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Le zéro artificialisation nette est un outil d’aménagement sous-exploité (Yacine L’Kassimi)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°320021 - Publié le 29/03/2024 à 14:00
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Yacine L’Kassimi - ©  D.R.

Le zéro artificialisation nette des sols n’est pas une problématique nouvelle. C’est une manière d’objectiver des débats déjà existants comme l’étalement urbain ou celui du mitage territorial. Or depuis quelques années, nous ne pouvons ignorer que ce débat revêt une dimension nouvelle. Sa prégnance dans la société témoigne de l’urgence de la situation climatique dans laquelle nous nous trouvons. Le ZAN Zéro artificialisation nette - Objectif de réduction de la consommation d’espace à zéro unité nette de surface consommée en 2050, fixé par le plan Biodiversité du Gouvernement en juillet 2018 est un élément déterminant du discours de la préservation de notre environnement lui-même constitutif du débat sur la décarbonation de l’économie, écrit Yacine L’Kassimi, consultant, dans une tribune adressée à News Tank le 28/03/2024.

Le ZAN apparaît comme une composante d’une problématique qui le dépasse et, plus encore, qui outrepasse les frontières du secteur de l’immobilier. Le débat ne doit plus être dirigé vers les objectifs, il doit se concentrer sur les modalités d’application. Avant la loi climat et résilience votée en 2021, son utilisation était déjà tangible.

Voici la tribune de Yacine L’Kassimi.


Le ZAN est un outil d’aménagement sous-exploité

Le zéro artificialisation nette des sols n’est pas une problématique nouvelle. C’est une manière d’objectiver des débats déjà existants comme l’étalement urbain ou celui du mitage territorial. Or depuis quelques années, nous ne pouvons ignorer que ce débat revêt une dimension nouvelle. Sa prégnance dans la société témoigne de l’urgence de la situation climatique dans laquelle nous nous trouvons. Le ZAN est un élément déterminant du discours de la préservation de notre environnement, lui-même, constitutif du débat sur la décarbonation de l’économie. Ainsi, le ZAN apparaît comme une composante d’une problématique qui le dépasse et, plus encore, qui outrepasse les frontières du secteur de l’immobilier.

C’est la raison pour laquelle, le ZAN est une des expressions qui témoigne d’une approche inédite de notre secteur et consacre un changement plus profond de paradigme culturel, politique et économique. Aborder le sujet du zéro artificialisation nette avec l’exigence que commande la situation, nous invite à constater les difficultés - démographique, besoin en logement, écologique - dans lesquelles l’ensemble des parties prenantes, collectivités locales, secteur du logement social, promoteurs se reconnaissent. 

Le débat ne doit plus être dirigé vers les objectifs mais doit se concentrer sur les modalités d’application. De surcroît, si le ZAN est inscrit dans la loi climat et résilience votée en 2021, dans les faits, son utilisation était déjà tangible.   

Neutralité entre terre artificialisée et terre renaturée »

Inscrit en 2018 dans le Plan national biodiversité, l’objectif a été traduit dans une circulaire adressée aux préfets qui les enjoignait à « intervenir dans la trajectoire qui consistera à rendre applicable l’objectif zéro artificialisation nette du territoire, dans les délais qui seront confirmés par le président de la République. Ceci suppose dans un premier temps d’infléchir la consommation, puis de la stopper par un usage sobre de l’espace et par des actions de type compensatoire ». Autrement dit, cet outil, si nous nous référons aux objectifs poursuivis par le gouvernement vise dans un premier temps à réduire, d’ici à 2030, le nombre d’hectares artificialisés et, dans un second, en 2050, à celui d’atteindre la neutralité entre terre artificialisée et terre renaturée.

L’intention est louable, nécessaire et partagée mais nous impose de traiter des contradictions qui naissent lorsque qu’on la confronte à la réalité. De sorte que ce débat ne peut être indépendamment traité de celui de la densification.

Arbitrage entre impératifs environnementaux et production de logements

Sous la protection morale de préserver l’environnement, il ne faudrait pas que cet outil soit dévoyé au profit d’intérêts particuliers. Pour certains riverains, la préservation de l’environnement pourrait se transformer, de manière prosaïque, à la préservation de leur propre environnement. Dès lors, les revendications classiques, parfois légitimes - recours et autres NIMBY Not in my backyard : « surtout pas chez moi » - pourraient trouver, dans le ZAN, un véhicule parfait. Pour ceux-là, vêtus des vertus de la préservation de l’environnement il ne faudrait ni densifier, ni s’étaler.

