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Politiques inadaptées au diagnostic des crises du logement (J.-C. Driant, École d’urbanisme Paris)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°223779 - Publié le 19/07/2021 à 12:05
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©  Mehrak Habibi Mehrak Mehrak / Hans Lucas
Jean-Claude Driant, professeur à l'école d’urbanisme de Paris - ©  Mehrak Habibi Mehrak Mehrak / Hans Lucas

Si l’on met temporairement de côté la promotion du logement d’abord, volet le plus social, mais à l’impact marginal, l’analyse des composantes de la politique du logement menée par les gouvernement successifs d’Emmanuel Macron met en relief deux axes majeurs : la compression de la dépense publique et la priorité donnée à la rénovation énergétique. S’y ajoute, depuis 2021, une inquiétude liée au ralentissement de la construction neuve, manifestée par la mission confiée par le Premier ministre à la commission présidée par François Rebsamen Président @ CNER (fédération nationale des agences de développement économique) • Président du parti @ Fédération progressiste • Co-président de la Commission Finances et fiscalité @ France urbaine… , écrit Jean-Claude Driant Professeur @ École d’urbanisme de Paris
, professeur à l'École d’urbanisme de Paris (UEP), dans une tribune adressée à News Tank Cities le 13/07/2021.

Si l’idée de la persistance d’une crise du logement en France fait débat, c’est sans doute d’abord parce que persiste dans les esprits l’idée qu’elle serait d’abord le résultat d’un déficit quantitatif. Or s’il est évidemment nécessaire de construire en quantité, c’est aujourd’hui bien moins pour résorber un déficit que pour accompagner l’accroissement de la demande, remplacer un parc obsolète ou orienter l’urbanisation.

La crise, ou plutôt « les crises », sont ailleurs et peuvent s’analyser comme un cumul d’inégalités générées par les situations en matière de logement, par les conditions pour y accéder et par les modalités de sa détention. C’est sans doute à l’aune de ce constat que devrait être repensé le référentiel social des politiques du logement.

Voici la tribune de Jean-Claude Driant.


La notion de crise du logement reste d’actualité

Si l’on met temporairement de côté la promotion du logement d’abord, volet le plus social, mais à l’impact marginal, l’analyse des composantes de la politique du logement menée par les Gouvernement successifs d’Emmanuel Macron met en relief 2 axes majeurs : la compression de la dépense publique et la priorité donnée à la rénovation énergétique. S’y ajoute, depuis 2021, une inquiétude liée au ralentissement de la construction neuve, manifestée par la mission confiée par le Premier ministre à la commission présidée par François Rebsamen.

Outre le fait que ces dimensions illustrent la diversité des cibles économiques, sociales et environnementales des politiques du logement, chacune trouve aisément ses défenseurs et il est difficile d’argumenter sérieusement contre la nécessaire transition énergétique, la poursuite d’un niveau élevé de construction ou la maîtrise de l’efficacité des aides publiques. L’ensemble peine toutefois à trouver une cohérence dans un pays où la notion de crise du logement reste d’actualité. Sans doute cela résulte-t-il, en partie, d’un diagnostic erroné sur les contours de cette crise.

En effet, si l’idée de la persistance d’une crise du logement en France fait débat, c’est sans doute d’abord parce que persiste dans les esprits l’idée qu’elle serait d’abord le résultat d’un déficit quantitatif. Or s’il est évidemment nécessaire de construire en quantité, c’est aujourd’hui bien moins pour résorber un déficit que pour accompagner l’accroissement de la demande, remplacer un parc obsolète ou orienter l’urbanisation. La crise, ou plutôt « les crises » [1], sont ailleurs et peuvent s’analyser comme un cumul d’inégalités générées par les situations en matière de logement, par les conditions pour y accéder et par les modalités de sa détention. C’est sans doute à l’aune de ce constat que devrait être repensé le référentiel social des politiques du logement.

