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Urbanisme : comment passer de la Ville statique à la Ville dynamique (B. Guidoni, Modus Ædificandi)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°300779 - Publié le 22/09/2023 à 15:30
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©  D.R.
Billy Guidoni - ©  D.R.

« On met en avant la difficulté d’agir dans des cadres que nous nous sommes pourtant créées pour nous-mêmes. Mais les générations futures n’auront que faire ne nos contraintes auto-infligées. Elles auront simplement à bénéficier que de ce que nous aurons permis, ou à souffrir de ce que nous empêcherons. Nous devons donc changer de paradigme, et passer de la Ville statique à la Ville dynamique. Il est nécessaire d’arrêter de planifier ce qu’on pense que la Ville sera, pour permettre ce que la Ville pourrait être. Pour cela, il suffit d’ouvrir le champ des possibles. D’abord, libérer la Ville d’entraves qui la maintiennent statique et qui ne démontrent pas leur capacité à la pérennité. Puis faire la Ville sur la Ville en pensant non pas aux éléments connus, mais inconnus, non pas aux prochaines années, mais aux prochains siècles », écrit Billy Guidoni Président cofondateur @ Modus Ædificandi
, président de Modus Ædificandi à Marseille, dans une tribune adressée à News Tank le 21/09/2023.

Ce dernier a exercé dans plusieurs agences d’architecture internationales aux Pays-Bas, en Autriche et en Suisse, sur diverses typologies et échelles de projets. Ses recherches dans la fabrication de la ville l’ont poussé questionner la maîtrise d’ouvrage et concevoir un modèle de fabrication dynamique, basé sur le besoin des usagers, avec Modus Ædificandi (lauréate du concours d’innovation de Euroméditerranée Med’Innovant 2018, Grand Prix de l’Innovation Construction durable & cadre de vie 2021, et lauréate d’Engagés pour la “Qualité du logement de demain” 2022).

Voici la tribune de Billy Guidoni.


Ville et temporalités cinématographiques

Imaginez qu’on puisse regarder la Ville se faire, comme dans un film. Chaque ville aurait son propre film, bien sûr. Chaque film commencerait à la création de chaque ville, aux premières installations humaines organisées. Si chaque seconde de ces films montrait un an, alors les films de la plupart des villes d’Europe dureraient quelques dizaines de minutes, le plus souvent moins d’une heure.

Le film d’Athènes durerait un peu plus de 45 minutes. Les films de certaines villes mésopotamiennes aujourd’hui disparues, comme Babylone, dureraient environ une heure et quart, mais la dernière demi-heure correspondant à l’abandon de ces villes prendrait une tournure mélancolique. À l’inverse, les films de villes comme Bombay (Inde), Sao Paulo (Brésil) ou Le Caire (Égypte) deviendraient de vrais films d’actions dans la dernière minute. Grâce à ces films, on verrait la Ville se répandre, se dilater, se rétracter, les voies et les immeubles pousser et se défaire, puis repousser, comme des blobs. Mais ces films ne montreraient pas tout.

Humains trop éphémères pour être capturés »

On n’y verrait pas les humains, qui sont pourtant à l’origine de la fabrication de la Ville. Ils seraient trop éphémères pour être capturés. On ne verrait pas non plus les facteurs environnementaux, politiques, économiques ou juridiques qui font et défont la Ville. Certaines villes mourraient par l’action violente de l’environnement, ou par celle des humains, ou encore, de manière plus pernicieuse, par leur inadéquation aux besoins des humains. Si l’on contemplait dans ces films les composants matériels de la Ville, c’est sa composante la plus importante qui se déploierait devant nous : le temps. On se rendrait alors compte que même si elle peut parfois paraître ponctuellement immobile, la Ville est toujours en mouvement.

La Ville au temps T de la photographie

Pourtant, trop souvent, on pense la Ville de manière statique, non pas comme un film mais comme une photographie, prise à un instant donné. On peut même s’y attacher, et ne pas voir que cette photo n’est plus d’actualité. Comme on perçoit rarement les changements sociétaux ou environnementaux avant le fait accompli, on ne se rend pas compte qu’une ville meurt avant que le processus ne commence, justement parce qu’il n’apparait pas dans la photo que nous avons en tête.

Acharnement thérapeutique »

Parfois aussi, on refuse de le voir. Par exemple, on s’accroche à maintenir une ville vivante parce qu’on est attaché à sa photo, quitte à repousser hors de ses murs ses fonctions vitales. On se dit que la photo de cette ville est belle, en ne voyant pas qu’elle est cadrée serré. On ne parle donc souvent que d’une toute petite partie de la Ville, maintenue artificiellement, comme par acharnement thérapeutique, alors que ce qui la fait vivre est tout autour.

Les touristes qui déambulent dans le Paris Haussmannien n’ont pas vu le film de la destruction du Paris du 17e-18è siècle, comme ils n’ont pas la perception de l’énorme étendue périurbaine de la Ville. Les visiteurs d’Aix en Provence admirent un centre-ville figé au 19e, sans se soucier des 90 % du reste de la Ville. La photo du centre-ville ne doit surtout pas évoluer - elle est considérée comme figée et pertinente à tout jamais.