Le ZAN comme un des outils d’aménagement du territoire »

C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, il nous est donné le choix d’utiliser le ZAN comme un des outils d’aménagement du territoire ou comme un simple outil normatif et coercitif qui comporte, comme toute norme, une part d’arbitraire. Son application témoigne que nous ayons choisi, pour l’instant, de tendre plutôt vers le second choix : l’application normative. Si bien que le ZAN dans la « hiérarchie des normes » des politiques du logement est devenu le sommet de la pyramide et préside à la construction de logements. Plutôt que d’être considéré comme un outil parmi d’autres, il régit la production. De sorte que, les collectivités locales se retrouvent dans des situations inextricables entre besoin en logements, développement économique, volonté de répondre aux exigences de leurs administrés et respect des objectifs de non-artificialisation des sols.

En conséquence de quoi, les limites d’une application uniquement guidée par l’atteinte des objectifs normatifs sont apparues comme un des moteurs de la baisse de production de logements. De telle manière que cette baisse constatée depuis 2017 lui en est en partie imputable. Bien que le problème de la progression du coût foncier soit  antérieur à l’application du ZAN, il n’en demeure pas moins que son utilisation participe au renchérissement du coût des opérations.

Exclusion des ménages de l’accession à la propriété

Qu’ils soient propriétaires occupants ou locataires, l’augmentation est essentiellement subie par les ménages modestes. Au-delà d’exclure les ménages de l’accession à la propriété, il affectera à la baisse le taux de rotation dans l’ensemble du parc. En d’autres termes, il figera davantage qu’aujourd’hui les ménages dans leurs statuts d’occupation.

En définitive, la baisse de production et la baisse des transactions portent préjudice aux finances des collectivités locales et à celles de l’État. Sans considérer les effets de la conjoncture actuelle sur la baisse de production, le ZAN ainsi que l’éviction des passoires thermiques nous entraînent inexorablement vers l’organisation de notre propre pénurie de logements. 

Le ZAN n’aidera pas les nouvelles générations à accéder à la propriété »

Au-delà des considérations économiques, et sans vouloir les opposer, nous ne pouvons méconnaître que ces choix emportent des conséquences sociales. La France qui a connu une progression du taux de ménage propriétaires - 58,7 % - jusqu’en 2015 connaît une stagnation, voire un léger reflux à 57,8 %. Sans que cela soit l’unique raison, indéniablement, le ZAN favorisera la consécration du logement comme un catalyseur de cette fracture, entre une France de propriétaires plutôt âgés et une autre de locataires. Entre les premiers qui ont le choix de leurs statuts d’occupations et les autres qui le subissent. Si l’accession à la propriété était difficile et ce, malgré des conditions de marché et d’octroi favorables, aujourd’hui la réalité est tout autre. Assurément, le ZAN tel qu’il est utilisé n’aidera pas les nouvelles générations à accéder à la propriété.  

Le ZAN, la densification et l’épreuve démographique

Même si nous distinguons la demande et les besoins, comment sortir de la contradiction entre les objectifs du ZAN, les difficultés rencontrées par la 'dé-densification’ des projets immobiliers - quasi-systématiquement réduits de 20 à 30 % même lorsqu’ils respectent le PLU Plan local d’urbanisme -  et les effets induits par la progression démographique.

  • Selon les dernières statistiques de l’Insee L’Institut national de la statistique et des études économiques , entre 1999 et 2013, le nombre de ménages a progressé de plus de 4 millions (+17 %) passant de 24 à 28 millions (contre une progression moins rapide de la population de 9 %).
  • En 2020, nous comptions 8 millions de familles avec au moins 1 enfant dont 5,3 millions de familles traditionnelles et 2 millions de monoparentales. Entre 2011 et 2020 la proportion de famille monoparentale a progressé de 3 points lorsque, à l’inverse, le nombre de famille traditionnelle à baisser de 3 points.
  • En 2020, la composition d’un ménage est de 2,2 personnes contre 2,4 en 1999.

En sus, le contexte climatique, trait de côte qui recul, zones inondables, stress hydrique, inondations (selon la Préfecture 9 300 habitations inondées dans le Pas-de-Calais entre novembre et janvier) provoqueront des mouvements massifs de migrations internes et externes. La décorrélation entre l’offre et la demande dans certaines zones reconnues plus sûres et attractives sera sans commune mesure avec ce que nous connaissons.

