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Exclusif« Il faut envisager les objectifs SRU à l’échelle de l’agglomération » (F. Masquelier, Saint-Raphaël)

News Tank Cities - Paris - Interview n°310547 - Publié le
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Frédéric Masquelier - ©  D.R.

« L’État nous abonde d’injonctions entre, d’une part, la protection du patrimoine naturel, des jardins en ville et du patrimoine historique, et d’autre part, la construction de logements. C’est le cas en termes de logement social, avec la loi SRU Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, du 13/12/2000, dont l’article 55 impose un quota de 25 % de logements sociaux en 2025, dans chaque commune de 3 500 habitants . Aujourd’hui, la Ville de Saint-Raphaël est carencée, pas parce que nous ne voulons pas de logements sociaux, mais parce que nous avons beaucoup de difficultés à produire des logements tout court, sociaux ou non. Nous avons donc des objectifs affichés de manière faciale, mais qui sont impossibles à atteindre », déclare Frédéric Masquelier Président @ Estérel Côte d’Azur Agglomération • Maire @ Ville de Saint-Raphaël
, maire de Saint-Raphaël et président d’Estérel Côte d’Azur Agglomération, à News Tank le 26/12/2023.

« Il faut parvenir à des discussions moins normées avec l’État : les objectifs de la loi SRU doivent pouvoir être envisagés à l’échelle de l’agglomération, et pas seulement à l’échelle des villes. Dans notre cas de figure, cela n’a aucune pertinence à l’échelle d’une ville, alors que les villes sont très imbriquées au niveau de l’agglomération. Cela permettrait une réflexion collective, y compris en terme de service public. Nous souhaiterions aussi un peu moins de bureaucratisation de la politique du logement pour aller un peu plus vite. Ce sont quelques pistes de réflexion pour produire du logement dans une ville comme la mienne », déclare-t-il.

« À l’échelle d’un territoire, vous aurez effectivement des lieux où vivent des populations plus aisées, ce qui n’est pas un crime. Cela doit être assorti d’une redistribution à l’égard de quartiers qui sont un peu plus en difficulté. Enfin, cet objectif de mixité n’est pas possible à certains endroits. On essaie de passer au forceps des mesures qui ne peuvent pas être mises en œuvre, au lieu d’avoir une approche plus pragmatique. Il y a encore beaucoup trop d’idéologie dans la question du logement, et du logement social en particulier. »

Frédéric Masquelier répond aux questions de News Tank.


« Il y a encore beaucoup trop d’idéologie dans la politique du logement »

Quel état des lieux faites-vous de votre ville en matière d’habitat et d’aménagement ?

Saint-Raphaël est une ville de 36 000 habitants tout au long de l’année, qui comporte un peu plus de 40 % de résidences secondaires. L’été, le nombre d’habitants triple. Donc nous sommes à la fois une ville moyenne et une ville qui fait face pendant plusieurs mois à l’accueil d’un nombre important de touristes ou de personnes dans les résidences secondaires.

Notre ville est aussi très étendue, deux fois plus étendue que la ville de Lyon, sur plusieurs quartiers, avec 35 kilomètres de côte et un patrimoine naturel très important avec l’Estérel. Nous appartenons à la communauté d’agglomération Estérel Côte d’Azur, qui compte 120 000 habitants répartis sur cinq communes.

Comment la crise du logement que nous traversons prend-t-elle forme sur votre territoire aux caractéristiques et à la morphologie spécifiques ?

Peu de foncier disponible »

Tout d’abord, nous avons du foncier cher, puisque nous sommes sur la Côte d’Azur et qu’il y a peu de foncier disponible. Par exemple, dans certaines zones, un terrain de 1 000 mètres carrés constructible et viabilisé pour une maison vaut entre 400 000 € et 500 000 €. Cela est dû au vieillissement de la population et cela a pour effet de rendre l’accès au logement plus difficile pour les jeunes. Ce sont surtout des gens qui ont vendu leurs biens dans les grandes villes qui viennent s’installer à Saint-Raphaël, et cela représente un vrai sujet au plan démographique.

Outre le foncier cher et la démographie, nos principales contraintes sont des contraintes naturelles, dans la mesure où seulement 12 % du territoire est constructible, et est déjà construit. Il ne nous reste quasiment plus de terrains disponibles. Nous sommes face à des injonctions contradictoires entre, d’une part, la protection du patrimoine naturel, des jardins en ville et du patrimoine historique, et d’autre part, la construction de logements. Chaque projet de logement vient modifier une ville qui a aujourd’hui trouvé son équilibre. Les sondages démontrent que 80 % de la population veut que la construction soit strictement encadrée.

