« L’habitat ne se limite pas au domicile ou au logement » (Denis Caniaux, Audap)
L’interpellation des Entretiens d’Inxauseta en août 2020 (« Imaginer une politique juste, ambitieuse et éco-responsable ») ciblait l’habitat et non le logement. Je ne crois pas qu’un mot ait été utilisé pour l’autre. Il ne s’agit pas simplement de sémantique. L’invitation était claire de déplacer le débat du champ technique vers le champ des ambitions de société. L’habitat ne se limite pas au domicile ou au logement, lieux plus circonscrits par définition. C’est un espace organisé ou naturel permettant à une espèce, animale ou végétale, de vivre et de se développer, écrit Denis Caniaux, directeur général de l’Agence d’urbanisme Atlantique & Pyrénées
• Agence d’urbanisme Atlantique & Pyrénées
Création : 1998
Statut : association loi 1901
Missions : intervient comme outil d’aide à la décision publique dans les champs de l’urbanisme, de…
(Audap), dans une tribune adressée à News Tank, le 19/11/2020.
Pour l’homme, son habitat est le mode d’organisation et de peuplement du milieu où il vit. Une politique de l’habitat plus juste, ambitieuse et éco-responsable interpelle bien au-delà des outils de la politique du logement : aménagement du territoire, choix d’urbanisation, mobilités et accessibilités, équipements des territoires, implantation des emplois… C’est de notre projet de société dont il est question. Quels choix collectifs voulons-nous faire pour nos enfants ? C’est maintenant que nous devons faire les choix qui construiront notre habitat dans 20 ans.
Voici la tribune de Denis Caniaux.
Le logement n’en est qu’une composante
L’interpellation des Entretiens d’Inxauseta 2020 pour « imaginer une politique juste, ambitieuse et éco-responsable » ciblait l’habitat, et non le logement. Je ne crois pas qu’un mot ait été utilisé pour l’autre. Il ne s’agit pas simplement de sémantique. L’invitation était claire de déplacer le débat du champ technique vers le champ des ambitions de société. L’habitat ne se limite pas au domicile ou au logement, lieux plus circonscrits par définition. C’est un espace organisé ou naturel permettant à une espèce, animale ou végétale, de vivre et de se développer.
Pour l’homme, son habitat est le mode d’organisation et de peuplement du milieu où il vit. Une politique de l’habitat plus juste, ambitieuse et éco-responsable interpelle bien au-delà des outils de la politique du logement : aménagement du territoire, choix d’urbanisation, mobilités et accessibilités, équipements des territoires, implantation des emplois… C’est de notre projet de société dont il est question. Quels choix collectifs voulons-nous faire pour nos enfants ? C’est maintenant que nous devons faire les choix qui construiront notre habitat dans 20 ans.
Un habitat plus juste vise à satisfaire les besoins de tous ses habitants
Partir des besoins pour définir une politique et les produits qui la serviront. Et non des produits pour construire la politique. Depuis combien de temps n’a-t-on pas ré-interrogé les produits au crible d’une ambition de société ? La fin des années 70 avec l’ambition du « tous propriétaires » ? Ça fait plus de 50 ans que la loi de janvier 77 de Raymond Barre réformait le financement du logement. Elle avait « pour objet de favoriser la satisfaction des besoins en logements et, en particulier, de faciliter l’accession à la propriété, de promouvoir la qualité de l’habitat, d’améliorer l’habitat existant et d’adapter les dépenses de logements à la situation de famille et aux ressources des occupants, tout en laissant subsister un effort de leur part ». Création des PAP, des prêts locatifs aidés (PLA), des prêts conventionnés (PC) et surtout de l’aide personnalisée au logement (APL). La réforme est le point de départ du désengagement financier de l’État dans la construction sociale : le taux de subvention publique pour la construction neuve passe de 20 % à 12 %, Les aides à la pierre financées par l’État de 43 MdF en 1978 à 28 MdF en 1993.
Il se dit qu’aujourd’hui 70 % des ménages sont éligibles au parc HLM : double phénomène de paupérisation de la population et d’élargissement de la base des revenus des locataires pour améliorer leur solvabilité vis-à-vis de bailleurs très sollicités. Le segment des plus démunis est certes partiellement couvert par le parc HLM mais surtout par les secteurs associatifs, CHRS Centre d’hébergement et de réinsertion sociale - a pour mission d’assurer l’accueil, le logement, l’accompagnement et l’insertion sociale des personnes ou familles connaissant de graves difficultés , et bien évidemment par le parc privé… Ne faut-il pas plus organiser et plus aider ce segment des gestionnaires associatifs et privés, renforcer l’accompagnement social ? Augmenter parallèlement les réponses pour des ménages à revenus intermédiaires qui ne peuvent accéder au marché libre et peuvent prétendre à un parc HLM.