11 hectares artificialisés en 10 ans pour accueillir 11 000 habitants »

Par conséquent, l’argument qui consiste à dire que le nombre de logements en France est suffisant, qu’il suffirait de réhabiliter ou rénover le parc existant pour absorber les besoins est entendable lorsque l’on s’arrête à une analyse arithmétique. Mais la majorité des logements auxquels cet argument fait référence ne sont pas situés dans les zones où se trouvent les besoins. Plus encore, la rénovation totale de ce parc souvent obsolète en termes de morphologie et de localisation ne suffirait pas à absorber toute la demande. Son adaptation au standard actuel, supposerait une mobilisation colossale de la part des finances publiques que l’État n’est plus en mesure d’assumer. Certaines expériences internationales nous enseignent que la rapport coût/efficacité n’est pas équilibré. En Allemagne, entre 2010 et 2020, 354 Md€ ont été investis en faveur de la rénovation des bâtiments afin de gagner 1 kwh/m2, passant ainsi, de 131 à 130 kwh/m2.

En France, le problème n’est pas tant d’avoir artificialisé un département en 10 ans, mais de ne pas y associer la densification suffisante. La Ville de Nantes a artificialisé 11 hectares en 10 ans pour accueillir 11 000 habitants. À l’inverse, sur la même période, une commune rurale a artificialisé 6,5 hectares afin d’accueillir 258 habitants. Par conséquent l’application du ZAN, alors même que la loi prévoit des mesures compensatrices, va continuer à largement freiner le développement de projet si son approche n’est pas corrélée aux dynamiques démographiques d’un territoire et à celui de son développement économique.

La maison individuelle cristallise les critiques

Faut-il rappeler que comparativement à nos voisins européens (Royaume-Uni et Allemagne) qui connaissent une densité de population relativement équivalente de 250 habitants par km2 et un taux d’artificialisation respectivement de 6,5 et 7 %, la France est un pays peu dense de 105 habitants par km2 et moins artificialisé, avec 5,4 % de terres artificialisées. Désignée comme un moteur de l’étalement urbain, vecteur de l’imperméabilisation des sols, favorisant des modes de transports polluants, pour une densité relative, la maison individuelle cristallise les critiques. Sans l’interdire, la suppression ou la réduction territoriale du champs d’application des dispositifs fiscaux qui favorisaient ce mode d’habitation, sans ignorer les effets de la conjoncture, concourt largement au ralentissement de sa production.

En témoigne, la baisse massive des mises en chantiers de maison individuelle (-30 % en 2022, -29 % en 2023). De sorte que le ZAN se heurte à une difficulté majeure. Comment atteindre cet objectif alors même que la maison individuelle est le mode d’habitation préféré des Français ? Cette manière d’habiter est un plébiscite. Depuis 1947, les Français donnent leur préférence à la maison individuelle à plus de 70 %. 80 % depuis la Covid-19. Par ailleurs, cette baisse a des conséquences directes sur les ressources des agriculteurs pour lesquels la vente de leur foncier est une source de revenu substantielle.

Pour autant des solutions existent. Sur le long terme, le retour d’une stratégie d’aménagement du territoire afin d’organiser les flux économiques et fixer les populations sur leurs territoires serait un premier pas. Concomitamment à cette politique au long cours le périurbain offre des espaces de densification et de développement. Loin de stigmatiser la maison individuelle il faudrait, au contraire, la considérer sous une forme renouvelée pour éviter les discours de condamnation au caractère univoque.

Effacer les frontières entre le collectif et l’individuel

Après la période des grands ensembles, l’intégralité des parties prenantes ont œuvré pour que les logements collectifs soient pensés dans leur globalité. Depuis quelques années, le secteur aborde les projets des logements collectifs en ajoutant à la construction résidentielle des services collectifs supplémentaires aux habitants. C’est ce même esprit, cette même approche dont il faut teinter les projets de construction de maisons individuelles. Autrement-dit, amener du collectif dans l’individuel afin de recréer du commun, incarné par des espaces partagés.

