. Le Corbusier avec ses Cités radieuses lui a emboité le pas quelques décennies plus tard… Sur des modèles de logements devenus effectivement très collectifs d’immeubles de grande hauteur. Modèles repris dans les années 60 pour répondre aux besoins en logement suite au baby-boom, ils se sont traduits dans les constructions de vastes ensembles HLM aux portes des villes, assez loin des idées fouriéristes…

Les logements collectifs ont été plébiscités »

Ces premiers programmes HLM pourtant, il est bon de le rappeler, ont été très appréciés par les premiers habitants ! Les logements proposés apportaient un saut qualitatif énorme par rapport aux logements vétustes des centres anciens et, bien évidemment, par rapport aux taudis qui avaient fleuri après-guerre : immeubles neufs, logements dotés de tous les éléments de confort avec chauffe-eau, salle de bains, WC intérieur, chambres indépendantes, cuisine, placards, chauffage collectif ou plus rarement individuel, stationnement, caves. Un confort rare à l’époque ! Ces logements collectifs ont été plébiscités.

Pour un autre modèle d’habiter le territoire

C’est la décennie des années 70 qui a propulsé la maison individuelle « rêve des Français ». Un rêve totalement construit par un discours porté au plus haut niveau de l’État et une politique dotée de tous les outils pour le mettre en œuvre : prêts soutenus par l’État, solvabilisation des ménages accédants (APL Aides personnelles au logement correspondant à 3 types d’aides : l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement à caractère familial et l’allocation de logement à caractère social ), documents d’urbanisme adaptés, modalités juridiques opérationnelles, dispositif fiscal des collectivités favorable reposant sur la taxe d’habitation et la taxe sur le foncier bâti, véritables mamelles de la périurbanisation, industrialisation des modes constructifs, construction d’une filière d’aménageurs-lotisseurs-bâtisseurs, modélisation de puissants discours de propagande, facilitation des permis de construire sortis du champ exclusif des architectes… Une véritable « machine de guerre » économique et urbaine, qui a littéralement « labouré » et « dévoré » nos champs.

Territoires de repli individualiste et de non vie collective »

Alors pourquoi, aujourd’hui, ne serions-nous pas capables de construire une nouvelle « machine de guerre » pour promouvoir et mettre en œuvre un autre modèle d’habiter le territoire ? Nous l’avons fait pour les banlieues pavillonnaires et la maison individuelle. Renouvelons l’exercice pour promouvoir un nouveau rêve “Habiter des maisons partagées”.

Mon propos n’est pas de dénigrer le modèle pavillonnaire, de le critiquer jusqu’à la caricature en affirmant que les banlieues de lotissements ne sont que des territoires de repli individualiste, de non vie collective, ou que sais-je… Ce n’est évidemment pas le cas. D’autant que l’argument est réversible et qu’on écrit les mêmes choses sur les ensembles d’habitat collectif…

Pas encore libérés du modèle de l’urbanisme en plots

Si nous sommes maintenant guéris et affranchis des modèles de la Charte d’Athènes et de ses dérives mégalomaniaques, nous ne sommes pas encore tout à fait libérés du modèle de l’urbanisme en plots, ces résidences « quatre faces » posées sur des macro-lots dans des zones d’aménagement ou sur toute parcelle d’ailleurs, dès lors que le tissu urbain est un peu lâche et que l’on est sorti de l’hyper-centre et de son urbanisme de rues. Là-aussi, nous avons su construire une efficace machine de guerre avec son éco-système d’opérateurs immobiliers, son modèle juridico-opérationnels, ses “papes” de la signature architecturale, son modèle de financement et de défiscalisation, ses filières de commercialisation…

Qu’est-ce qui nous retient ? Qu’est-ce qui attache encore les décideurs et responsables politiques et économiques au modèle pavillonnaire ?

