« Pensons les solidarités de demain : améliorer la situation de l’hébergement » (Éric Pliez, Aurore)
Le diagnostic sur l’hébergement d’urgence n’a pas attendu le Covid-19
Maladie virale provoquée par le coronavirus SARS-CoV-2. Il est responsable d’une épidémie qui a démarré à Wuhan en Chine en novembre 2019 évoluant au statut de pandémie en mars 2020
: il existe un retard chronique dans la prise en charge et l’hébergement des personnes à la rue et le nombre de lits pérennisés à la sortie de chaque hiver ne suffit pas à régler la question. Dans les zones tendues, le manque de logements abordables pousse des ménages qui n’ont pas besoin d’un accompagnement spécifique à recourir à l’hébergement. Et des personnes relevant des dispositifs médico-sociaux (addiction, handicap, troubles psychiques…) restent à la rue par manque de places, écrit Éric Pliez
Maire du 20e arrondissement @ Ville de Paris
, ex directeur général de l’association Aurore à Paris et tête de liste Paris en commun (PEC) dans le 20e arr., dans une tribune adressée à News Tank.
Notre crainte, qui se réalise un peu plus chaque jour, est qu’avec la crise sanitaire et économique, s’ajoutent à la cohorte des personnes habituellement à la rue tous les précaires sur le fil : travailleurs qui enchaînent les contrats courts et faiblement rémunérés, chômeurs qui peineront à retrouver un emploi au vu de la conjoncture, seniors isolés… Il ne fait pas de doute qu’ils viendront augmenter le nombre de demandes dans un système déjà saturé.
Comment créer un « choc de places » pour que l’hébergement retrouve une fonction de filet de sécurité provisoire pour les accidents de la vie et d’accompagnement médico-social pour les personnes qui en ont besoin ? La crise de l’hébergement est avant tout une crise de l’aval, qui ne pourra être surmontée que par une politique du logement qui se donne les moyens de ses ambitions et qui protège davantage les plus précaires, écrit-il.
Voici la tribune d’Éric Pliez.
Pensons les solidarités de demain : améliorer la situation de l’hébergement pour protéger les précaires et les sans-abris en temps de crise sanitaire et économique
Le diagnostic sur l’hébergement d’urgence n’a pas attendu le Covid-19 : il existe un retard chronique dans la prise en charge et l’hébergement des personnes à la rue et le nombre de lits pérennisés à la sortie de chaque hiver ne suffit pas à régler la question. Dans les zones tendues, le manque de logements abordables pousse des ménages qui n’ont pas besoin d’un accompagnement spécifique à recourir à l’hébergement, alors que des personnes relevant des dispositifs médico-sociaux (addiction, handicap, troubles psychiques…) restent à la rue par manque de places. Notre crainte, qui se réalise un peu plus chaque jour, est qu’avec la crise sanitaire et économique, s’ajoutent à la cohorte des personnes habituellement à la rue tous les précaires sur le fil : travailleurs qui enchaînent les contrats courts et faiblement rémunérés, chômeurs peinant à retrouver un emploi au vu de la conjoncture, seniors isolés… Il ne fait pas de doute qu’ils viendront augmenter le nombre de demandes dans un système déjà saturé.
Comment créer un « choc de places » pour que l’hébergement retrouve une fonction de filet de sécurité provisoire pour les accidents de la vie et d’accompagnement médico-social pour les personnes qui en ont besoin ? La crise de l’hébergement est avant tout une crise de l’aval, qui ne pourra être surmontée que par une politique du logement qui se donne les moyens de ses ambitions et qui protège davantage les plus précaires.
Accompagner les travailleurs précaires dans l’accès au logement
Quand 25 % des hébergés sont des travailleurs précaires et que ce phénomène risque de s’amplifier avec la crise économique, les sortir de la rue et de l’hébergement est une priorité. Un grand nombre des ménages accueillis peut vivre dans un logement autonome avec, lorsque cela est nécessaire, un accompagnement adapté à leurs difficultés. Le cadre pour cet accompagnement existe depuis la création du Fonds de Solidarité pour le Logement (FSL), géré par les Départements et les métropoles, et l’Accompagnement Social Lié au Logement (ASLL), qui permettent en théorie de prévenir les expulsions et de faciliter l’accès ou le maintien dans le logement.
