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Logement social : commentaire sur le rapport de la Cour des comptes (F. Rochon, urbaniste)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°230649 - Publié le 08/10/2021 à 15:30
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François Rochon - ©  D.R.

En juin 2021, la Cour des comptes • Juridiction indépendante, à équidistance du Parlement et du Gouvernement. • Missions : veille à la régularité, à l’efficience et à l’efficacité de l’usage des fonds publics (missions précisées… a remis au Premier ministre, Jean Castex, le rapport établi à sa demandé intitulé Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise. L’étude a pour but notamment de « formuler des propositions permettant de renforcer l’efficience des politiques publiques et de contribuer au retour à l’équilibre structurel » (in Lettre de mission, Annexe n° 1 p202-203). Parmi les principaux « enjeux sectoriels » (ibid.), figure la politique du logement, dont il s’agirait de « Différencier, cibler et simplifier les outils » (pp 158-162), écrit l’urbaniste François Rochon Chargé de mission / CIFRE @ Union sociale pour l’habitat (USH) • Projet de recherche doctorale : « Le modèle hlm existe-t-il ? Le logement social dans la politique du logement contemporaine en… (chercheur-doctorant « Politique du logement et logement social » à l’École des Ponts, ParisTech), dans une tribune adressée à News Tank, le 07/102021.

Le chapitre, qui comporte de fortes critiques à l’encontre du logement social, a fait l’objet de réactions vives, notamment de la part de l’Union HLM. Il est donc intéressant d’analyser comment, et sur quoi, les contributeurs et auteurs du rapport, sous la présidence de Pierre Moscovici, construisent leur approche.

Voici la tribune de François Rochon.


Texte sur le rapport de la Cour des comptes

En juin 2021, la Cour des Comptes remet au Premier ministre, Jean Castex, le rapport établi à sa demandé intitulé Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise. L’étude a pour but notamment de « formuler des propositions permettant de renforcer l’efficience des politiques publiques et de contribuer au retour à l’équilibre structurel » (in Lettre de mission, Annexe n° 1 p202-203). Parmi les principaux « enjeux sectoriels » (ibid.), figure la politique du logement, dont il s’agirait de « Différencier, cibler et simplifier les outils » (pp158-162).

Ce chapitre, qui comporte de fortes critiques à l’encontre du logement social, a fait l’objet de réactions vives, notamment de la part de l’Union Hlm (voir l’article de Localtis). Il est donc intéressant d’analyser comment, et sur quoi, les contributeurs et auteurs du rapport, sous la présidence de Pierre Moscovici, construisent leur approche.

Débat sur les choix politiques laissé dans l’ombre

L’objet de la Cour des comptes est de « s’assurer du bon emploi de l’argent public » (formule en exergue sur son site internet), il s’agit donc pour la juridiction de porter un regard systématique et rationnel sur les dépenses. La focalisation sur le seul volet financier justifie de privilégier le recours à des savoirs d’ordre économique (9 économistes sont auditionnés pour le rapport).

Cela explique aussi que le débat sur les choix politiques est laissé dans l’ombre et que les savoirs propres à chaque domaine de l’action publique ne sont pas directement mobilisés (aucun spécialiste de la politique du logement n’est auditionné, par exemple). C’est pourquoi, la 1e difficulté à la lecture du rapport consiste à bien saisir la nature des enseignements qui peuvent en être tirés, tout en ayant à l’esprit les limites propres à l’exercice.

Montant élevé par rapport à celui de nos voisins européens

L’introduction est éclairante à cet égard. Elle part du constat objectif des 38,5 Md€ dépensés pour le logement, un montant élevé par rapport à celui de nos voisins européens, ce qui suscite naturellement l’attention et le souhait de vouloir réduire ce chiffre ou du moins de l’optimiser, toutes choses égales par ailleurs. Un graphique présente l’évolution des prix du logement en fonction du revenu des ménages dans différents pays.

On peut y remarquer que l’Allemagne et les États-Unis ne connaissent pas la forte augmentation du taux d’effort qui se manifeste en France comme en Grande-Bretagne, à partir des années 2000. Mais paradoxalement, le rapport défend par la suite le modèle britannique, en prônant l’idée d’une spécialisation du logement social en direction des plus modestes. C’est probablement ici que la logique uniquement financière trouve sa principale limite.

