Demandez votre abonnement gratuit d'un mois !

Logement : nécessité de ne pas mettre de côté l’urgence sociale (S. Depraz et J.-M. Mangeot, ESPI)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°263365 - Publié le 09/09/2022 à 09:00
- +
©  D.R.
Samuel Depraz (à g.) et Jean-Michel Mangeot - ©  D.R.

En 2022, les Entretiens d’Inxauseta ont été placés sous le signe de l’urgence. « Ne perdons pas de temps » : ce slogan, qui aurait pu n’être qu’incantatoire, a été dûment vérifié par de nombreux indicateurs. Parallèlement aux urgences climatiques et énergétiques de l’été, les intervenants présents, représentatifs de tous les secteurs du logement, ont confirmé la nécessité de ne pas mettre de côté l’urgence sociale que représente le secteur du logement, écrivent Jean-Michel Mangeot Directeur du conseil scientifique et de l’innovation @ Ecole Supérieure des Professions Immobilières (ESPI)
, directeur du conseil scientifique et de l’innovation de l’ESPI École supérieure des professions immobilières , et Samuel Depraz Directeur de la recherche @ Ecole Supérieure des Professions Immobilières (ESPI)
, directeur de la recherche, dans une tribune adressée à News Tank le 08/09/2022.

Dans ce contexte, l’heure n’était plus à la déploration, mais bien aux propositions et à leur mise en œuvre. D’une manière générale, un besoin d’anticipation accrue s’est imposé. Les différentes interventions ont fait ressortir la nécessité d’être dans le temps long et non, comme trop souvent, dans la réaction, comme l’ont fait ressortir la politique foncière et l’adaptation des logements au vieillissement.

Voici la tribune de Jean-Michel Mangeot et Samuel Depraz.


De la nécessité d’être dans le temps long et non dans la réaction

Les Entretiens d’Inxauseta ont été placés en cette année 2022 sous le signe de l’urgence. « Ne perdons pas de temps » : ce slogan, qui aurait pu n’être qu’incantatoire, a été dûment vérifié par de nombreux indicateurs. Parallèlement aux urgences climatiques et énergétiques de l’été, les intervenants présents, représentatifs de tous les secteurs du logement, ont confirmé la nécessité de ne pas mettre de côté l’urgence sociale que représente le secteur du logement.

Ont été rappelées, dès l’introduction de la journée, la hausse rapide du taux d’effort des ménages pour se loger, notamment dans les biens les plus demandés (T1 à T3) ; la pression démographique maintenue au moins jusqu’en 2040 sur les besoins en logement, quelles que soient les scenarii prospectifs retenus de l’Insee L’Institut national de la statistique et des études économiques [1] ; et la croissance numérique des segments de marché les plus fragiles que sont les jeunes et les personnes âgées. Malgré une apparente stabilité du ratio entre le coût des logements et les revenus, en moyenne, Jacques Friggtt
a bien démontré une paupérisation accrue de la catégorie des locataires. Outre la pression constante sur la production de logements, c’est donc l’inégalité d’accès au marché qui est en train de se creuser.

Penser le temps et réfléchir de façon transversale

Dans ce contexte, l’heure n’était plus à la déploration, mais bien aux propositions et à leur mise en œuvre. D’une manière générale, un besoin d’anticipation accrue s’est imposé. Les différentes interventions ont fait ressortir la nécessité d’être dans le temps long et non, comme trop souvent, dans la réaction, comme l’ont fait ressortir la politique foncière et l’adaptation des logements au vieillissement.

En matière foncière, contrairement à l’image répandue, le court-termisme est la pratique la plus fréquente de la puissance publique, tandis que le long terme est la règle des marchés. La puissance publique engage des travaux d’aménagement mais répugne, compte-tenu de l’annualité budgétaire, à acquérir les fonciers que ses travaux d’aménagement vont rendre attractifs, tandis que les marchés, profitant de la baisse des taux d’intérêt sur les 15 ou 20 dernières années, acquièrent les terrains, les portent et les revendront sans doute avec une belle-plus-value. Les opérations liées au projet du Grand Paris Express en sont un exemple majeur.

C’est le déni de vieillesse »

Autre exemple, les travaux d’aménagement par les seniors de leurs logements. Compte tenu de la démographie, il s’agit moins de répondre à un besoin croissant de dépendance que de prévenir les accidents, liés aux premières fragilités ; autrement dit, en matière de logements, on n’a donc pas tant besoin d’Ehpad Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes en France que de travaux d’aménagement des logements existants. Tous les avis concordent pour recommander que les aménagements soient réalisés vers 70 ans. En réalité, les travaux sont le plus souvent engagés trop tard par le senior qui n’anticipe pas. C’est le déni de vieillesse.