Trop souvent variables d’ajustement des budgets départementaux, le FSL Fonds de solidarité pour le logement et son volet ASLL Accompagnement social lié au logement - Action personnalisée auprès d’un ménage dans le logement, financée par le fonds social pour le logement piloté par chaque Département doivent retrouver toute leur ambition en cette période post-Covid-19. Ils doivent venir renforcer la politique du « Logement d’abord » vantée par tous les Gouvernements depuis 2012 et qui doit absolument être accélérée pour sortir du « tout hébergement ».
Reconnaître le logement social comme un bien de première nécessité
Il reste du chemin pour faire du droit formalisé depuis la loi DALO Droit au logement opposable - Institué en 2007, Droit reposant sur une procédure d’attribution sur les quotas préfectoraux de logements sociaux pour les personnes reconnues comme étant mal logées une réalité. Comme cela a été souligné lors du webinaire « Le logement social et ses partenaires en 1e ligne » de la crise sanitaire (organisé par News Tank Cities le 17/04/2020), les personnes qui permettent au pays de fonctionner ont besoin d’un habitat abordable. Évidemment, éviter le passage par l’hébergement est envisageable dès lors que des logements abordables sont disponibles ; ce qui requiert une volonté politique sans faille. Les ponctions sans précédent dans les fonds propres des bailleurs sociaux par la Réduction de loyer de solidarité (RLS) sont à cet égard un frein à la construction de ces nouveaux logements et plus grave, les contraignent à céder des logements du parc public. Et même lorsque cette volonté est en action, elle ne suffit pas toujours à répondre à la demande en zone tendue.
Par exemple, à Paris, en 2001, la ville comptait 96 086 demandeurs parisiens de logement. Fin 2018, après le financement de 104 484 logements sociaux supplémentaires, 135 169 ménages parisiens étaient toujours inscrits au fichier (source : APUR). Outre l’accélération de la production de logements très sociaux (PLAI), le développement d’une offre nouvelle de logement social en zone tendue doit aussi s’appuyer sur des opérations d’acquisition ou de préemption, ainsi que la dissociation du foncier et du bâti au cœur des dispositifs portés par les organismes de foncier solidaire (OFS).
Favoriser la mobilisation des logements privés à des fins sociales
Différents outils existent pour développer dans le parc privé des logements à loyers abordables immédiatement disponibles, en incitant les propriétaires à accueillir des ménages très modestes. Afin de rassurer les propriétaires privés sur les risques locatifs, le conventionnement avec l’ANAH, qui permet de bénéficier d’avantages fiscaux accordés par l’État sur les revenus locatifs et d’une aide financière pour les éventuels travaux, pourrait être complété d’une garantie contre les impayés, la vacance et les dégradations.
Il serait opportun de réexaminer et de mieux valoriser le dispositif (prime, abattement fiscal) pour les conventions ANAH à loyer très social, qui est le même que pour les conventions à loyer social. Enfin, dans les zones tendues, un complément financé par les collectivités territoriales et cumulable avec les dispositifs existants (conventionnement ANAH, prime de réservation au profit de publics prioritaires…) pourrait venir compenser l’écart entre les loyers de marché et les loyers sociaux visés, comme à Strasbourg ou Grenoble.
Privilégier les solutions d’hébergement moins coûteuses et plus humaines que l’hôtel
Le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre souligne une hausse en 2019 des nuitées hôtelières pour héberger 49 733 personnes chaque nuit en France (+7 % par rapport à 2018), malgré la succession des plans visant à réduire le recours à cette mise à l’abri conçue comme transitoire. En Ile-de-France, le nombre de places d’hébergement en hôtellerie représente jusqu’à la moitié des places d’urgence disponibles au total. On note quelques évolutions positives, dont la généralisation des diagnostics sociaux, mais l’hôtellerie reste dans l’immense majorité des cas un hébergement provisoire, et la remise à la rue à la fin de la trêve hivernale défait le travail d’accompagnement accompli dans la période.
