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Politique du logement : « Les débats liés à la conjoncture masquent son principal intérêt » (F. Rochon)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°195546 - Publié le 09/10/2020 à 12:04
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François Rochon - ©  D.R.

Combien de fois n’a-t-on pas reproché à la politique du logement un manque d’efficacité au regard de son coût, tout en prenant soin d’éviter de dire qu’elle rapporte beaucoup plus au budget de l’État ? Combien de dispositifs ont été simplement « restylés » pour donner l’apparence d’une formule nouvelle qui allait tout changer, quand seulement quelques points réglementaires avaient été ajustés ? La politique du logement semble devenue un sujet si entendu, avec ses habitudes, que les débats suscités par la conjoncture masquent son principal intérêt : elle concerne tous les jours chaque Français qui a besoin d’un toit. Elle constitue un grand sujet de société, écrit François Rochon Chargé de mission / CIFRE @ Union sociale pour l’habitat (USH) • Projet de recherche doctorale : « Le modèle hlm existe-t-il ? Le logement social dans la politique du logement contemporaine en… , diplômé de l’École d’urbanisme de Paris et spécialiste du logement social, dans un tribune adressée à News Tank, le 07/10/2020.

Revenir sur l’évolution des parts relatives de la propriété occupante, du locatif privé et du locatif social, a l’intérêt de déplacer la question prétendument pragmatique de l’évaluation des dispositifs publics, au regard de leurs objectifs politiques, vers la question objective des résultats effectifs de la politique du logement, en termes de construction. Il ne s’agit plus d’un sujet vaguement économique, dans lequel on enferme probablement beaucoup trop la question du logement, mais d’un sujet d’urbanisme qui inclut cependant la question des coûts à sa manière, écrit-il.

François Rochon est l’auteur de Le logement, l’habitat et le citoyen, une expérimentation républicaine aux éditions de l’Aube et a coordonné chez le même éditeur Habitants, Militants et un Abécédaire du logement. Ses recherches actuelles portent sur le modèle Hlm français.

Voici la tribune de François Rochon.


Dispositifs « restylés » pour donner l’apparence d’une formule nouvelle

Qu’est-ce qu’une politique du logement ambitieuse, juste et écoresponsable ? La question posée aux Entretiens d’Inxauseta 2020, le 28 août 2020 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques), a l’originalité de porter sur les finalités de la politique du logement, quand les débats s’attachent le plus souvent aux moyens. Combien de fois n’a-t-on pas reproché à cette politique un manque d’efficacité au regard de son coût, tout en prenant soin d’éviter de dire qu’elle rapporte beaucoup plus au budget de l’État ? Combien de dispositifs ont été simplement restylés pour donner l’apparence d’une formule nouvelle qui allait tout changer, quand seulement quelques points réglementaires avaient été ajustés ? La politique du logement semble devenue un sujet si entendu, avec ses habitudes [1], que les débats suscités par la conjoncture masquent son principal intérêt : elle concerne tous les jours chaque Français qui a besoin d’un toit, elle constitue un grand sujet de société.

Évolution lente mais constante

Pour en définir les enjeux, il est utile de la resituer préalablement dans sa trajectoire, en considérant la période contemporaine. La fin des années 1970, qui clôturent les Trente glorieuses, représentent un bon repère puisque c’est à ce moment-là que le pays connaît son pic de construction, sa grande réforme de financement, avec la montée en puissance des aides personnelles au logement contre les aides à la pierre, puis la 1e décentralisation.

Un autre fait moins connu mérite également d’être relevé, comme le note l’historienne Danièle Voldman : « En 1982, la France est devenue majoritairement un pays de propriétaires. Le changement était de taille sur le plan politique, social et symbolique » (Locataires, Propriétaires, Payot, 2016, p. 281). Or par la suite, la structure du parc de logement continue d’évoluer, lentement mais constamment, si lentement que le sujet paraît invisible, mais si constamment qu’au bout de 40 ans, la situation se transforme complètement.

Un sujet d’urbanisme

Revenir sur l’évolution des parts relatives de la propriété occupante, du locatif privé et du locatif social, a l’intérêt de déplacer la question prétendument pragmatique de l’évaluation des dispositifs publics, au regard de leurs objectifs politiques, vers la question objective des résultats effectifs de la politique du logement, en termes de construction. Il ne s’agit plus d’un sujet vaguement économique, dans lequel on enferme probablement beaucoup trop la question du logement, mais d’un sujet d’urbanisme, qui inclut cependant la question des coûts à sa manière.

Devenir propriétaire suppose un investissement lourd, un apport personnel et une capacité d’endettement ; avoir accès au parc Hlm suppose des conditions de ressources particulières, à la fois pour ne pas risquer que les ménages se retrouvent en difficulté pour régler leur quittance, tout en s’assurant aussi qu’ils entrent sous un certain plafond de revenus ; de même, signer un bail sur le marché libre de la location impose de réunir les conditions à même de convaincre le propriétaire, par exemple par une caution, qui signifie d’obtenir la garantie d’un tiers, disposant de revenus importants.