Amener du collectif dans l’individuel afin de recréer du commun »

A posteriori, le reproche que nous pouvons faire aux lotissements est celui d’être des espaces ou la maison individuelle est devenue le sanctuaire de l’individualisme qui a trait dans notre société. L’écueil originel  de ces projets est d’avoir précisément confondu individualité et individualisme, de l’avoir favorisé, tout en abandonnant les expressions de vitalité qui rendent un quartier agréable. Cet impensé fut le moteur du développement du périurbain dont les lotissements et les centres commerciaux sont les symboles les plus frappant. Pourtant, il semblerait que ce modèle ne soit pas irréversible, qu’un autre modèle est possible, voire souhaitable.

Au-delà de l’écoquartier, imaginer des villages-lotissements, des bourgs du 21e siècle, constitués d’espaces communs - bricothéques partagées, potagers, laveries partagée, petits commerces, ressourcerie pourrait être envisager comme une solution alternative et ambitieuse. En effet, l’empreinte carbone serait réduite à l’échelle du quartier. L’installation de petits commerces, et d’espaces partagés  au sein du “village-lotissement” réduiront, de fait, les déplacements en voiture. En outre, les espaces partagées permettraient de réduire la taille des lots et induiraient :

  • la réduction de l’emprise au sol et la densification des projets ( ex construire deux lots sur une parcelle) ;
  • la baisse du coût de construction ;
  • le fléchissement du coût d’acquisition, (solvabilisation plus importante de la demande pour répondre aux contraintes économiques actuelles) ;
  • la disparition des machines à laver individuelles et des espaces de bricolages justifieront de remplacer le garage par un carport en bois, sur un revêtement stabilisé perméable.

Maintien des personnes âgées dans leur domicile

La dimension sociale serait davantage atteinte si l’économie et l’ambition du projet s’adjoignent afin de construire des habitations dont l’étage serait modulable pour l’adapter au vieillissement. Au-delà de permettre le maintien des personnes âgées dans leur domicile, de développer le lien intergénérationnel, la solution donnerait la possibilité au propriétaire de compléter sa retraite grâce à la location de son l’étage.

Cette conception nous permettrait, selon les situations, de répondre à certaines des contradictions, énoncées plus haut. En définitive, cette approche porte un triple objectif correspondant au changement de paradigme décrit plus haut de répondre :

  • à la demande des Français de se loger dans des maisons individuelles ;
  • à l’attractivité des villes moyennes et du périurbain ;
  • aux préoccupations environnementales des collectivités locales qui commandent la majorité des projets.

Au-delà de la dynamique économique, il faut tenter de créer des éléments de partage immatériel et culturel dans ses opérations. Nous constatons une volonté très forte des élus, notamment dans la phase de construction des opérations de rendre accessible la culture au plus grand nombre. Bien souvent, ces projets - fresque, peinture sur palissades de chantiers - sont réalisés dans les zones urbaines plus ou moins denses dans lesquelles dominent les logements collectifs. L’approche mérite d’être décloisonnée pour permettre au périurbain d’accéder à cette forme de culture. Ainsi, l’effacement entre l’individuel et le collectif serait complet, les particularismes des territoires ne seraient pas niées mais seraient, au contraire, traités à égalité les uns avec les autres. Par conséquent, le principe actif des projets du village du 21e siècle, s’il se multipliaient, ça n’est pas l’uniformisation des projets qui favoriserait l’émergence d’une société des semblables mais participer à l’élaboration d’une société des égaux. 

En conséquence de quoi, la lutte pour la préservation de l’environnement ne se fera pas contre mais avec la politique du logement, voire même à partir d’elle. Sans quoi, nous éloignerons des objectifs environnementaux et sociaux que nous prétendons poursuivre.

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition est prévue le 30/08/2024 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème du logement. Jean-Luc Berho est président du conseil de surveillance de la Coopérative de l’immobilier à Toulouse, administrateur de l’association Aurore, administrateur d’Espacité et membre du Conseil national de l’habitat. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Yacine L’Kassimi


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Parcours

StrateHab Conseil
Consultant
Nexity
Directeur de missions
Action Logement (AL)
Responsable du canal Seine-Nord Europe
Com’publics
Consultant
Rivington
Consultant junior
Mairie de Lille
Collaborateur d’élus
Mairie de Lille
Collaborateur au service de presse du cabinet du Maire

Établissement & diplôme

EFAP Lille
Master en communication et marketing

Fiche n° 35804, créée le 04/07/2019 à 09:42 - MàJ le 28/03/2024 à 17:44

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