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Fondation pour le logement des défavorisés : le nom a changé, pas le combat (Christophe Robert)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°396034 - Publié le
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Christophe Robert, délégué général de la Fondation pour le logement - ©  Yann Levy-Agence

Après avoir révélé, avec le mouvement Emmaüs, les terribles comportements de l’abbé Pierre, la Fondation qui portait son nom est devenue la Fondation pour le logement des défavorisés Ex-Fondation Abbé Pierre• Statut : fondation reconnue d’utilité publique• Mission : agir pour le logement des défavorisés • Création : 1988 (reconnaissance d’utilité publique en… . C’est l’occasion de revenir sur les enjeux liés au logement et à l’action de la Fondation, écrit Christophe Robert Délégué général @ Fondation pour le logement des défavorisés
, délégué général de la Fondation pour le logement des défavorisés, dans une tribune adressée à News Tank le 23/04/2025.

Avec ce nouveau nom, la Fondation fait le choix de remettre au centre la question essentielle du logement. Question essentielle et pourtant bien malmenée en cette période, comme en attestent les principaux indicateurs de mal-logement et ceux liés à l’activité économique comme des politiques publiques dans le secteur.

Sur le plan social, la liste des tristes records ne cesse de s’allonger. Le 31/03/2025, la trêve des expulsions locatives a pris fin, laissant augurer des jours très difficiles pour des dizaines de milliers de ménages. 24 000 ménages, soit environ 50 000 personnes, ont été expulsés de leur logement par les forces de l’ordre en 2024. Ces chiffres inédits dépassent le précédent record de 2023 qui avait déjà approché les 20 000 ménages expulsés. Des données qui font froid dans le dos.

Voici la tribune de Christophe Robert.


La Fondation change de nom, pas de combat

Après avoir révélé, avec le mouvement Emmaüs, les terribles comportements de l’abbé Pierre, la Fondation qui portait son nom est devenue la Fondation pour le Logement des Défavorisés. L’occasion de revenir sur les enjeux liés au logement et l’action de la Fondation.

Avec ce nouveau nom, la Fondation fait le choix de remettre au centre la question essentielle du logement. Question essentielle et pourtant bien malmenée en cette période, comme en attestent les principaux indicateurs de mal-logement et ceux liés à l’activité économique comme des politiques publiques dans le secteur.

Sur le plan social, la liste des tristes records ne cesse de s’allonger. Le 31/03/2025, la trêve des expulsions locatives a pris fin, laissant augurer des jours très difficiles pour des dizaines de milliers de ménages. 24 000 ménages, soit environ 50 000 personnes, ont été expulsés de leur logement par les forces de l’ordre en 2024. Ces chiffres inédits dépassent le précédent record de 2023 qui avait déjà approché les 20 000 ménages expulsés. Des données qui font froid dans le dos sachant que les expulsions ont plus que doublé en 10 ans. Et encore, nous ne parlons ici que des expulsions avec intervention des forces l’ordre, mais on sait que deux à trois fois plus de familles sont parties avant pour éviter un traumatisme supplémentaire.

350 000 personnes sans domicile

De nombreux indicateurs montrent par ailleurs que les difficultés sociales se durcissent pour beaucoup et laissent présager des années très difficiles si d’importantes mesures de prévention ne sont pas rapidement mises en place. Je pense aux effets de l’inflation sur les produits de première nécessité et en particulier l’alimentation et l’énergie. La parenthèse inflationniste a laissé des traces : à consommation identique, la hausse des biens et services entre 2022 et 2023 représente en moyenne 1 230 € de dépenses supplémentaires par an et par personne. Un surcoût qui pèse en proportion bien plus fortement chez les ménages modestes qui dépensent plus pour l’alimentation et l’énergie que les plus aisés.

Et les conséquences sont d’ores et déjà palpables : 30 % des ménages ont souffert du froid dans leur logement l’hiver dernier (ils étaient 14 % en 2020). On assiste d’ailleurs à une explosion des réductions de puissance ou coupure d’énergie pour impayés qui ont concerné 1,2 million de ménages en 2024. Un record après une année 2023 déjà très inquiétante au cours de laquelle la barre du million de ménages avait été franchie et une réalité qui touche deux fois plus de ménages aujourd’hui qu’en 2020.

Une telle hausse devrait provoquer un électrochoc »

Autre chiffre alarmant : notre pays compte désormais 350 000 personnes sans domicile, en hébergement ou à la rue : un chiffre qui a plus que doublé depuis 2012. Une telle hausse devrait provoquer un électrochoc de la part des pouvoirs publics et de la société toute entière. Et pourtant, chaque soir l’État laisse entre 7 000 et 8 000 personnes (dont 2 000 enfants) à la rue, refoulées du 115, faute de places disponibles sans compter celles qui n’arrivent pas à le joindre ou ne l’appellent même plus. Plus glaçant encore, on dénombre 735 personnes mortes à la rue en 2023 : le chiffre le plus élevé jamais dénombré ces 12 dernières années par le Collectif les morts de la rue.

