Politiques de l’habitat et décentralisation : passer des discours aux actes (Jean-Claude Driant, EUP)
Dans sa tribune sur News Tank Cities le 19/04/2022, le président-candidat Emmanuel Macron
Président de la République @ Présidence de la République (Élysée)
se dit prêt à « un acte fort de décentralisation de la compétence logement aux intercommunalités et aux communes » en donnant « les compétences et les financements qui vont avec aux maires et aux intercommunalités ». Outre constater l’énigme que constitue la perspective de transférer des compétences à la fois au niveau communal et au niveau intercommunal, on peut se souvenir que cet objectifs avait déjà figuré au premier plan des intentions affirmées par le même Emmanuel Macron trois ans plus tôt., écrit Jean-Claude Driant
Professeur @ École d’urbanisme de Paris
, professeur à l’École d’urbanisme de Paris, dans une tribune adressée à News Tank le 25/05/2022.
Pourtant, les enjeux sont considérables et concernent tout le territoire national : ampleur des besoins dans les villes attractives, résorption du mal-logement partout, transition énergétique et mise à niveau du parc ancien, sobriété foncière et réduction des inégalités territoriales en matière d’accès au logement. Il apparaît de plus en plus clairement que les politiques nationales, même territorialisées de façon sommaire par les zonages actuels, ne sont plus en mesure de répondre efficacement à la diversité de ces enjeux et de la façon dont ils se posent dans le pays.
Dans un tel contexte, tout en constatant que la réalité des avancées de ces dernières années n’est pas à la hauteur des discours successifs, on ne peut qu’approuver l’intention affichée par le président de la République. Prenons-le au mot et apportons quelques pistes en la matière, déclinées en trois registres complémentaires.
Voici la tribune de Jean-Claude Driant.
Politiques de l’habitat et décentralisation. Passer des discours aux actes
Dans sa tribune mise en ligne sur News Tank Cities le 19/04/2022, le président-candidat Emmanuel Macron se dit prêt à « un acte fort de décentralisation de la compétence logement aux intercommunalités et aux communes » en donnant « les compétences et les financements qui vont avec aux maires et aux intercommunalités ». Outre constater l’énigme que constitue la perspective de transférer des compétences à la fois au niveau communal et au niveau intercommunal, on peut se souvenir que cet objectifs avait déjà figuré au premier plan des intentions affirmées par le même Emmanuel Macron trois ans plus tôt.
La version finale de la loi 3DS reste bien timide »Lors de la conférence de presse du 25/04/2019, consécutive au Grand Débat national qu’il avait lancé après la crise des gilets jaunes, le président de la République avait en effet annoncé « ouvrir un nouvel acte de décentralisation adapté à chaque territoire. […] ce nouvel acte de décentralisation doit porter sur des politiques de la vie quotidienne, le logement, le transport, la transition écologique, pour garantir des décisions prises au plus près du terrain ».
Force est de constater que la version finale de la loi 3DS Loi du 21/02/2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale [1] reste bien timide sur ce plan, consacrant l’essentiel des dispositions portant sur le logement à la prolongation des objectifs de diffusion du parc social dans les communes qui en manquent en application de la loi SRU Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, du 13/12/2000, dont l’article 55 impose un quota de 25 % de logements sociaux en 2025, dans chaque commune de 3 500 habitants .
Seul véritable pas en avant en la matière, l’institution des Autorités organisatrices de l’habitat constitue surtout une mesure symbolique reconnaissant par un statut nouveau les intercommunalités qui ont su s’approprier les compétences qui leur ont été progressivement imposées ou proposées depuis la fin des années 1990.
Le niveau intercommunal s’est imposé
C’est que, depuis les débuts de la décentralisation française, sans que presque aucune compétence du secteur du logement n’ait été formellement transférée, le niveau intercommunal s’est progressivement imposé comme chef de file des politiques locales de l’habitat. Celles-ci doivent jongler habilement avec les outils qui leur sont propres (les programmes locaux de l’habitat -PLH-, les plans locaux d’urbanisme -PLU-), des règles fixées à l’échelle nationale et qui leur échappent (la réglementation des aides et du logement social, les outils de la transition écologique et énergétique, la grande majorité des mécanismes d’aides publiques sociales et fiscales) et de multiples modalités de contractualisation portant sur la politique de la ville, la rénovation urbaine, la délégation des aides à la pierre, l’attribution des logements sociaux…
La complexité des montages n’est plus à démontrer »La complexité de ces montages n’est plus à démontrer, d’autant qu’il faudrait y ajouter la persistance des pouvoir exercés au niveau communal (notamment la délivrance des permis de construire) et l’importance de l’action sociale des départements, sans même parler des situations spécifiques à des Métropoles comme celles du Grand Paris et d’Aix-Marseille-Provence.
Et pourtant, les enjeux sont considérables et concernent tout le territoire national : ampleur des besoins dans les villes attractives, résorption du mal-logement partout, transition énergétique et mise à niveau du parc ancien, sobriété foncière et réduction des inégalités territoriales en matière d’accès au logement. Il apparait de plus en plus clairement que les politiques nationales, même territorialisées de façon sommaire par les zonages actuels, ne sont plus en mesure de répondre efficacement à la diversité de ces enjeux et de la façon dont ils se posent dans le pays.
Dans un tel contexte, tout en constatant que la réalité des avancées de ces dernières années n’est pas à la hauteur des discours successifs, on ne peut qu’approuver l’intention affichée par le Président de la République. Prenons-le au mot et apportons quelques pistes en la matière, déclinées en trois registres complémentaires.
