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« Le renouvellement urbain, pour un nouveau modèle de la ville » (Ch. Talland, directrice de l’ERU)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°216879 - Publié le 07/05/2021 à 12:00
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Chantal Talland - ©  D.R.

Ma carrière professionnelle et mon engagement personnel sont intimement liés à ce qui a lieu dans les quartiers populaires et, notamment, ceux répertoriés dans la géographie prioritaire de la politique de la ville (QPV Quartiers prioritaires de la politique de la ville ). Chef de projet à la fin des années 80 dans le programme du « développement social des quartiers » - fonctionnaire de l’État en charge du suivi d’un grand projet urbain dans les années 2000 - chargée de mission à la Délégation interministérielle à la ville, à l’atelier d’urbanisme mis en place par le ministre Jean-Louis Borloo Président @ Union des Démocrates et Indépendants (UDI)
, puis à l’Agence Nationale à la rénovation urbaine (ANRU Agence nationale pour la rénovation urbaine ), les quartiers n’ont cessé d’être le lieu de mes réflexions personnelles et professionnelles, écrit Chantal Talland
, directrice de l’École du renouvellement urbain • Organisme de formation • Création : 2004 • Missions : proposer des formations relatives à la politique de la ville et au renouvellement urbain sur toutes les thématiques liées aux… (ERU École du renouvellement urbain ), dans une tribune adressée à News Tank, le 05/05/2021.

Détachée de l’opérationnel en prenant mes nouvelles fonctions de directrice de l’École du Renouvellement Urbain en 2005, c’est un chemin continu qui n’a jamais perdu de son intérêt et suscite toujours mon engagement. Celui-ci trouve sa raison d’être et malgré les différentes politiques qui en ont fait leur cible, dans le fait que je suis convaincue que c’est là, plus qu’ailleurs, que se révèlent les enjeux sociétaux contemporains : du fonctionnement de l’État, aux enjeux économiques et sociaux, se trouve révélée toute la modernité de notre époque au travers de ses aspects les plus difficiles et ses aspects les plus novateurs.

Voici la tribune de Chantal Talland.


Renouvellement urbain et politique de la ville 

Ma carrière professionnelle et mon engagement personnel sont intimement liés à ce qui a lieu dans les quartiers populaires et notamment ceux répertoriés dans la géographie prioritaire de la politique de la ville.

Chef de projet à la fin des années 80 dans le programme du « développement social des quartiers » - fonctionnaire de l’État en charge du suivi d’un grand projet urbain dans les années 2000 - chargée de mission à la Délégation interministérielle à la ville, à l’atelier d’urbanisme mis en place par le ministre Jean-Louis Borloo, puis à l’Agence Nationale à la rénovation urbaine, les quartiers n’ont cessé d’être le lieu de mes réflexions personnelles et professionnelles. Détachée de l’opérationnel en prenant mes nouvelles fonctions de directrice de l’Ecole du Renouvellement Urbain en 2005, c’est un chemin continu qui n’a jamais perdu de son intérêt et suscite toujours mon engagement.

Celui-ci trouve sa raison d’être et malgré les différentes politiques qui en ont fait leur cible, dans le fait que je suis convaincue que c’est là, plus qu’ailleurs, que se révèlent les enjeux sociétaux contemporains : du fonctionnement de l’État, aux enjeux économiques et sociaux, se trouve révélée toute la modernité de notre époque au travers de ses aspects les plus difficiles et ses aspects les plus novateurs 

Je m’exprimerai peu sur la Politique de la ville, pour moi elle est absolument nécessaire mais insuffisante pour travailler à la réurbanisation de ces quartiers. Le terme de réurbanisation, peut sembler moins lisible que celui de rénovation ou de renouvellement urbain, mais il me semble plus propice pour rendre compte de ce qui a lieu ou devrait avoir lieu sur les quartiers. Réurbaniser, c’est s’engager pour que ces quartiers bénéficient de tous les avantages des villes et ce sur tous ses aspects. Réurbaniser, c’est concourir à ce qu’il a parfois été fait notion de banalisation tout en prenant en compte que ces quartiers sont déjà urbains, que leurs dysfonctionnements sont urbains et que c’est à partir de cette urbanité, au sens générique du terme, qu’il faut travailler pour leur transformation.