Un noyau dur du mal-logement

La liste serait encore longue pour rendre compte de ces terribles évolutions et des souffrances qu’elles génèrent au quotidien. Mais retenons qu’au final 4,2 millions de personnes sont non ou très mal-logées. Et qu’autour de ce noyau dur du mal-logement, se dessine un halo de 12,3 millions de personnes affectées par la crise du logement, à un titre ou à un autre, de manière moins prégnante, mais avec de réelles répercussions sur la vie de famille, la santé, l’environnement quotidien, le confort ou les fins de mois.

Ces durs constats appellent au déploiement de politiques publiques d’envergure. Avant tout parce que le logement renvoie à un besoin vital, mais aussi parce qu’il a des impacts majeurs sur d’autres dimensions essentielles de la vie de nos concitoyens : la santé, la scolarisation, le pouvoir d’achat, l’emploi, les mobilités, la vie familiale et citoyenne… Le logement joue aussi un rôle déterminant sur la manière dont se façonne la ville et sur la cohésion urbaine, de même qu’il recouvre de forts enjeux économiques, écologiques et pèse sur le développement des territoires. Et pourtant l’activité du secteur, comme les résultats des politiques publiques menées ces dernières années, ne sont guère plus réjouissants que les indicateurs relatifs à l’état du mal-logement.

Peu de perspectives de production à long terme »

Malgré les besoins dans de nombreux territoires, la construction est au plus bas. Seuls 263 000 logements ont été mis en chantier en 2024, contre 435 000 en 2017. Du côté du logement locatif social, la chute est spectaculaire : à peine 86 000 logements ont été financés en 2024, contre 124 000 en 2016 ; les pires résultats depuis 20 ans. Et les perspectives de production à long terme ne dépassent pas 72 000 logements par an si les paramètres du modèle de financements n’évoluent pas positivement d’ici là (je pense à la baisse du taux de TVA, au renforcement des financements publics…).

Effet dommageable pour les étudiants et jeunes actifs

Pendant ce temps-là, la demande de logement social s’envole et concerne 2,8 millions de ménages : un chiffre record qui a doublé en 20 ans. Pas surprenant quand on sait que le coût du logement (qui constitue le premier poste de dépenses des ménages) reste à un niveau très élevé et que pour beaucoup le logement social reste la seule alternative de qualité adaptée à leurs ressources. Une réalité à corréler avec l’effondrement des attributions de logements sociaux qui sont passées sous la barre des 400 000 en 2023, soit 100 000 de moins qu’en 2016.

100 000 logements en moins à proposer par an, c’est énorme ; mais là non plus, pas surprenant, étant donné la baisse de la construction et la baisse de la mobilité dans le parc social, liée notamment au fait que les marches entre le logement social et le locatif privé comme l’accession à la propriété, sont devenues trop hautes pour beaucoup.

Un risque pour les fonds propres des HLM »

De leur côté, les APL Aides personnelles au logement correspondant à 3 types d’aides : l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement à caractère familial et l’allocation de logement à caractère social (qui constituent le second levier de la protection sociale dans le domaine du logement au côté du logement social) ont été durement affaiblies, en particulier depuis 2017. Affaiblies à coups de désindexation, de réduction, de changement de mode de prise en compte des ressources dans le calcul du montant des aides (avec un effet dommageable en particulier pour les étudiants et jeunes actifs). Affaiblies en raison de la suppression de l’APL pour les accédants à la propriété ou du fait de la « baisse forcée » des APL et des loyers des logements sociaux qui pèse durement sur les fonds propres des Hlm (via la mise en place par le Gouvernement de la réduction dite « de solidarité »).

Au total, la baisse des APL représente de l’ordre de 4 Md€ par an. Avec pour effets une forte réduction des capacités des bailleurs sociaux (par ailleurs fragilisés par la hausse de la TVA, la hausse du taux du Livret A, celle des coûts de construction…). Mais aussi une baisse de performance des APL, lesquelles sont pourtant déterminantes pour favoriser l’accès et le maintien des ménages pauvres et modestes dans leur logement. En euros constants, les APL ont ainsi baissé de 25 % entre 2017 et 2023.

À causes politiques, réponses politiques

Ces réalités sont très inquiétantes. Elles donnent à voir que le logement est devenu un puissant facteur d’exclusion, mais aussi d’inégalités. D’inégalités face à la hausse des prix de l’immobilier entre ceux qui ne peuvent pas (ou plus) accéder à la propriété et les autres ; inégalités liées à l’impact du coût du logement sur le pouvoir d’achat qui pèse plus fortement en proportion et en reste à vivre (une fois les dépenses logements honorées) sur le budget des ménages pauvres et modestes ; inégalités liées au développement des ségrégations territoriales… Sans compter que la crise du logement touche de nouvelles couches de population et de nouveaux territoires. Je pense à ces territoires confrontés au manque de logements à loyers accessibles, à ceux qui subissent l’explosion des locations saisonnières et des résidences secondaires au dépend des locations à l’année…, sans que cela n’ait suscité de politiques publiques à la hauteur des enjeux.