Le plus surprenant est qu’on tient souvent pour belle une Ville qui a peu été limitée par la contrainte. Paradoxalement, pour la préserver, et pour créer de nouveaux quartiers, on applique le maximum de contraintes. La pensée statique imprègne majoritairement la manière dont la Ville est actuellement planifiée. Ce sont des facteurs invisibles qui contraignent la durabilité de la Ville : les facteurs politiques, économiques ou juridiques, qui sont pensés sans prendre en compte le temps.

Comment faire la Ville sur la Ville ?

Les documents d’urbanisme sont principalement pensés en zones, déduites de l’existant. Des quartiers entiers et leurs programmes sont pensés comme voués à perdurer, alors que d’autres sont à développer dans un temps donné, pour ensuite rester figés. Cette pensée statique se retrouve dans les études de marchés, qui se basent sur ce qui s’est vendu dans un quartier pour déterminer ce qu’on y programmera, résultant dans un appauvrissement de l’offre et un éloignement de la demande. La manière dont est encadrée la copropriété, ou encore l’attribution de logements sociaux, contraignent tout autant la mobilité. La durée des prêts alloués pour réaliser un projet immobilier empêche tout simplement de penser au temps long.

Cela aboutit souvent à une ville de faits, plutôt qu’une ville de projets. Il y a pourtant une chose que l’on sait avec certitude à propos d’une ville : pour être durable, elle doit constamment s’adapter aux besoins de ses usagers, et de son environnement. Comme l’auraient montré les films des villes, le facteur le plus certain est le temps, le reste est hypothétique. En un mot, ce que l’on sait, c’est qu’on ne sait pas.

Pour un maximum de fonctions nécessaires à l’humain »

Pensons à l’évolution des modes de production dans le dernier siècle, puis de la cellule familiale dans le dernier demi-siècle. Dans un temps encore plus court, pensons à ce que la crise sanitaire due au Covid en 2020 et 2021 a révélé des inadéquations de la Ville. Un vent de prise de conscience s’est emparé des acteurs de la Ville avec deux thématiques principales : l’importance des extérieurs dans le logement et la remise en question des programmes de bureaux comme définitifs. C’est une goutte d’eau dans l’océan des besoins de la Ville et des enjeux qui nous attendent. Ce n’est pas simplement une partie du bureau qui doit un jour pouvoir devenir du logement, mais le logement des locaux d’activité, les voiries des pistes cyclables, les immeubles en R+3 des R+8, les zones d’activité des champs… Plus simplement, tout élément de la Ville doit pouvoir servir un maximum de fonctions nécessaires à l’humain.

Alors que l’évolution des besoins se fait selon des fréquences de plus en plus resserrées et imprévisibles, la Ville dynamique n’a jamais été aussi nécessaire. Imaginez le changement de paradigme que produirait l’application d’une taxe carbone sur la mondialisation et le besoin de rendre réelle la Ville productive. Actuellement, la Ville ne saurait pas s’adapter à ce besoin.

Qu’est-ce qui empêche de faire la Ville dynamique ?

Arrêter de planifier ce qu’on pense que la Ville sera »

On met souvent en avant la difficulté d’agir dans des cadres que nous nous sommes pourtant créées pour nous-mêmes. Mais les générations futures n’auront que faire ne nos contraintes auto-infligées. Elles auront simplement à bénéficier que de ce que nous aurons permis, ou à souffrir de ce que nous empêcherons. Nous devons donc changer de paradigme et passer de la Ville statique à la Ville dynamique. Il est nécessaire d’arrêter de planifier ce qu’on pense que la Ville sera, pour permettre d’anticiper ce que la Ville pourrait être. Pour cela, il suffit d’ouvrir le champ des possibles. D’abord, libérer la Ville d’entraves qui la maintiennent statique et qui ne démontrent pas leur capacité à la pérennité.       

Puis faire la Ville sur la Ville en pensant non pas aux éléments connus, mais inconnus, non pas aux prochaines années, mais aux prochains siècles. Prévoir la possibilité pour les bâtiments de changer de forme ou d’aménagements, pour les programmes de muter librement, pour les financements de trouver un sens dans le long terme. Faire la Ville dynamique, c’est permettre la mobilité des personnes et des fonctions ; c’est faire la Ville d’aujourd’hui en permettant celle de demain.

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La dernière édition a eu lieu le 25/08/2023 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de l’urgence à agir. Jean-Luc Berho est président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Billy Guidoni


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Parcours

Modus Ædificandi
Président cofondateur
Maison de l’architecture et de la ville Provence Alpes Côte d’Azur (MAV PACA)
Secrétaire général
Herzog & De Meuron
Architecte

Établissement & diplôme

ENSA Marseille
Diplômé architecte HMONP

Fiche n° 49977, créée le 22/09/2023 à 07:44 - MàJ le 22/09/2023 à 13:26


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