Enfin, il s’agit de penser le logement comme une politique transversale, et non sectorielle, en incluant dans la réflexion sur le logement abordable la question des mobilités, des relocalisations d’emplois et des services. La géographie des marchés compte, et la « tension » est partout sensible - ce qui remet d’ailleurs en question la distinction entre zones tendues et détendues. De manière relative, tous les territoires, même les plus ruraux, semblent contraints par une inadaptation entre les caractéristiques de prix, de taille et de localisation de l’offre - même en cas de vacance de logements - et les attentes ou capacités financières de la demande.

Généraliser les observatoires

La meilleure connaissance des marchés suppose, comme préalable à toute politique publique, une généralisation des observatoires du foncier et de l’immobilier à l’ensemble du territoire national et une mise en cohérence des bases de données en immobilier, avec un accès plus aisé à leur interprétation [2]. Il s’agit de disposer d’une analyse objective et quantifiée des différentes tendances de son marché, de l’évolution d’une batterie d’indicateurs pertinents.

Aux mains de fournisseurs de données privés »

On en reste encore, trop souvent, au simple constat de l’occupation des sols. Il manque à la décision publique un outil prospectif sociologiquement et spatialement plus fin, à jour et dont la couverture nationale soit complète. Dans l’attente, l’information reste fragmentée et essentiellement aux mains de fournisseurs de données privés. L’objectif est de donner aux territoires les outils pour déterminer une stratégie d’utilisation du foncier efficace et pertinente.

Réduire les inégalités générationnelles

Il n’est pas possible de piloter le logement en en restant à une approche globale des besoins. Les moyennes sont trompeuses et masquent les caractéristiques fines des marchés, tant le logement est segmenté par catégories d’habitants et par bassins de vie.

Une première table ronde s’est focalisée sur la situation des « jeunes » - catégorie bien vague, dans laquelle il faut distinguer les besoins des étudiants et autres jeunes en sur-mobilité, d’une part, de ceux des jeunes actifs, en recherche d’une première implantation stable d’autre part. La sur-mobilité, c’est désormais moins d’un an, voire plutôt six mois de présence en moyenne dans un logement. Il faut donc accélérer l’attribution des aides existantes (APL Aides personnelles au logement correspondant à 3 types d’aides : l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement à caractère familial et l’allocation de logement à caractère social et bourses) pour suivre ce rythme rapide.

De même, face à la pression exercée sur le parc privé par les locations saisonnières, l’offre en résidences temporaires (CROUS, FJT Foyers de jeunes travailleurs , CIS Cohabitation intergénérationnelle solidaire …) doit être renforcée, car elle ne suit pas le rythme des besoins. Tout en accélérant la production de petites surfaces dans les grandes agglomérations, il semble possible de mobiliser le parc social en adaptant certains logements au court séjour et à la colocation : les normes comme les outils de gestion des bailleurs sociaux ont déjà été adaptés à cet usage et ces logements ont le mérite d’être déjà construits, donc mobilisables rapidement.

Logements déjà construits, donc mobilisables rapidement »

S’agissant des seniors, les perspectives démographiques qui font ressortir une explosion des 65-80 ans et une relative stabilité des plus de 85 ans d’ici à 2040 montrent que nous avons moins besoin d’une loi grand âge que d’une loi vieillissement. Engagés dans une dynamique politique, culturelle et sociale, combatifs, les jeunes retraités peuvent être considérés comme un bénéfice pour les territoires d’accueil par leur investissement local.

En matière de logement, pour prévenir les premières fragilités, le projet de loi devra inciter à l’adaptation des logements  ; deux mesures ont été évoquées, d’une part, prévoir un crédit d’impôt transférable aux descendants s’ils réalisent les travaux pour le compte de leur ascendant, de l’autre, permettre que l’APA Allocation personnalisée d’autonomie puisse être utilisée à la fois pour des travaux d’adaptation et le recours à une aide-ménagère. Par ailleurs, la relative « richesse » des seniors cache de fortes inégalités de retraite -par exemple entre cadre et agriculteur, entre homme et femme- et de patrimoines (propriétaires occupants à faibles revenus) ; c’est pourquoi la table ronde a avancé l’idée, pour lutter contre la faiblesse des retraites des épouses dont la carrière aurait été interrompue pour élever les enfants, d’une patrimonialisation des droits à la retraite avec liquidation en cas de divorce à égalité entre conjoints, comme cela se fait ailleurs en Europe depuis 30 à 40 ans.

Lutter contre la raréfaction et le renchérissement du foncier

Affecté par les mesures de lutte contre l’étalement urbain, le foncier devient un facteur central de hausse des prix du logement. La doctrine du « zéro artificialisation nette » amplifie une raréfaction de l’offre en foncier constructible entamée depuis le tournant des années 2000. Si le sujet est bien identifié, son traitement à l’échelle nationale reste malgré tout en retrait.