Plus de place à l’initiative locale, à l’adaptation des règles
Quand on bâtit un programme local de l’habitat, celui-ci se résume surtout à l’application de la politique nationale du logement et à la déclinaison quantitative de ses outils. Il faudrait laisser beaucoup plus de place à l’initiative locale, à l’adaptation des règles voire à leur dérogation
Adapter les zonages Pinel et autres politiques nationales en garantissant une équité d’accès au logement en compensation. Tenir compte des marchés locaux, des spécificités territoriales. Autoriser l’expérimentation et l’adaptation locale. Jouer du droit à l’expérimentation, voire à la différenciation. L’égalité peut paradoxalement en sortir plus forte.
Pour être ambitieux, pensons collectivement nos territoires
Ne confondons pas habitat et logement : le 2e devrait être au service du 1e. Cela a été trop longtemps l’inverse. La politique du logement a construit notre habitat. Inversons le paradigme. La politique du logement, au sens des moyens financiers mis à disposition, est un moyen au service de celle de l’habitat. Nous avons quand même tou(te)s reconnu les erreurs des années 60, les fameuses ZUP Zone à urbaniser en priorité - procédure administrative d’urbanisme opérationnel utilisée en France entre 1959 et 1967 pour répondre à la demande de logement (édification de grands ensembles) , où l’on a logé sans permettre d’habiter, créant des ghettos urbains si ce n’est sociaux.
Hélas, n’avons-nous pas reproduit dans les années 80 et 90 (avec entre autres la loi de 77) ou tout au moins laisser faire, des processus similaires dans le sillage du développement et de l’imposition des métropoles dans le paysage de nos provinces ? Par l’étalement urbain, la multiplication de quartiers pavillonnaires, l’appauvrissement de la vie sociale par des équipements réduits à de seules zones commerciales agglutinées à des ronds points….
Nous savons pertinemment qu’une politique de l’habitat ambitieuse relève du projet de société. Elle va effectivement bien au-delà du seul logement : accessibilité aux services, mobilité, évolution du rapport au travail : télétravail numérique, tiers-lieux, espaces relais… Où voulons-nous offrir des espaces « habitables » ? Comment voulons-nous les rendre habitables ? Il s’agit bien de penser des territoires, mais de ne tomber ni dans les errements de concepteurs éclairés, ni dans les méandres de règlements d’outils censés tout coordonner, schématiser, planifier… Habiter est un phénomène de société. Ce doit donc être par des exercices collectifs de débats, d’échanges et de décisions que les choix doivent s’effectuer.
Encourager la sobriété et la vertu environnementale
L’approche « habitat » est la 1e marche vers une politique éco-responsable du logement. Pour décliner celle-ci, 3 voies technico-opérationnelles paraissent indispensables à emprunter pour réduire l’empreinte environnementale de notre politique du logement :
- celle de la conception et de la construction ;
- celle de la réduction des surfaces ;
- celle de la réhabilitation et du ré-usage.
Dans la construction de logements, c’est dès la conception des logements qu’il convient d’agir : par exemple, en développant la construction en poteaux poutres qui offre plus d’évolutivité dans le temps et est plus économe en ressources que le béton banché. Le recours aux pilotis réduisant l’imperméabilisation des sols et à l’excavation des terres pourrait être plus souvent utilisé pour diminuer la production (et donc le stockage) de déchets inertes du BTP. On peut y trouver des solutions pour glisser une partie des stationnements de voitures sous les bâtiments, stationnements dont il faudra bien réduire le nombre dans les obligations règlementaires, en lien avec l’orientation vers l’usage des transports en commun ou des mobilités alternatives.
La lutte contre l’étalement urbain et son corollaire, la recherche de sobriété foncière, réduisent les opportunités de construction sur des terrains nus. Le recyclage de fonciers urbains est donc quasi systématique mais le recyclage des matériaux issus des démolitions l’est beaucoup moins et devrait le devenir, quitte à être, dans un 1e temps, favorisé et encouragé.
