Traiter le foncier comme un « bien commun au service de l’accès au logement pour tous » (D. Figeat)
Myopie des responsables politiques nationaux, de gauche comme de droite ? Il leur suffirait de se pencher un peu vers le sol pour apercevoir la racine des problèmes. Qu’est ce qui est à l’origine de la progression continue du coût du logement depuis 30 ans, de l’incapacité à se loger à des prix abordables dans des agglomérations pour une large partie de la population, et donc de son éloignement progressif des centres urbains, avec l’éclatement urbain et l’artificialisation des sols qu’il provoque : c’est le coût du foncier, écrit Dominique Figeat
Président @ Observatoire régional du foncier en Ile de France
, ancien président de l’Observatoire régional du foncier en Ile-de-France, dans une tribune adressée à News Tank le 12/05/2022.
L’énoncer est une évidence tant les études sur les évolutions des composantes des prix de l’immobilier et du patrimoine des ménages le montrent. Les prix des terrains à bâtir ont triplé, en moyenne, ces 20 dernières années lorsque les prix des logements, anciens eux-mêmes, ont doublé. L’inflation cumulée sur la même période n’a pas dépassé 35 %.
Conséquences : le patrimoine immobilier des ménages (7 000 Md€ en 2020) représentait 3,5 années de revenus en 2000 près de cinq années en 2020. La part du foncier dans de patrimoine est passé de 35 % à près de 50 % ! Personne ne s’émeut de chiffres aussi ahurissants.
Voici la tribune de Dominique Figeat.
Le foncier : bien commun au service de l’accès au logement pour tous
Bien que le logement soit considéré comme l’une des préoccupations principales des Français, il n’a guère fait l’objet de débats nationaux lors de l’élection présidentielle (à l’exception notable de celui organisé à chaque élection par la Fondation de l’Abbé Pierre). Chacun des programmes des candidats contenait des déclarations d’intention sur la nécessité de construire plus, mieux, moins cher. Ils pouvaient se distinguer par la part plus ou moins importante réservée au logement social ou à l’encadrement du marché locatif.
Les rares propositions concrètes ne brillaient guère par leur originalité et leur capacité à apporter une réponse sérieuse aux enjeux économiques, sociaux et urbains de l’habitat des Français. Représentant en moyenne près de 30 % des dépenses des ménages, il est pourtant au cœur de la question de leur pouvoir d’achat et des fractures sociales et territoriales qui divisent le pays. Quel paradoxe !
Se pencher vers le sol pour apercevoir la racine des problèmes
Le président Macron, dans sa tribune à News Tank Cities le 19/04/2022, déclare « vouloir redonner une place centrale au logement dans son projet » et « aller à la racine des problèmes ». Mais quelle est cette racine ? Apparemment « dans les verrous qui retardent la construction ».
En 2017, il fallait construire plus pour faire baisser les prix, avec le succès que l’on a constaté : moins de construction, des prix toujours en hausse. L’antienne réitérée depuis des décennies sur les excès de la réglementation, l’empilement des instances de décision, la lenteur des processus de construction n’a pas produit plus d’effets aujourd’hui qu’hier.
Myopie des responsables politiques nationaux, de gauche comme de droite ? Il leur suffirait de se pencher un peu vers le sol pour apercevoir la racine des problèmes. Qu’est ce qui est à l’origine de la progression continue du coût du logement depuis 30 ans, de l’incapacité à se loger à des prix abordables dans des agglomérations pour une large partie de la population, et donc de son éloignement progressif des centres urbains, avec l’éclatement urbain et l’artificialisation des sols qu’il provoque : le coût du foncier.
Trois leviers à mobiliser pour combattre la rétention foncière
L’énoncer est une évidence tant les études sur les évolutions des composantes des prix de l’immobilier et du patrimoine des ménages le montrent. Les prix des terrains à bâtir ont triplé en moyenne ces 20 dernières années lorsque les prix des logements, anciens eux-mêmes, ont doublé. L’inflation cumulée sur la même période n’a pas dépassé 35 %.
Conséquences : le patrimoine immobilier des ménages (7 000 Md€ en 2020) représentait 3,5 années de revenus en 2000 près de cinq années en 2020. La part du foncier dans de patrimoine est passé de 35 % à près de 50 % ! Personne ne s’émeut de chiffres aussi ahurissants. Le refus d’aborder sérieusement l’obstacle foncier est une constante des politiques publiques depuis des décennies.
Agir sur les conditions de production et de gestion du foncier urbanisable »Au delà des données nationales, il ne s’agit pas de gommer les importantes différences de situation selon les territoires et le volontarisme efficace dont ont pu faire preuve certaines collectivités. Ni de négliger certaines mesures positives prises ces dernières années au niveau national en faveur de la mobilisation du foncier public, la plus grande transparence des marchés fonciers, l’incitation à établir une stratégie foncière dans les documents d’urbanisme, la promotion des baux réels solidaires. Elles sont pourtant insuffisantes pour répondre efficacement à l’enjeu du coût et de la disponibilité foncière.
S’attaquer sérieusement à la racine des problèmes, c’est décider enfin d’agir sur les conditions de production et de gestion du foncier urbanisable au profit du plus grand nombre, dans un contexte environnemental qui impose de contenir la consommation foncière dans les zones urbaines et de réduire à zéro l’artificialisation nette des sols. Trois leviers doivent être mobilisés conjointement pour combattre la rétention foncière et la hausse démesurée des prix fonciers : l’anticipation, la régulation et la fiscalité. Ils exigent une intervention conjointe des collectivités locales et de l’État.