 Favoriser l’accession à la propriété et développer le parc social

Une fois posées ces 3 grandes catégories de logements, il est possible de relire selon ce critère l’évolution de la construction du logement en France. Jean-Pierre Lévy (directeur de recherche CNRS au Latts Laboratoire techniques territoires et sociétés ) en propose une interprétation globale dans son chapitre du rapport Le logement social dans la société qui vient, publié l’an dernier par l’Union sociale pour l’habitat. 

les grandes lignes, de la fin des années 1970 au milieu des années 2010, la France parvient à augmenter son parc de logements occupés par leur propriétaire de 8 millions d’unités : le parc double. De même, le parc Hlm augmente de 2 millions d’unités et double également. Les courbes sont assez lisses, la progression est relativement constante sur la période, elle représente un résultat significatif pour les politiques publiques menées en ce sens, voulant tout à la fois favoriser l’accession à la propriété et développer le parc social.

 22 000 unités environ, une quasi stagnation

En revanche, la trajectoire du parc locatif privé est très différente. La courbe oscille légèrement et le parc augmente sur la période de seulement 22 000 unités environ, soit une quasi stagnation, en comparaison des chiffres en millions des 2 autres statuts d’occupation. Ce résultat est d’autant plus étonnant qu’on connaît les efforts réitérés de la puissance publique, depuis les années 1980, pour encourager l’investissement locatif privé, notamment sous la forme de produits spécifiques, bénéficiant de défiscalisations parfois très substantielles au plan budgétaire.

Or, quoi de plus utile qu’un parc locatif privé abondant, pour répondre à la demande des jeunes couples voulant s’installer ensemble, des travailleurs qui changent de région pour évoluer dans leur carrière, des familles recomposées qui cherchent parfois dans l’urgence un logement supplémentaire, autant que possible en capacité d’accueillir leurs enfants… Force est de constater que le logement locatif privé, quantitativement, peut plus difficilement que par le passé, favoriser la mobilité interne au parc des résidences principales.

 Processus sociaux et urbains très complexes

Naturellement, il faut bien avoir à l’esprit qu’on évoque ici de façon schématique les modalités de distribution des ménages à l’intérieur du parc existant, et que les processus sociaux et urbains sont bien évidemment très complexes. La modélisation algorithmique que développe Jean-Pierre Lévy prend en compte de nombreux autres paramètres.

Par ailleurs, la stagnation du nombre de logements locatifs privés s’explique en partie par des politiques d’amélioration de l’habitat spécifiques, qui renvoient à la tradition historique de la politique du logement (voir notamment la sociologie du logement de Yankel Fijalokow, éditions La découverte, 2016). Mais le seul critère de la structure du parc au prisme des statuts d’occupation permet de bien saisir que le système du logement s’est transformé et poursuit actuellement sa trajectoire.

 1 dilemme et 2 hypothèses

Il s’ensuit qu’une politique du logement ambitieuse, tous qualificatifs confondus, ne peut faire l’impasse sur le dilemme qui se pose aujourd’hui :

  • soit poursuivre la trajectoire de construction et donc revoir le système politique de distribution des ménages qui dérive inexorablement vers une logique duale, forcément source d’une précarité grandissante ;
  • soit changer de politique de construction au détriment de la propriété individuelle, en relançant la location ou des formes innovantes de propriétés collectives, pour reprendre la main sur la trajectoire structurelle de l’habitat, et s’y tenir.

La 1e hypothèse fait le pari de l’adaptation et prend le risque de coûts sociaux exorbitants. La 2e fait le pari de l’innovation et prend le risque de démystifier le patrimoine immobilier. Une combinaison complexe de ces 2 hypothèses semble envisageable. En revanche, compte tenu de la situation sociale, la baisse du soutien public aux Hlm n’est pas une option. 

[1] La dernière grande réforme accidentelle des APL ne peut être entendue comme ressortissant de la politique du logement au sens des finalités, puisque sa motivation fondamentale est budgétaire.

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta sur le logement et l’habitat, qui ont eu lieu le 28/08/2020 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques), et président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur le logement, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

François Rochon


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Parcours

Union sociale pour l’habitat (USH)
Chargé de mission / CIFRE
Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés
Projet de recherche doctorale : « Le modèle hlm existe-t-il ? Le logement social dans la politique du logement contemporaine en France »
Association laboratoire français pour la politique de l’habitat
Rapporteur / Cycle de concertation
Union sociale pour l’habitat (USH)
Chargé de communication / CAP Hlm
Confédération Nationale du Logement
Chargé de mission / 51e Congrès
Cabinet HQB
Coordination des rencontres nationales du logement et de l’habitat

Établissement & diplôme

Université Paris-Est
Recherche doctorale en urbanisme, aménagement communautaire et régional
École d’urbanisme de Paris (UEP)
M2 Programmation architecturale et urbaine
Université de Poitiers
Maîtirse de géographie

Fiche n° 36313, créée le 10/09/2019 à 14:23 - MàJ le 08/10/2021 à 15:05

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