Aller vers une optimisation des conceptions des logements
Très longtemps, les politiques publiques du logement ont incité à la production de logements aux surfaces généreuses, y compris dans le logement social. Certains PLH Programme local de l’habitat - document stratégique de programmation qui inclut l’ensemble de la politique locale de l’habitat (parc public et privé, constructions nouvelles…) n’hésitaient pas à aller jusqu’à formaliser des recommandations de surfaces minimum (45 m² habitables pour un T2 ou 65 m² habitables pour un T3). Les enjeux de réduction des consommations foncières, de maîtrise des ressources et des matériaux de construction, combinés aux nécessités économiques de maîtrise des coûts de production et de prix des logements plaident pour diminuer les surfaces habitables des logements. Clairement, il faudrait aller vers une optimisation des conceptions des logements. La tendance des « tiny house » n’est peut-être pas qu’un effet de mode. Elle reflète des aspirations différentes des ménages, couples, familles comme personnes isolées. Le facteur économique (prix du marché immobilier, coût de chauffage…) n’explique pas tout : habitat durable, alternatif, lutte contre l’accumulation…, de nouveaux modes de vie apparaissent et interpellent nos politiques d’aménagement.
À l’heure du zéro artificialisation nette (ZAN Zéro artificialisation nette - Objectif de réduction de la consommation d’espace à zéro unité nette de surface consommée en 2050, fixé par le plan Biodiversité du Gouvernement en juillet 2018 ), ne doit-on pas très fortement orienter les « aides à la construction » (expression symptomatique d’une époque, nous devrions écrire « aides à la production de l’offre de logements ») sur le secteur de la réhabilitation / transformation de bâtiments ? Pourquoi ne pas retrouver des dispositifs de type « Défiscalisation loi Malraux » des années 80 à 2000, mais à grande échelle et bien au-delà des seuls Secteurs Sauvegardés, au bénéfice de tous travaux permettant de créer du logement locatif dans un bâtiment existant pour réorienter le parc existant sur le marché locatif ?
De mémoire, l’ANAH Agence nationale de l’habitat , originellement, était financée par la taxe additionnelle de droit au bail et visait à remettre massivement des logements vacants sur le marché pour créer un cercle vertueux. Il a fallu pendant longtemps prouver que le bâtiment avait toujours été du logement afin d’être éligible aux subventions de l’ANAH. En caricaturant, il faudrait prouver le contraire : ouvrir largement et massivement l’obtention d’aides financières, de défiscalisations, à la transformation de tout bâtiment en logement, en particulier dans les zones tendues. Une sorte de prime à la non-artificialisation !
Réorienter le marché vers des zones géographiques jusqu’ici peu attractives
Les politiques sont faites pour s’adapter aux réalités d’un moment : ’urgence et la réalité imposent cette réorientation. On verra quand l’objectif aura été atteint. Lequel ? Celui de proposer une offre rénovée massive dans l’ancien pour peser sur les prix, celui de réorienter le marché vers des zones géographiques jusqu’ici peu attractives.
Nous devons impérativement porter le débat sur les choix de société. Il n’est jamais trop tard. Ne nous leurrons pas : cela fait des années qu’on parle de crise du logement, que tous les Gouvernements visent à « relancer la construction de logements ». Avec la crise sanitaire et ses énormes conséquences économiques et financières, le tout dans un contexte de transition climatique inévitable qui interpelle profondément nos modèles de développement, nous ne pouvons pas éviter un débat de fond sur nos choix en matière d’habitat : comment voulons-nous habiter nos territoires ?
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. L’édition 2020 a eu lieu le 28/08/2020 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques). Il est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
Denis Caniaux
Directeur général @ Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées (AUDAP)
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Parcours
Directeur général
Établissement & diplôme
DESS urbanisme et aménagement
Diplômé
Fiche n° 41918, créée le 20/11/2020 à 14:57 - MàJ le 07/06/2024 à 16:25
Agence d’Urbanisme Atlantique & Pyrénées (AUDAP)
Création : 1998
Statut : association loi 1901
Missions : intervient comme outil d’aide à la décision publique dans les champs de l’urbanisme, de l’aménagement et du développement des territoires
Président : Jean-René Etchegaray, maire de Bayonne
Directeur général : Denis Caniaux
Tél. : 05 33 64 00 30 (Pau) / 05 59 46 50 10 (Bayonne)
Catégorie : Architecture et Urbanisme
Adresse du siège
4 rue Henri IV64000 Pau France
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Fiche n° 11157, créée le 20/11/2020 à 03:34 - MàJ le 29/08/2023 à 11:38
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