4 registres d’inégalités croissantes

Sans entrer dans les détails des analyses, par ailleurs bien documentées par de nombreux travaux de recherche sur le sujet depuis au moins 20 ans et par les alertes répétées des acteurs de terrains et des milieux associatifs, citons, à titre d’exemples, 4 registres d’inégalités croissantes générées par la relation au logement.

Le 1e, le plus couramment cité, sans toutefois trouver l’écho espéré, touche aux conditions de logement et à la persistance d’un nombre élevé de personnes en situations de « mal-logement » [2]. Souvent traité avec un certain dédain argumenté par le caractère quantitativement marginal de ces situations, le mal-logement évolue sous l’effet des mutations de la société et des marchés immobiliers. Ses contours vont bien au-delà des situations extrêmes du sans-abrisme et s’élargissent constamment. La forte croissance de l’effort financier consenti par les ménages modestes pour se loger fait désormais partie des points de préoccupation majeure, notamment du fait de la réduction constante des ressources que ces ménages peuvent consacrer aux autres aspects de la vie quotidienne.

La crise sanitaire révèle avec plus d’acuité les conséquences des conditions difficiles de logement, notamment du fait de l’exigüité des espaces de vie dans les grandes villes [3].

Difficultés croissantes des jeunes à s’insérer dans le marché du logement

Le 2e registre d’inégalités, dont les manifestations sont plus récentes et plus massives, est générationnel. Il renvoie aux difficultés croissantes que rencontrent les jeunes à s’insérer dans le marché du logement et à y développer des parcours équivalents à ceux accomplis par les générations précédentes. L’augmentation constante des prix immobiliers et des loyers, notamment dans les métropoles, a accru l’ampleur de l’obstacle pour accéder au premier logement.

Les écarts sociaux se transmettent de génération en génération »

L’effort financier des jeunes pour se loger est devenu considérable et ne tient souvent que grâce à la solidarité de leur famille. Via ces solidarités, les écarts sociaux se transmettent de génération en génération. Du côté des politiques publiques, alors qu’au cours des 30 dernières années les régimes d’allocation au logement avaient contribué à atténuer ces difficultés, leur réforme qui conduit à prendre en compte à partir de début 2021 les revenus contemporains, pénalise l’accès au logement des jeunes au moment de leur entrée dans la vie professionnelle.

Les territoires constituent le 3e registre d’inégalités par rapport au logement. L’une des évolutions majeures en France depuis la fin des années 1990 est l’accroissement constant des écarts de prix immobiliers entre les villes. Si certaines d’entre elles, souvent de taille moyenne, restent assez accessibles, d’autres ont connu des hausses de prix ininterrompues qui ne sont que partiellement compensées par la baisse des taux d’intérêt. Se loger décemment en France se pose désormais dans des termes radicalement différents selon que l’on se trouve à Saint-Étienne ou à Bordeaux, à Bourges ou à Lille, à Brest ou à Lyon, sans même évoquer le cœur de la métropole parisienne.

Population des propriétaires

Dernier exemple, celui des patrimoines des ménages. Il se pose à 2 niveaux différents. D’abord celui des inégalités ente propriétaires et locataires. Les premiers disposeront, à l’âge de la retraite et, encore plus, s’ils se trouvent en situation de dépendance, d’un capital accumulé leur permettant, d’assumer, au moins partiellement, la baisse de leur revenu et le coût élevé de l’assistance. Les seconds, s’ils n’ont pas épargné par d’autres moyens, devront recourir à divers niveaux de solidarité. Les conditions de l’accession à la propriété ne cessant de se durcir pour les générations plus jeunes, ce clivage entre propriétaires et locataires prend une acuité croissante.