Avez-vous fixé des objectifs de production de logements ?

C’est tout l’enjeu des discussions avec l’État, qui nous abonde d’injonctions. C’est le cas en terme de production de logement social, avec la loi SRU. Aujourd’hui, Saint-Raphaël est carencée, pas parce que nous ne voulons pas de logements sociaux, mais parce que nous avons beaucoup de difficultés à produire des logements tout court, sociaux ou non. Nous avons donc des objectifs affichés de manière faciale, mais qui sont impossibles à atteindre.

Quel est le profil des occupants de votre ville ?

Saint-Raphaël est une ville attractive, et ce qui est rare est cher »

Une personne sur deux a plus de 60 ans. Ce n’est pas négatif, c’est une évolution de la ville en lien avec les prix de l’immobilier. C’est moins le cas à Fréjus par exemple, qui a une population en moyenne plus jeune. Saint-Raphaël est une ville très attractive, et ce qui est rare est cher. L’augmentation de l’immobilier la rend donc moins accessible pour les plus jeunes. D’autre part, le marché locatif n’est pas forcément très dynamique, dans la mesure où les gens conservent leur bien soit pour leur propre usage, soit pour un développement qui est plutôt rattaché à l’activité touristique. Je pense notamment aux locations saisonnières, qui répondent aussi à un besoin de la ville.

Que mettez-vous en œuvre pour produire du logement malgré toutes ces contraintes ?

Ns orientations d’aménagement et de programmation (OAP Orientations d’aménagement et de programmation ) portent plutôt sur le centre-ville, sur les endroits où l’on peut densifier. Cela nous permettra de supporter des programmes un peu plus importants, tout en les intégrant dans le tissu urbain de la ville, pour accueillir une population plus jeune dont nous avons besoin pour assurer le dynamisme de la ville. Notre stratégie étant de concentrer cette production de logement.

Mais tout cela met du temps parce qu’il faut maîtriser le foncier, ce qui peut mettre 10 ans. Par ailleurs, le développement récent de notre ville fait que les réseaux (transport, eau, assainissement…) ne sont pas forcément adaptés à l’accueil de davantage de population, hors saison. On constate des embouteillages jamais vu auparavant. De plus la construction de logements entraîne aussi la construction d’écoles. Ce sont des investissements auxquels il faut faire face, alors que nous avons d’importantes contraintes financières, comme beaucoup de villes en France.

Quelles sont vos attentes ? Comment faciliter la production de logements selon vous ?

Le Zéro artificialisation nette (ZAN Zéro artificialisation nette - Objectif de réduction de la consommation d’espace à zéro unité nette de surface consommée en 2050, fixé par le plan Biodiversité du Gouvernement en juillet 2018 ) complique la situation. Il faut arrêter de rajouter des réglementations, car les quelques terrains qui restent risquent d’être frappés.

Moins de bureaucratisation de la politique du logement »

Il faut également réadapter les objectifs à ce qui est réaliste. Nous devons parvenir à avoir des discussions moins normées avec l’État : les objectifs de la loi SRU doivent pouvoir être envisagés à l’échelle de l’agglomération, et pas seulement à l’échelle des villes. Dans notre cas de figure, cela n’a aucune pertinence à l’échelle d’une ville, alors que les villes qui sont très imbriquées au niveau de l’agglomération. Cela permettrait une réflexion collective, y compris en termes de service public. Nous souhaiterions aussi un peu moins de bureaucratisation de la politique du logement pour aller un peu plus vite.

Ce sont quelques pistes de réflexion pour produire du logement dans une ville comme la mienne.

Par ailleurs, dans le cadre de la révision du PLU Plan local d’urbanisme , la ville de Saint-Raphaël se positionnera dans une politique de l’offre et pas une politique de la demande. Nous souhaitons pouvoir conserver la ville telle qu’elle est, pour des raisons urbanistiques. Par conséquent, les objectifs de production de logements vont être fixés en fonction de ce qu’il est possible de faire. Notre ville est évidemment extrêmement demandée, et si nous répondons à tout, cela nous oblige à procéder à des constructions de logements qui ne répondront pour le coup à aucun impératif d’urbanisme, tel que nous le souhaitons dans le cadre de notre PLU.

Cela permet-il à tous les citoyens qui le désirent d’accéder à cette offre ?

La politique du logement en France ne doit pas se penser uniquement à l’échelle des villes qui ne constituent pas le bon échelon, comme d’ailleurs dans de nombreuses politiques publiques (eau, sécurité, etc.). En ce qui concerne ma ville, mon devoir de maire, qui correspond à la volonté des habitants de Saint-Raphaël, est de pouvoir protéger et conserver ce que nous avons. Cela introduit peut-être d’autres discussions, sur le thème de la solidarité.