Notre pays s’enfonce dans une profonde crise du logement »

Car malgré l’effondrement de la construction, malgré le grippage du marché immobilier et de nombreuses alertes sociales, le logement ne constitue plus une priorité de l’action publique. Pire, le logement est considéré par de nombreux décideurs publics comme un important gisement d’économie alors qu’il joue rôle central dans vie de chacune et chacun. Pour le dire autrement, notre pays s’enfonce dans une profonde crise du logement et de trop nombreux responsables politiques regardent ailleurs.

Tout ceci est préoccupant et appel à un sursaut politique. Car le mal-logement a des causes politiques et appelle donc des réponses politiques : il n’y aura pas de réponse aux personnes sans abri si le nombre de places d’hébergement stagne et si les locataires fragilisés sont davantage expulsés qu’aidés. Pas de solution au mal-logement tant que les bailleurs sociaux seront empêchés de construire davantage en raison de la ponction financière qu’ils subissent depuis 2018 et de la hausse de la TVA. Pas de meilleure adaptation des coûts du logement aux réalités des ressources des ménages tant qu’on ne construira pas davantage de logements économiquement accessibles et que des politiques de régulation des loyers, du foncier, des locations touristiques… ne seront pas adoptées.

Évaluer les politiques publiques et être force de propositions

Après de nombreuses années d’attentisme et de renoncements. Après un Conseil National de la Refondation dédié au logement qui a montré le fort volontarisme des acteurs du secteur pour trouver des solutions, mais aussi le décalage avec la puissance publique qui a fait le choix de ne pas se saisir de cette dynamique vertueuse. Après avoir souffert comme d’autres secteurs de la forte instabilité politique que connait notre pays [1], le nouveau Gouvernement et sa ministre du Logement, Valérie Létard Ministre chargée du logement @ Ministère de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation
, tentent aujourd’hui de recadrer un tant soit peu le tir.

Mais il faudra bien plus d’efforts, et dans la durée, pour inverser la tendance dans un domaine d’action où règne le temps long, un domaine qui nécessite une stabilité des règles et une prévisibilité des engagements de l’État. Il faudra aussi un fort recadrage social des politiques du logement et des logiques d’intervention plus préventives, sans quoi la machine à exclure par le logement continuera à battre son plein. Il faudra enfin la mobilisation de toute la société pour faire du logement l’un des trois ou quatre chantiers prioritaires de la Nation.

C’est en tout cas ce que nous allons nous employer à faire à la Fondation pour le logement des défavorisés dans les mois et années à venir, comme nous le faisons depuis plus de 30 ans. D’une part en continuant à financer grâce à la générosité des donateurs (97 % du budget de la Fondation est constitué de dons) des actions qui vont de la construction de logements très sociaux, à la lutte contre l’habitat indigne en passant par la création de lieu d’accueil pour les personnes sans domicile et de permanences d’accès aux droits liés au logement [2]… Et d’autre part en continuant à rendre visibles les difficultés de logement vécues par nos concitoyens les plus fragiles, en évaluant les politiques publiques et en étant force de proposition pour faire du logement l’un des leviers permettant de construire une société plus juste, plus digne, plus apaisée et plus écologique. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Alors on attend quoi ?

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho Président @ Les Entretiens d’Inxauseta (rendez-vous annuel sur le logement) • Président @ Soliha Pays Basque • Directeur Analyses Débats et Tribunes Cities @ News Tank (NTN) • Président @ Supastera… (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition est prévue le 29/08/2025 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème du logement. Jean-Luc Berho est président de Soliha Solidaires pour l’habitat, réseau PACT et réseau Habitat & Développement Pays basque, président du conseil de surveillance de la Coopérative de l’immobilier à Toulouse, administrateur de l’association Aurore, administrateur d’Espacité et membre du Conseil national de l’habitat (CNH Conseil national de l’habitat ). La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Christophe Robert


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Parcours

Haut comité pour le droit au logement
Membre, personnalité qualifiée
Bureau d’études associatif FORS - Recherche sociale
Sociologue

Établissement & diplôme

Université Paris Nanterre
Doctorat en sociologie

Fiche n° 33176, créée le 31/10/2018 à 12:32 - MàJ le 24/04/2025 à 17:29


[1] L’année 2024 aura été marquée par sept mois sans ministre du Logement en capacité de prendre des décisions, sachant que huit ministres du logement se sont succédé depuis l’élection d’Emmanuel Macron

[2] En 2024, ce sont ainsi plus de 800 projets de lutte contre le mal-logement et les exclusions qui ont été financés par la Fondation

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Christophe Robert, délégué général de la Fondation pour le logement - ©  Yann Levy-Agence