Plus avant, au sein même de la population des propriétaires, la superposition des facteurs d’inégalité territoriale et de qualité des logements génère des trajectoires de valorisation ou de dévalorisation des biens qui inquiètent. Qu’en sera-t-il lorsque nombre de propriétaires à revenus modestes constateront la perte de valeur de leur patrimoine, surtout s’ils n’ont pas eu les moyens d’entreprendre les travaux de mise à niveau de ses performances thermiques ?

Aides au logement passées de 42,9 à 37,6 Md€

Entre inégalités croissantes et bombes à retardement, la question du logement n’est donc pas close. Elle se pose en des termes très différents de ceux des années 1950, 1980 et même du début des années 2000. Pourtant, les politiques publiques ne cessent de réadapter de vieilles recettes en tentant d’en réduire les coûts au nom de constats d’inefficacité. Selon le Compte du logement, de 2016 à 2020 les aides au logement sont ainsi passées de 42,9 à 37,6 Md€.

Pourtant, le problème a changé de nature et les politiques peinent à s’adapter à cette évolution, soit parce qu’elles l’ignorent, soit parce qu’elles le sous-estiment. C’est sur ce diagnostic qu’une refondation est nécessaire. Penser l’évolution de l’offre de logements passe par une amélioration de son accessibilité économique qui intègre aussi bien le neuf que l’existant. L’identification des catégories de ménages les plus touchées par les mécanismes inégalitaires impose de mettre en place et d’adapter en permanence des moyens renforcés d’accompagnement, de solvabilisation et de protection ciblés et territorialisés. Il n’est plus possible aujourd’hui de penser les politiques du logement de façon univoque ou avec les outils actuels d’une territorialisation binaire (tendu/détendu).

Beaucoup reste à faire en matière de différenciation et de décentralisation pour affiner les composantes du diagnostic et mieux adapter l’action publique, nationale et locale, à la diversité des enjeux et des situations.

[1] Ce pluriel reprend le titre de l’ouvrage que nous avons coordonné avec Pierre Madec en 2018 : Driant J.-Cl. et Madec P. (éd.) Les crises du logement, PUF, La vie des idées, 2018

[2] Le terme renvoie aux analyses diffusées depuis 1995 par la Fondation Abbé Pierre dans ses rapports annuels sur « l’état du mal-logement en France »

[3] Le rapport sur le mal logement 2021 de la Fondation Abbé Pierre documente en abondance les relations entre la crise sanitaire et le mal logement.

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. L'édition 2021 est programmée le 27/08/2021 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur la thématique : « Présidentielle 2022 : plaçons l’habitat au cœur du projet politique ». Jean-Luc Berho est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Jean-Claude Driant


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Parcours

École d’urbanisme de Paris
Professeur
Institut d’urbanisme de Paris - Paris Est
Diplômé - DESS - DEA

Fiche n° 44070, créée le 18/07/2021 à 10:23 - MàJ le 12/05/2022 à 08:14

École d’urbanisme de Paris (UEP)

• Établissement d’enseignement supérieur français
• Mission
 : formation aux métiers de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. Elle est issue de la fusion entre l’Institut français d’urbanisme et de l’Institut d’urbanisme de Paris opérée en 2015
• 350 étudiantes et étudiantes chaque année
• Création : 2015
• Effectifs : 51 enseignants, équipe administrative d’une douzaine de personnes
• Co-directeur : Marcus Zepf (Université de Paris-Est Créteil) et Jérôme Monnet (’Institut français d’urbanisme)
• Contact : Stéphanie Michel, service communication - 01 71 40 80 30
• Tél. : 01 71 40 80 40


Catégorie : Divers public


Adresse du siège

Cité Descartes, Bâtiment Bienvenüe
14-20 Boulevard Newton
77420 Champs-sur-Marne France


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Fiche n° 8098, créée le 14/01/2019 à 05:33 - MàJ le 27/05/2022 à 09:15

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Jean-Claude Driant, professeur à l'école d’urbanisme de Paris - ©  Mehrak Habibi Mehrak Mehrak / Hans Lucas