  • L’attachement viscéral des Français à la maison individuelle ? Il a été construit de toutes pièces.
  • La peur de la destruction d’une filière économique ? Elle s’est mise à mal toute seule.
  • La crainte de la disparition des rentes foncières des propriétaires, les premiers bénéficiaires du modèle ? Elles ont atteint de tels niveaux que le système économique ne peut plus suivre, les paysans, longtemps bénéficiaires du rêve pavillonnaire au travers de la cession de fonciers, partagent de moins en moins l’idée…

Ce qui nous retient d’abord c’est que nous pensons ne pas avoir de modèles alternatifs à proposer. Or ce n’est pas vrai : des initiatives ont fleuri partout sur les territoires ces dernières années : habitat participatif, maisons partagées, co-living Mode de vie communautaire qui comprend la colocation et le coworking , expériences coopératives…

Passons de la machine à rêver à une nouvelle machine de guerre

Profitons-en, élus, habitants, urbanistes, architectes, promoteurs publics ou privés, aménageurs, pour inventer de nouveaux modèles de logements collectifs. En travaillant sur les formes, bien sûr, et le bâti, pour lesquels de multiples solutions existent tels que l’architecture additionnelle ou parasitaire, le ré-usage, la réhabilitation, l’extension, la surélévation, mais aussi la construction de maisons collectives et partagées, sur des modèles inspirés de l’architecture vernaculaire ou sur de nouveaux modèles semi-collectif. En travaillant également les espaces publics, semi-publics, naturels, tout comme la programmation des types de logements, leurs espaces partagés, les communs… Et surtout, en construisant un écosystème financier, fiscal et règlementaire favorable, comme le fut celui qui promut la maison individuelle…

Le modèle du lotissement a été 'ruralicide' »

Nos villages et petites villes ne sont dévorés en leur périphérie par les lotissements que depuis 4 ou 5 décennies. Jusque-là, nous y vivions dans des maisons de bourg, avec des parties communes, des commerces en rez-de chaussée ou à proximité, des jardins collectifs, partagés ou publics… C’est plus sûrement le modèle du lotissement qui a été “ruralicide” que l’objectif ZAN Zéro artificialisation nette - Objectif de réduction de la consommation d’espace à zéro unité nette de surface consommée en 2050, fixé par le plan Biodiversité du Gouvernement en juillet 2018 (zéro artificialisation nette) de la loi Climat & résilience. Dans ce sens, je pencherais facilement pour bannir de la règle le lotissement de maisons individuelles et non pour revenir sur l’objectif ZAN. Notre futur habitable ne reposera pas sur ce modèle bâti de toutes pièces. Ou alors, ce futur ne sera pas désirable tant il sera gangrené par les conséquences environnementales du modèle pavillonnaire.

Des opportunités pour transformer ces espaces urbains

En écrivant cette tribune, je ne jette pas l’opprobre sur la maison individuelle ou les banlieues pavillonnaires. Elles doivent faire, au contraire, l’objet de toutes nos attentions, d’élus, d’urbanistes, d’architectes, d’opérateurs… pour en assurer le renouvellement urbain. Elles sont nos villes de demain : un nombre considérable de maisons individuelles arrivent et arriveront de plus en plus sur le marché, du fait du fort vieillissement et du décès de leurs propriétaires. Autant d’opportunités pour transformer ces espaces urbains.

Dessinons collectivement ce futur désirable d’un autre habitat, celui de maisons collectives ou partagées, de maisons urbaines, un futur porteur d’un autre vivre ensemble, d’un autre rapport au vivant, qui préserve les sols, l’infiltration de l’eau et le cycle de l’eau verte. D’autant que ce modèle à ré-inventer, nous l’avons connu dans une période pas si éloignée que cela… Construisons un nouveau récit d’habiter nos territoires, basé sur le vivre ensemble, la densité heureuse, en y mettant les moyens de sa mise en œuvre, règlementaires, financiers, fiscaux, opérationnels. Bâtissons une machine de guerre de la densité heureuse !

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition est prévue le 30/08/2024 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème du logement. Jean-Luc Berho est président du conseil de surveillance de la Coopérative de l’immobilier à Toulouse, administrateur de l’association Aurore, administrateur d’Espacité et membre du Conseil national de l’habitat. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Denis Caniaux


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Parcours

Établissement & diplôme

IU de Grenoble
DESS urbanisme et aménagement
Sciences Po Bordeaux (IEP Bordeaux)
Diplômé

Fiche n° 41918, créée le 20/11/2020 à 14:57 - MàJ le 07/06/2024 à 16:25

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