Le problème est que la politique de logement est faite pour produire du logement. La loi SRU visait la production 500 000 logements par an à l’origine. L’échelle de la ville a été choisie pour produire partout, tous secteurs confondus, sociaux ou pas, dans la mesure où l’on craignait qu’au niveau de l’intercommunalité, cela amène à moins de logements créés.

L’échelle de la ville ne semble plus être un échelon pertinent »

Mais aujourd’hui, on voit bien les problématiques qui sont rencontrées : les taux de rotation sont extrêmement faibles dans le cadre des logements sociaux. Il y a donc une pérennisation des habitants dans leurs logements. De plus, on constate une augmentation des critères. De fait, l’échelle de la ville ne me semble plus être un échelon pertinent.

Dans le cas où l’échelon de l’intercommunalité est retenu pour appliquer les objectifs SRU, comment garantir une mixité sociale au sein de chaque ville et même de chaque quartier ?

Certaines villes peuvent être des exceptions, notamment celles qui ont une histoire et une géographie particulière. Je suis pour que l’on réfléchisse en termes de solidarité, mais pas pour produire des logements sociaux qui ne seront pas qualitatifs, que les bailleurs sociaux laissent dans des états parfois lamentables faute de réinvestissements suffisants. En ayant cette réflexion au niveau de l’intercommunalité, on peut trouver des solutions.

D’ailleurs, le ZAN est une aberration en ce sens. Ce n’est pas du tout adapté aux nécessités de la construction à l’heure actuelle. Nous ne pouvons pas geler un pays. Ne pensez-vous pas que les quartiers nord de Marseille mériteraient d’être démolis, pour que l’on puisse avoir quelque chose de beaucoup plus aéré, et de beaucoup plus sécurisé ? Je pense d’abord aux habitants. Si vous ne permettez pas de construire, vous figez des situations extrêmement problématiques.

Cet objectif de mixité n’est pas possible à certains endroits »

Puis, à l’échelle d’un territoire, vous aurez effectivement des lieux où vivent des populations plus aisées, ce qui n’est pas un crime. Cela doit être assorti d’une redistribution à l’égard de quartiers qui sont un peu plus en difficulté. Enfin, cet objectif de mixité n’est pas possible à certains endroits. On essaie de passer au forceps des mesures qui ne peuvent pas être mises en œuvre, au lieu d’avoir une approche plus pragmatique. Il y a encore beaucoup trop d’idéologie dans la question du logement, et du logement social en particulier. On fait passer les maires qui ne remplissent pas les objectifs SRU pour des maires qui n’aiment pas le social. Mais l’approche sociale d’une ville ne se résume pas à la question du logement. Sous couvert de protéger les habitants, cette loi SRU favorise le secteur du bâtiment.

Quelles seraient les conditions d’une approche moins « idéologique » de la politique du logement selon vous ?

Moins de méfiance vis à vis des maires »

Cela se traduirait par moins de méfiance vis-à-vis des maires. Ce que nous demandons, de manière générale, c’est un peu de liberté. Nous connaissons nos villes et nos populations. Nous savons ce qu’il faut faire, y compris pour les populations les moins aisées. À Saint-Raphaël, nous menons une politique très efficace et très sociale pour les personnes sans domicile fixe. 

C’est aussi ce que nous constatons à travers la question des attributions de logements sociaux. La logique des points, attribués selon des critères extrêmement généraux et impersonnels, ne prend pas en compte la réalité des situations. C’est très problématique, car on essaye d’enlever tout lien personnel en sous-entendant que les maires seraient des clientélistes. Cela aboutit à certaines absurdités : une femme victime de viol et de traite d’êtres humains peut recevoir un nombre de points inférieur à quelqu’un se retrouvant dans une situation d’expulsion parce qu’il n’aura pas payé son loyer. 

Ce sont des logiques de politiques publiques bureaucratiques et absurdes. La politique du logement devrait faire un peu plus confiance, trouver des échelons plus pertinents, et sortir des cadres classiques, des lois et des normes contradictoires entre elles.

Frédéric Masquelier


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Parcours

Estérel Côte d’Azur Agglomération
Président
Ville de Saint-Raphaël
Maire
Association des maires de France et des présidents d’intercommunalités (AMF)
Co-président de la Commission prévention de la délinquance et sécurité
Ville de Saint-Raphaël
Conseiller municipal

Fiche n° 50582, créée le 04/01/2024 à 17:15 - MàJ le 04/01/2024 à 17:19

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