Besoin de capacités de portage foncier »

Face à la faible capacité des opérateurs publics à assurer une veille efficace sur le marché foncier, et pour mieux anticiper les opportunités d’achat visant à sécuriser les emprises foncières les plus stratégiques pour les collectivités, il s’agit donc de mieux mobiliser les outils de planification existants, que ce soit le PLU Plan local d’urbanisme ou bien les périmètres d’étude et d’intervention que constituent les ZAD Zone d’aménagement différé - secteur où une collectivité locale, un établissement public ou une SEM dispose pour 6 ans d’un droit de préemption sur toutes les ventes de biens immobiliers ou les OAP Orientations d’aménagement et de programmation , par exemple. Mais cela passe aussi par une capacité de portage foncier, difficile pour des collectivités locales à faibles moyens. La systématisation des établissements publics fonciers, un conventionnement plus aisé avec eux, avec des temporalités de portage étendues au-delà des 5 à 10 années actuelles, pourrait aider.

Plus généralement, le foncier relève aussi d’un débat politique : la contrainte foncière forte est-elle le meilleur levier pour atteindre l’objectif écologique sans dégrader l’accessibilité au marché du logement ? Les options sont ouvertes, entre une meilleure adaptation des surfaces consommées aux impératifs écologiques, selon des critères d’absorption des précipitations, de respect de connexités écologiques par exemple ; une révision de la notion d’artificialisation par la réécriture en cours des décrets de la loi Climat & Résilience telle qu’elle est en cours ; ou, à l’inverse, une dissociation plus systématique entre foncier et bâti sur le principe du bail réel solidaire.

Certains appellent même une réforme constitutionnelle permettant de considérer le sol en tant que bien commun, mais l’on atteint alors les limites posées par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce qui suppose plus qu’une réforme législative ordinaire.

Conclusion : territorialiser

Enfin, est apparu unanimement un besoin de territorialisation  : un consensus s’impose pour que cesse l’imposition de règles uniformes décidées à Paris, qui se révèlent inadaptées à la réalité du terrain car les territoires sont tous différents. À l’unanimité, les intervenants réclament que les politiques d’urbanisme et de logement soient territorialisées, que les territoires puissent ajuster les outils et les aides à leurs besoins, voire créer des outils territoriaux, qu’à l’instar de ce qui se fait dans le programme petites Villes de Demain, l’État accompagne les politiques locales et, le cas échéant, mette à disposition des territoires les plus modestes, les moyens humains nécessaires pour mener à bien les projets territoriaux.

Naturellement, à l’imitation de l’expérience du « Pinel breton », il est accepté que l’État contingente le montant des aides pour éviter que la territorialisation conduise à un dérapage budgétaire. Au total des analyses convergentes, des solutions de bon sens qui, pour la plupart, font consensus, preuve, s’il en était besoin, que les solutions sont connues. Il ne faut plus perdre de temps mais les mettre en œuvre.

[1] Insee (2021) Projections de population pour la France, méthodes et hypothèses, document de travail / https://www.insee.fr/fr/statistiques/5893639

[2] On ne peut, à ce sujet, que valider le rapport de la Cour des Comptes du 18/07/2022 sur « La production et l’utilisation des données utiles à la politique du logement » / https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-production-et-lutilisation-des-donnees-utiles-la-politique-du-logement

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La dernière édition a eu lieu le 26/08/2022 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de « l’urgence à agir ». Jean-Luc Berho est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Samuel Depraz


Consulter la fiche dans l‘annuaire

Parcours

Université de Lyon Jean Moulin (Lyon 3)
Maître de conférences en géographie-aménagement
Université Paul Valéry - Montpellier 3
Moniteur en géographie-aménagement

Établissement & diplôme

École normale supérieure de Lyon (ENS de Lyon)
Agrégation Géographie

Fiche n° 38204, créée le 21/01/2020 à 14:36 - MàJ le 08/09/2022 à 18:51

Jean-Michel Mangeot


Consulter la fiche dans l‘annuaire

Parcours

Ecole Supérieure des Professions Immobilières (ESPI)
Directeur du conseil scientifique et de l’innovation
MNK Partners
Senior advisor
Finance-Innovation
Membre du comité de sélection de start-ups immobilières
Roland Berger
Senior advisor

Fiche n° 47171, créée le 08/09/2022 à 17:44 - MàJ le 08/09/2022 à 18:24

Ecole Supérieure des Professions Immobilières (ESPI)

Groupe ESPI (École Supérieure des Professions Immobilières)
Activité : établissement d’application spécialisé dans l’immobilier dont les titres sont reconnus par l’État
• Création :
1972
• Président du groupe :
Christian Louis-Victor
• Directeur général :
Bernard Pinat
• Directeur du conseil scientifique et de perfectionnement
 : Jean-Michel Mangeot
• Tél. :
01 45 67 20 82
Relations Presse  : Florencia Simpore-Konan
Tél. : 07 48 11 14 15


Catégorie : Enseignement supérieur et formation


Adresse du siège

23 rue de Cronstadt
75015 Paris France


Consulter la fiche dans l‘annuaire

Fiche n° 12179, créée le 13/05/2021 à 16:22 - MàJ le 01/07/2022 à 06:45

©  D.R.
Samuel Depraz (à g.) et Jean-Michel Mangeot - ©  D.R.