Remise en cause du grand ensemble

Il nous aura fallu plusieurs années pour interroger ce modèle, voire le remettre en cause. Sans vouloir nier tous les bienfaits que ce modèle a pu apporter lors de sa construction dans les années 60 et 70, je trouve important de rappeler que ses aspects positifs ont souvent, dès l’origine, dissimulé des dysfonctionnements tant dans la forme urbaine que dans la vie sociale. Dans « Deux ou trois choses que je sais d’elle » (1967), Jean-Luc Godard illustre tous ces paradoxes, entre un bien-être physique apporté « par le confort moderne » et le mal être pour certains qui y habitent.

20 ans après Jean-Patrick Lebel, avec « Note pour Debussy », réécrit l’histoire de cette même cité, et plus durement même que Godard l’avait raconté, montre comment le « grand ensemble » en se dégradant, entre dans une déqualification dont les 1e victimes sont les habitants eux-mêmes. Il aura fallu attendre de nombreuses années, et notamment la loi de 2003, pour qu’enfin ce modèle soit revisité et renouvelé et qu’une politique soit mise en œuvre pour modifier profondément ces quartiers.

L’École du renouvellement urbain (ERU) est un organisme de formation, dont la mission est de promouvoir la formation et la qualification des professionnels de structures intervenant dans le domaine du renouvellement urbain et de la politique de la ville et de mettre en œuvre des actions de formation qui favorisent l’acquisition d’une culture commune. Créée en 2004 pour les professionnels, l’ERU accueille depuis 2011 les habitants des quartiers et depuis 2016 les conseils citoyens dans des formations qui leur sont dédiées. L’ERU est dirigée par un conseil d’administration comprenant un ensemble d’administrations, établissements et agences de l’État impliqués dans la politique de la ville, du renouvellement urbain, de la cohésion sociale et du logement social (ANRU Agence nationale pour la rénovation urbaine , ANCT Agence nationale de la cohésion des territoires , USH Union sociale pour l’habitat - organisation représentative du secteur HLM : 720 organismes à travers 5 fédérations , CDC Caisse des dépôts et consignations - Institution financière publique qui assure un service d’intérêt général et de développement économique pour le compte de l’État français et des collectivités ).

Pourquoi parler de relégation

Jean Marie Delarue, en 1991 publie son livre « Banlieues en difficulté : la relégation » montrant comment ces quartiers, et notamment ceux des grands ensembles, avaient construit ce phénomène. Il est toujours difficile d’employer pour parler de ces quartiers des thèmes génériques aussi forts comme relégation et encore plus ghettos. Les mots nous jouent des tours. Alors que nous pouvons être animés des meilleures intentions, les mots lorsqu’ils sont ainsi énoncés masquent une réalité toujours plus complexe et peuvent, si nous n’y prenons garde, surenchérir sur les dysfonctionnements sur lesquels nous voudrions agir.

Il me revient alors une parole d’une personne habitant un bidonville. Même dans cette « baraque » elle avait le sentiment d’être chez elle et d’y être bien. Le regard des autres sur son endroit a eu l’effet d’une profonde blessure mettant en lumière sa misère - misère pour les autres - mais son chez soi pour elle. Autre paradoxe bien difficile à traiter. En travaillant sur le renouvellement en changeant fondamentalement l’habitat, l’urbanisme de ces quartiers, nous agissons, retirons parfois pour ceux qui y vivent, leurs lieux d’attachement où leurs histoires se sont construites.

Comment faire et ne pas défaire

Aujourd’hui, on utilise beaucoup la catégorie « citoyen », je préfère parler des gens, cet indistinct certain qui ne permet pas de classement. Je parlerai donc plutôt des gens des quartiers, ceux qui y vivent, ceux qui y travaillent… Le quartier est hétérogène, les gens sont un ensemble hétérogène fait de nombreuses aspirations contradictoires, de nombreuses cultures. En ce sens-là, le quartier est un melting-pot culturel et c’est sa grande richesse, qui s’oppose au monolithisme du cadre bâti.