L’hébergement à l’hôtel est une aberration en zone détendue, là où du co-hébergement avec un accompagnement ou bien des ouvertures de pensions de famille sont possibles, d’autant plus qu’ils permettent un suivi social non pris en compte dans le coût de l’hôtellerie. Sur les 56 983 personnes hébergées à l’hôtel en Ile-de-France, plus de 45 000 d’entre elles sont en famille, avec des durées de séjour qui s’allongent : 43 % y sont depuis plus de deux ans (source : Samusocial de Paris/SIAO). Les familles à droits incomplets représentent une large part de ces ménages. Accélérer dès maintenant leur régularisation, qui est quasi-certaine à moyen terme, est pour nous une évidence. Sans oublier que les conditions de vie dans ces établissements sont loin d’être adaptées à la vie de famille et engendrent des problèmes de cohabitation forcée, d’isolement, de suivi de santé, d’alimentation, de scolarité des enfants…
Mais ne nous leurrons pas : en Ile-de-France, avec 600 hôtels mobilisés pour 15 000 chambres en moyenne par an (source : Samusocial de Paris), sortir du recours à l’hôtellerie prendra des années… Il existe donc une réelle nécessité d’humaniser l’hôtel, notamment en installant des espaces partagés où cuisiner et où sociabiliser là où cela est possible.
Valoriser le foncier vide par l’occupation temporaire
L’expérience des « Grands Voisins » à Paris 14e démontre que l’occupation intercalaire de bâtiments provisoirement vacants est bien acceptée et dynamise l’environnement local, quand elle associe collectivités, acteurs associatifs, culturels et économiques. Différentes activités viennent en complément de l’hébergement : l’accueil de pratiques artistiques alternatives, d’événements festifs, l’intégration d’artisans et d’entreprises de l’économie sociale et solidaire.
Le protocole Toits Temporaires Urbains (TTU), signé en 2018 entre l’État, la CDC, SNCF Immobilier, la Ville de Montreuil, l’association Aurore et la coopérative Plateau urbain, vise à inciter les collectivités locales à installer sur leurs terrains vacants des modulaires déplaçables et réemployables, pour de l’hébergement mais aussi des crèches, lieux de travail ou jardins partagés. L’occupation provisoire répond à des demandes sociales locales et évite les occupations sauvages.
Finalement, la transformation de bureaux vacants en logements est une piste sérieuse à développer, que des bailleurs ou des associations ont mis en œuvre pour une occupation temporaire (à l’image des locaux en attente de réhabilitation de la CCI de Paris dans le 10e confiés à l’Armée du Salut et Emmaüs Solidarité pour ouvrir deux CHU en août 2017 ; ou des anciens locaux de l’INPI à Paris 8e, investis entre 2012 et 2016 par l’association Aurore pour du logement, du coworking et des activités socio-culturelles) ou permanente (par exemple la livraison, distinguée par plusieurs prix d’architecture, d’un immeuble de bureaux entièrement réhabilité à Charenton-le-Pont pour le bailleur social I3F).
Lever les freins à la mobilité vers les territoires ruraux et semi-ruraux
Malgré l’offre saturée en zone tendue, la mobilité des ménages vers les zones détendues se confronte à différentes craintes : sortie de l’accompagnement social, difficulté à retrouver un emploi, coût de la mobilité, éloignement des services publics, réduction de l’offre de transports… Les conséquences de la mobilité des plus modestes, et notamment des travailleurs précaires, sont peu prises en compte dans les politique d’aménagement des territoires et les collectivités territoriales ont un rôle crucial à remplir pour les atténuer.
Citons comme réponse innovante le dispositif EMILE (Engagés pour la Mobilité et l’Insertion par le Logement et l’Emploi), qui permet à des ménages volontaires de s’installer sur des territoires où du logement vacant existe et où les emplois sont disponibles. Par exemple, depuis 2015, l’association Aurore et le bailleur Polygone ont accompagné à travers le projet « Un Toit Un Emploi » 30 ménages franciliens dans leur installation à Aurillac (Cantal), avec un taux de sortie dans l’emploi durable de 77 %. Généralisé sur 5 territoires, le dispositif est un succès et selon nous une voie d’avenir pour un rééquilibrage des territoires.