Aux premières de concevoir la stratégie foncière sur leur territoire, piloter son exécution avec les partenaires concernés et encadrer le fonctionnement du marché foncier. À l’État de fixer le cadre réglementaire national de la production et de la consommation foncière et de refonder l’architecture d’une fiscalité foncière et immobilière cohérente.
Acquisitions foncières pour réguler l’évolution des prix
L’anticipation doit résulter d’une planification locale conçue et mise en œuvre à la bonne échelle : agglomérations en province, couple Région-intercommunalités en Ile-de-France où se concentrent les problèmes les plus aigus. Les collectivités locales sont les acteurs politiques de premier rang pour piloter ces actions dans un cadre clairement décentralisé. Celles qui ne joueront pas le jeu prendront le risque de voir leur population s’évader pour rejoindre des territoires plus accueillants aux prix immobiliers plus raisonnables. L’État devra conserver un pouvoir de négociation financière, voire de contrainte réglementaire.
Disposer de réserves d’aménagement mobilisables à moyen terme »Cette anticipation doit s’appuyer de manière opérationnelle sur des acquisitions foncières destinées à réguler l’évolution des prix et disposer de réserves d’aménagement mobilisables à moyen terme. Les collectivités qui ont conduit depuis des années de telles interventions sont celles qui parviennent le mieux aujourd’hui à assurer la production de logements répondant aux besoins dans des conditions de prix abordables. Pour faciliter cette action les établissements publics fonciers (EPF Établissement public foncier - leur mission est d’acquérir des terrains (portage de terrains) en vue d’y construire des logements ou de nouveaux quartiers ou encore des équipements publics ) nationaux ou locaux jouent là où ils existent un rôle positif et déterminant pour accroître l’offre foncière et réguler les prix.
Parfois contestés à l’origine car supposés provoquer une rétention des terrains plutôt qu’une mise sur le marché, ils ont démontré au contraire toute leur pertinence lorsqu’ils sont utilisés à bon escient par leurs collectivités responsables. Une nouvelle étape doit être franchie pour étendre leur champ d’action, amplifier leurs moyens financiers et réglementaires afin qu’ils puissent jouer en milieu urbain un rôle régulateur comparable à celui des SAFER Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural en milieu rural.
S’il y a un verrou à faire sauter, c’est celui des contraintes imposées à leur fonctionnement par les services de Bercy qui brident systématiquement leur renforcement humain et leur accès à des ressources supplémentaires. Celles-ci doivent provenir d’une capacité financière accrue des collectivités grâce à une réforme de la fiscalité foncière et immobilière.
Taxation des flux et valeurs des stocks
Celle-ci, qui représente tout de même 70 Md€, marche depuis des décennies à l’aveugle et à rebours de toute efficacité. À l’aveugle car elle continue à reposer sur des valeurs cadastrales qui n’ont plus aucun rapport à la réalité.
Régulièrement annoncée par tous les gouvernements depuis 20 ans, la refonte des valeurs cadastrales qui fondent l’assiette des taxes locales est constamment différée. Personne ne s’offusque d’une telle paralysie qui ne s’ explique pas seulement par l’incurie administrative. Elle trouve surtout son origine dans le refus politique de traiter les conséquences d’une telle révision des valeurs qui créera inéluctablement des gagnants et des perdants.
Inefficace car elle privilégie en valeur relative la taxation des flux (mutations et plus values) plutôt que les stocks (propriété foncière bâtie ou non bâtie). Elle incite ainsi à la rétention et freine les transactions. En contrepartie elle contribue à l’enrichissement des propriétaires privés faiblement taxés sur l’accroissement de la valeur spontanée de leur patrimoine et bénéficiant, par ailleurs, des effets des aménagements et des équipements publics financés par la collectivité.
Enrichissement des propriétaires privés faiblement taxés »Que cette réforme soit politiquement difficile à faire admettre et techniquement complexe à opérer tant la fiscalité foncière et immobilière est imbriquée dans l’ensemble de la fiscalité locale et nationale est une évidence. Mais nous avons pu montrer qu’elle pouvait se concevoir dans un schéma de stabilité de la pression fiscale globale, avec transferts entre catégories concernées, en veillant à une application progressive sur une période de 10 ans (1).
Il s’agit donc, avant tout, d’une volonté politique au plus haut niveau pour considérer que la question foncière est la mère de toutes les batailles sur le logement et que puisse enfin se réaliser l’utopie d’Edgar Pisani d’une société où le foncier soit traité comme un bien commun au service de l’accès au logement pour tous (2).
(1) « Mobilisation du foncier privé en faveur du logement ». Rapport à Emmanuelle Cosse, ministre du logement (mars 2016)
(2) En juillet 2015, Dominique Figeat a été chargé par les ministres des finances et du logement d’une mission sur la mobilisation du foncier privé pour la construction de logements. Il a remis son rapport d’analyse et de propositions au Gouvernement en mars 2016
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition a eu lieu le 26/08/2022 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de l’urgence à agir. Jean-Luc Berho est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
Parcours
Président
Délégué à l’action foncière
Président
Pdg
Directeur général
Fiche n° 46044, créée le 13/05/2022 à 10:14 - MàJ le 13/05/2022 à 10:58
Observatoire régional du foncier en Île-de-France
• Missions : favoriser la connaissance et la diffusion d’informations foncières, éditer des statistiques, organiser des événements réguliers sur l’évolution du foncier en Île-de-France
• Création : 1987
• Présidente : Catherine Aubey-Berthelot (depuis juin 2024)
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Contact
Catégorie : Association, Fondation
Adresse du siège
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Fiche n° 7807, créée le 23/10/2018 à 07:27 - MàJ le 05/11/2024 à 14:27