Insuffisances de moyens d’ingénierie
Le premier d’entre eux propose de prendre au sérieux l’enjeu de différenciation qui semble aujourd’hui essentiel. Les villes françaises connaissent des situations très contrastées qui ne peuvent se résumer à la vision binaire de marchés tendus et détendus. Les programmes Action Cœur de Ville et Petites Villes de Demain prennent acte de cette diversité à côté des enjeux des Métropoles attractives.
Ce sont de premiers pas importants qu’il faut prolonger et pérenniser en répondant notamment, dans les villes petites et intermédiaires, aux insuffisances de moyens d’ingénierie locale qui ne sont plus compensées, comme elles l’étaient par le passé, par l’expertise et l’appui des services déconcentrés de l’État. Il y a là un enjeu majeur sans lequel il ne sera pas tenable d’assumer des compétences et des responsabilités nouvelles.
Mieux former les cadres de ces collectivités, rendre les postes attractifs, développer les fonctions d’appui des établissements publics fonciers (EPF), des sociétés d’économie mixte (SEM), de bailleurs sociaux et des réseaux associatifs sont des conditions pour la montée en compétence des acteurs locaux de l’habitat. A l’autre extrémité, les métropoles et les grandes intercommunalités « équipées » de leur histoire, de leurs administrations et de leurs opérateurs sont désormais en mesure d’assumer des responsabilités renforcées, ce qui renvoie au deuxième registre de propositions.
Autorités organisatrices de l’habitat
Là où les capacités à agir sont avérées, il est sans doute temps de passer un cap supplémentaire dans l’autonomie d’action des intercommunalités en matière d’habitat. Le statut d’autorités organisatrices peut en être le support. Sans doute ne s’agit-il pas de décentraliser au sens strict d’un transfert total et définitif de compétences, mais plutôt d’accroître les marges de manœuvre et d’élargir le champ des contractualisations entre l’État et ces communautés.
Élargir le champ des contractualisations entre l’État et ces communautés »On peut penser principalement, sur ce plan, à quatre domaines potentiels. Celui de réglementations associées aux zonages pourraient donner lieu à des ajustement locaux évitant les effets de frontière qui traversent parfois les périmètres intercommunaux ou permettant des ouvertures de droit négociées, sur projets, dans les zones théoriquement fermées à tel ou tel dispositif d’aide. Les aides à la rénovation énergétique peuvent constituer un deuxième domaine de contractualisation donnant plus nettement la main à des collectivités développant des projets et des mécanismes d’accompagnement plus ambitieux que ceux mis en place par l’État.
Troisième piste d’élargissement du champ d’action des intercommunalités, celle des formes de régulation des marchés. Une autorité organisatrice de l’habitat devrait, par exemple, pouvoir décider souverainement de mettre en place le dispositif prévu par la loi pour l’encadrement des loyers et d’ajuster les durées et modalités des locations touristiques dans le cadre de valeurs limites réglementaires.
Dernier point, plus complexe à mettre en œuvre, ne serait-il pas temps de transformer certains régimes d’aides à la production non contingentés et quasiment aveugles aux territoire (on pense notamment à la défiscalisation de l’investissement locatif dans le neuf ou le prêt à taux zéro) pour les intégrer à un régime élargi de délégation des aides à la pierre ?
L’avenir du Grand Paris
Parmi les métropoles, il en est une qui reste incapable de prendre en charge ces responsabilités. C’est celle du Grand Paris, troisième registre pour une action urgente. Son statut très spécifique a pourtant résulté de longs débats et suscité la rédaction d’un nombre considérable de notes et de rapports depuis au moins 20 ans. Rien n’y a fait et, là encore, la mise en œuvre de l’intention initiale du président de la République de « simplifier drastiquement les structures » du Grand Paris [2] en est restée au stade des mots.
En attendant, la plan métropolitain de l’habitat et de l’hébergement, prêt depuis 2018, n’est toujours pas approuvé et, à quelques exceptions près, la gouvernance d’un domaine si essentiel au fonctionnement de la métropole et à la vie quotidienne de ses sept millions d’habitants reste entre les mains de maires concentrés sur les enjeux micro-locaux de leurs communes. La réouverture de ce dossier ne semble toujours pas à l’ordre du jour, elle est pourtant nécessaire.
Par analogie avec le théâtre, on a coutume de désigner les étapes législatives de la décentralisation française comme les actes successifs d’une pièce inachevée. Dans le champ de l’habitat, au vu des constats posés et de l’ampleur des attentes, peut-être pourrait-on garder le terme pour en changer le sens en passant, pour cette fois, des discours aux actes.
[1] loi du 21/02/2022 relative à l a différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.
[2] conférence nationale des territoires, Sénat, 18/07/2017
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition a eu lieu le 26/08/2022 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de l’urgence à agir. Jean-Luc Berho est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
Parcours
Professeur
Diplômé - DESS - DEA
Fiche n° 44070, créée le 18/07/2021 à 10:23 - MàJ le 12/05/2022 à 08:14
École d’urbanisme de Paris (UEP)
• Établissement d’enseignement supérieur français
• Mission : formation aux métiers de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. Elle est issue de la fusion entre l’Institut français d’urbanisme et de l’Institut d’urbanisme de Paris opérée en 2015
• 350 étudiantes et étudiantes chaque année
• Création : 2015
• Effectifs : 51 enseignants, équipe administrative d’une douzaine de personnes
• Co-directeur : Marcus Zepf (Université de Paris-Est Créteil) et Jérôme Monnet (’Institut français d’urbanisme)
• Contact : Stéphanie Michel, service communication - 01 71 40 80 30
• Tél. : 01 71 40 80 40
Catégorie : Divers public
Adresse du siège
Cité Descartes, Bâtiment Bienvenüe14-20 Boulevard Newton
77420 Champs-sur-Marne France
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Fiche n° 8098, créée le 14/01/2019 à 05:33 - MàJ le 27/05/2022 à 09:15