Répondre à l’urgence pour les publics les plus précaires
Nous demandons qu’au-delà de la trêve hivernale, exceptionnellement prolongée jusqu’en juillet, les places d’hébergement déjà ouvertes puissent être maintenues. Dans le parc social, le gel des contentieux et l’échelonnement du règlement des loyers, déjà en mis œuvre à Paris, et par certains bailleurs en Seine-Saint-Denis et dans les Hauts-de-Seine, sont indispensables si on veut éviter de rejouer les scénarios à l’espagnole de la crise de 2008. Nous plaidons aussi pour la revalorisation des APL, assortie d’un moratoire sur la réforme dite de « contemporanéité », dont l’entrée en vigueur initialement prévue au 1e avril 2020 a été repoussée. Les allocations logement constituent un puissant levier de justice sociale, qu’il convient de ne pas dénaturer, puisqu’elles réduisent significativement le coût du logement pour les ménages modestes et en particulier, les bénéficiaires des minima sociaux.
Les APL ne couvrent pas les dépenses en eau et en énergie associées au logement. Le chèque énergie, distribué aux foyers modestes pour les aider à régler leurs factures, pourrait dans le contexte du Covid-19 être complété par une prime exceptionnelle à destination des ménages les plus précaires, comme le propose le collectif « Initiative Rénovons ». Alors que la rénovation thermique des logements et des bâtiments publics a été déclarée prioritaire dans le Grand plan d’investissement (GPI) quinquennal, il est temps de passer aux actes pour lutter contre la précarité énergétique, qui peut devenir un moteur de relance comme le propose le pacte vert européen. Nous défendons une garantie universelle des loyers, inspirée par l’émergence d’agences immobilières coopératives innovantes à Bayonne et à Toulouse, qui proposent une couverture universaliste du risque locatif s’appuyant sur l’ensemble des assurances existantes, y compris sociales (FSL Fonds de solidarité pour le logement , FASTT Fonds d’action social du travail temporaire , Visale, GLI…), complétées par des fonds publics. Quant aux jeunes, une population qui subit une précarisation très rapide, rappelons que même si les étudiants et les bénéficiaires de l’APL pourront toucher l’aide exceptionnelle de 200 € annoncée par le Gouvernement, les jeunes à la rue, en situation d’hébergement d’urgence ou contraint, en sont exclus, sachant que le RSA Revenu de solidarité active - Il assure aux personnes sans ressources un niveau minimum de revenu variable selon la composition du foyer. ne leur est pas ouvert.
Si dans l’urgence, le « coup de pouce » reste la solution la plus directe par le versement d’aides exceptionnelles aux plus modestes, le sujet d’un revenu de base doit être remis en débat dès à présent : un revenu qui ne laisse personne sous le seuil de pauvreté.
Conclusion
Des réponses alternatives à la crise de l’hébergement sont possibles. Elles doivent permettre de concentrer les efforts en hébergement sur les personnes les plus vulnérables (addictions, problèmes psychiques, longues années de rue) en se donnant des moyens d’une prise en charge médico-sociale dans le long terme, à travers des dispositifs de logements accompagnés ou encore de pensions de famille. Cela ne pourra se faire que si nous retrouvons de la fluidité dans le système et un soutien politique déterminé.
Au-delà de ces réflexions, je plaide pour qu’il n’y ait pas, après le confinement, de « retour à l’anormal ». L’anormal, c’est un écart qui se creuse au fil des ans entre les plus riches et les autres. C’est la remise en cause des minima sociaux et la réforme du chômage qui pénalise les plus modestes. C’est le sentiment d’insécurité et de relégation. La crise met à nu la fragilité d’un système de solidarité qui doit être revisité pour retrouver les valeurs fondamentales d’une vie en société : solidarité et fraternité, protection des plus fragiles.
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta sur le logement et l’habitat, qui auront lieu le 28/08/2020 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques), et président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur le logement, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
Parcours
Maire du 20e arrondissement
Directeur général
Président
Fiche n° 32525, créée le 31/08/2018 à 08:41 - MàJ le 16/09/2020 à 15:30
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