Pratiquer le renouvellement urbain, c’est faire avec les gens et cette complexité. C’est ce principe qui est certainement le plus difficile à mettre en œuvre et à tenir dans le temps. La participation, la co-construction sont les noms que les institutions ont donné à ce travail avec les habitants. Il est plus que nécessaire, il la source vitale de la transformation, c’est comme un exercice de pleine conscience : « pourquoi renouvelle-t-on les quartiers » ?

Une ville sans habitant, ce n’est pas une ville. Un quartier sans ses habitants ce n’est pas un quartier. Le plus du renouvellement urbain, c’est de pouvoir travailler sur un quartier « habité ». La force de sa transformation, des changements souhaités ne pourra avoir lieu sans eux.

Pour aller vers l’éloge du vernaculaire

La ville n’est pas que la juxtaposition de techniques. Le renouvellement urbain porte des enjeux majeurs de transformation tant sur le cadre bâti que dans la vie sociale du quartier. Pour accompagner ces profonds changements, il me semble plus que nécessaire de prendre appui sur ceux qui en constituent l’âme, les habitants. Accepter ce principe, c’est admettre que nous avons à apprendre de ceux qui ont façonné, modelé le quartier et qui ont réussi à imposer leurs modes de faire dans un univers normé, où le vernaculaire avait peu, voire pas, de place.

Même si cela est largement passé de mode, j’aime me rappeler le slogan de 1968, « l’imagination au pouvoir ». Le vernaculaire, c’est laisser place à l’imagination dans le mode du faire urbain. C’est faire un pas de côté sur ce que nous avons appris, pour reconnaître qu’il y a d’autres savoirs et savoirs faire.

C’est certainement là la plus grande force des quartiers, cette capacité de résilience trop souvent ignorée. Aujourd’hui, nous avons peu de retour sur les effets de la pandémie Covid et sur les effets du confinement dans les quartiers. Comment les gens ont su s’adapter, comment ils ont pu faire face à l’isolement, à la précarité.

Les gens résistent

Il y a quelques années, j’ai eu la chance de travailler avec les habitants d’un quartier de Naples, « Scampia ». J’ai tant appris avec eux. Dans un quartier on ne peut plus stigmatisé (c’est le lieu choisi pour le film de Gomorra), dans des lieux aussi dégradés que les Velle, les gens résistent. Non pas dans une résistance passive mais en allant bien plus loin que ce que nous pourrions imaginer dans notre répertoire institutionnel.

Ils résistent parce qu’aucune bataille pour eux n’est perdue, qu’ils ont gardé le sens « des petites choses » qui peuvent avoir de grands effets. Le vernaculaire, c’est retrouver ces petites choses imaginées par les gens qui créent l’aménité urbaine.

C’est changer de regard et ne pas juger à l’aune de nos seuls savoirs. C’est reconnaître (comme le disait Georges Simmel) que la vie ne se saisit que par le quotidien, le futile, le discret, l’indifférent, le banal « notre devoir n’est ni d’accuser, ni de pardonner, mais seulement de comprendre ». Le renouvellement urbain avec les gens - même si cela demande de nous réinventer - est la garantie pour ne pas reproduire les erreurs du passé où nous avons pu penser qu’avoir un logement confortable était suffisant en oubliant « qu’habiter n’est pas que se loger ».

La rubrique est animée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. L’édition 2021 est programmée le 27/08/2021 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques). Il est également président de La Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Parcours


Fiche n° 43610, créée le 06/05/2021 à 17:41 - MàJ le 03/01/2023 à 15:54

École du renouvellement urbain

• Organisme de formation
• Création : 2004
• Missions : proposer des formations relatives à la politique de la ville et au renouvellement urbain sur toutes les thématiques liées aux transformations sociales et urbaines
• Publics : professionnels de la ville, élus locaux, habitants des quartiers et conseils citoyens
• Président : Philippe Bies
• Directeur général (mars 2023) : Franck Martin (directeur général de l’Afpols)
Directrice déléguée (mars 2023) : Céline Gipoulon (directrice de la stratégie et de la prospective de la Métropole du Grand Paris)
• Tél. : 01 75 62 00 00


Catégorie : Enseignement supérieur et formation


Adresse du siège

2 Rue du Sucre
93300 Aubervilliers France


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Fiche n° 11817, créée le 10/03/2021 à 05:01 - MàJ le 03/01/2023 à 17:25


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