La thèse implicite du rapport superpose 2 enjeux distincts de l’action publique »

En effet, la thèse implicite du rapport consiste à superposer deux enjeux distincts de l’action publique, quitte à remettre en cause le principe politique de leur équilibre. D’un côté, la Cour focalise sa critique sur le segment du logement social, parce qu’il est considéré comme une émanation de l’action publique, et son instrument privilégié en matière de politique du logement, compte tenu de son poids structurel (le parc locatif privé est quant à lui laissé au jeu naturel du marché, sur lequel se poserait simplement un débat fiscal). D’un autre côté, la Cour avance comme une évidence l’idée que le logement social devrait être dévolu « aux plus précaires » (p159).

Autrement dit, celui-ci aurait pour rôle d’être le logement des pauvres. En superposant les 2 enjeux, il en ressort que l’instrument principal de l’action publique pour le logement, les Hlm, devrait être consacré à loger les pauvres.

Inversion de la fin et des moyens

Puisqu’il est un impératif de l’État social d’apporter une solution de logement à tous ceux qui en ont besoin, et qu’un instrument majeur en matière de logement est disponible : autant faire habilement d’une pierre de coups et les finances publiques seront bien gardées. Mais pour valider cette conception, il est alors nécessaire d’envisager « la refonte du concept de mixité sociale » (p162).

En effet, la Cour n’ignore pas que suivre cette voie signifie concrètement d’accepter la ségrégation spatiale et de constituer des ghettos. Autrement dit, l’attention la plus rigoureuse portée à la bonne gestion des deniers publics pourrait conduire à transformer notre société en profondeur, jusqu’à une inversion de la fin et des moyens. La stratégie de finances publiques se muerait alors en projet politique.

2 circuits de financements alimentés par l’État

À ce point parvenu de la lecture du rapport, il est essentiel de ne pas répondre à son orthodoxie budgétaire attendue, par une critique militante de défense de principe du droit au logement, qui tomberait alors dans une aporie stérile. Au contraire, l’occasion est donnée de mieux cerner les limites conjointes des 2 positions, pour tenter de les articuler ensemble.

Il est éclairant d’introduire pour cela un second chiffre miroir de celui de la dépense publique, que le rapport ne cite pas. Certes les dépenses sont élevées en matière de logement, mais les recettes fiscales y sont elles aussi très appréciables, plus du double en réalité : 80,6 Md€ (Rapport du compte du logement 2019, p41). Si le principe d’universalité budgétaire commande de ne pas mettre directement en regard les sources des recettes et des dépenses, force est de constater que les 2 circuits de financements alimentés par l’État dans le secteur du logement sont particulièrement volumineux.

Choix de société éclairé pour l’habitat des Français

Une controverse durable s’installe donc, qui oppose d’un côté les financiers scrupuleusement économes, méconnaissant les logiques propres au logement, et de l’autre les praticiens du secteur qui revendiquent sans surprise plus de moyens à leur action. Entre ces 2 légitimités, le débat démocratique doit trancher une orientation nette, un choix de société éclairé pour l’habitat des Français.

Il revient aux responsables politiques nationaux de justifier à la fois les modalités d’intervention publique et l’allocation des fonds adéquats pour la politique du logement, en tenant compte de ses 2 volets, recettes et dépenses. À cette fin, la mobilisation des savoirs propre au logement n’est plus une option. Espérons que le débat présidentiel qui s’ouvre désormais sera à la hauteur de cette préoccupation majeure pour le pays, source d’inégalités de patrimoine grandissante, de plus en plus inquiétante tant pour la cohésion sociale que pour la reprise économique.

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. L’édition 2021 a eu lieu le 27/08/2021 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur la thématique : « Présidentielle 2022 : plaçons l’habitat au cœur du projet politique ». Jean-Luc Berho est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

François Rochon


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Parcours

Union sociale pour l’habitat (USH)
Chargé de mission / CIFRE
Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés
Projet de recherche doctorale : « Le modèle hlm existe-t-il ? Le logement social dans la politique du logement contemporaine en France »
Association laboratoire français pour la politique de l’habitat
Rapporteur / Cycle de concertation
Union sociale pour l’habitat (USH)
Chargé de communication / CAP Hlm
Confédération Nationale du Logement
Chargé de mission / 51e Congrès
Cabinet HQB
Coordination des rencontres nationales du logement et de l’habitat

Établissement & diplôme

Université Paris-Est
Recherche doctorale en urbanisme, aménagement communautaire et régional
École d’urbanisme de Paris (UEP)
M2 Programmation architecturale et urbaine
Université de Poitiers
Maîtirse de géographie

Fiche n° 36313, créée le 10/09/2019 à 14:23 - MàJ le 08/10/2021 à 15:05

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