Trois propositions pour permettre un accueil digne des sans-abris (Florian Guyot, Aurore)
Alors qu’il n’y a jamais eu autant de places d’hébergement ouvertes - près de 200 000 - il est de plus en plus fréquent de voir des tentes ou des abris de fortune dans les interstices des grandes villes. Ce paradoxe doit forcément interroger sur les solutions à apporter afin de permettre à chacun de retrouver la première des dignités, celle d’être correctement logé. On ne peut nier les efforts faits en la matière, écrit Florian Guyot
Directeur général @ Association Aurore • Directeur des opérations @ Association Aurore
, directeur général de l’association Aurore
L’association Aurore héberge, soigne et accompagne plus de 41 300 personnes en situation de précarité ou d’exclusion vers une insertion sociale et professionnelle.
Création : 1871
Missions …
, dans une tribune adressée à News Tank, le 26/01/2022
Le budget consacré à l’hébergement a considérablement augmenté ; la fin de la gestion au thermomètre des places, qui conduisait à remettre dehors les personnes sans-abris à la fin de l’hiver, est un indiscutable progrès ; la création de Pensions de Familles, qui offrent un logement à des personnes qui ont eu un parcours d’errance et qui ont besoin d’un accompagnement social de proximité a été fortement encouragée.
Force est toutefois de constater que nos équipes de maraudes, de domiciliation et d’accueils de jour n’ont pas vu diminuer le nombre de personnes suivies à qui aucune solution ne peut être proposée. Pire, nous observons que les personnes que nous accompagnons voient leur situation se détériorer, en cumulant non seulement des difficultés de logement et d’emploi, mais aussi des problématiques de santé, et notamment de santé mentale, sans parler des violences subies dans la rue, en particulier par les femmes.
Entré chez Aurore en 2017, Florian Guyot en a été directeur opérationnel avant d’être nommé directeur général adjoint en 2019. Créée en 1871, l’association Aurore accueille et accompagne vers l’autonomie chaque année plus de 50 000 personnes en situation de précarité ou d’exclusion, à travers l’hébergement, le soin et l’insertion professionnelle.
Voici la tribune de Florian Guyot
Tentes ou abris de fortune dans les interstices des grandes villes
Alors qu’il n’y a jamais eu autant de places d’hébergement ouvertes - près de 200 000 - il est de plus en plus fréquent de voir des tentes ou des abris de fortune dans les interstices des grandes villes. Ce paradoxe doit forcément interroger sur les solutions à apporter afin de permettre à chacun de retrouver la première des dignités, celle d’être correctement logé.
On ne peut nier les efforts faits en la matière. Le budget consacré à l’hébergement a considérablement augmenté ; la fin de la gestion au thermomètre des places, qui conduisait à remettre dehors les personnes sans-abris à la fin de l’hiver, est un indiscutable progrès ; la création de pensions de Familles, qui offrent un logement à des personnes qui ont eu un parcours d’errance et qui ont besoin d’un accompagnement social de proximité a été fortement encouragée.
Force est toutefois de constater que nos équipes de maraudes, de domiciliation et d’accueils de jour n’ont pas vu diminuer le nombre de personnes suivies à qui aucune solution ne peut être proposée.
Pire, nous observons que les personnes que nous accompagnons voient leur situation se détériorer, en cumulant non seulement des difficultés de logement et d’emploi, mais aussi des problématiques de santé, et notamment de santé mentale, sans parler des violences subies dans la rue, en particulier par les femmes.
Créer des lieux plus ouverts sur l’extérieur
Cette situation a des conséquences qui vont bien au-delà de la situation des personnes concernées. Dans une étude de l’Ifop réalisée pour la Fédération des Acteurs de la Solidarité, il apparaît que l’indifférence et surtout la méfiance à l’égard des personnes en situation d’exclusion sont en forte augmentation, passant de 20 % des sondés en 1993 à 35 % en 2022, et que près de la moitié des personnes interrogées ont peur de tomber dans l’exclusion. Autrement dit, la très grande pauvreté infuse dans la société et génère des phénomènes de peur et de rejet de l’autre qui sont délétères pour la cohésion sociale.
Souvent la première réaction des riverains est un refus »C’est très concrètement ce que nous observons lorsque nous ouvrons un centre d’hébergement : souvent la première réaction des riverains est un refus parfois violent. Fort heureusement, cette réaction pavlovienne est dans la grande majorité des cas suivie par l’arrivée de nombreux bénévoles, partenaires, et soutiens qui permettent aux personnes accueillies de s’intégrer dans le quartier.
C’est ce qui nous a encouragés à créer des lieux de plus en plus ouverts sur l’extérieur : l’expérience des Grands Voisins à Paris a montré combien il était possible de recréer du lien en favorisant la mixité sociale.
Traiter de la question du sans-abrisme
Aujourd’hui, c’est une réponse plus systémique à ces questions qui semble nécessaire. L’annonce d’une loi de programmation de l’hébergement va de ce point de vue dans la bonne direction, si elle se traduit par une réelle coordination de l’ensemble des acteurs et des politiques publiques. Car il est impossible de traiter de la question du sans-abrisme sans parler des politiques de santé, de jeunesse, d’emploi, et plus généralement des politiques sociales, mais aussi des politiques d’immigration et d’intégration.
À ce sujet, une véritable réflexion mérite d’être menée, d’une part parce que près des trois quarts des personnes hébergées sont en attente d’un statut leur permettant d’accéder à l’emploi et au logement, et d’autre part parce que l’accueil des réfugiés reste difficile : ils sont nombreux dans les campements de rue.
Trois propositions
Face à cela, au moins trois propositions mériteraient d’être portées plus spécifiquement. Il faudrait tout d’abord faire de l’accès à un logement digne le cœur du projet de société, et pour cela, accélérer la construction de logements sociaux et surtout de logements abordables pour les personnes les plus précaires. Afin d’y parvenir, il est nécessaire de s’adapter aux besoins actuels et à venir de chacun des territoires : les réalités sociales ne sont pas les mêmes selon les régions.
Prolongation de la loi SRU avec des quotas spécifiques »Un véritable observatoire de la précarité gagnerait à être créé, qui assurerait un recensement fiable et régulier du sans-abrisme - les dernières statistiques remontent à 2012, les prochaines sont prévues pour 2025 - et qui évaluerait les besoins territorialisés à moyen terme à partir de scénarios économiques, sociaux, environnementaux, migratoires… C’est à partir de l’analyse de ces besoins qu’il sera possible de programmer les moyens nécessaires pour sortir de l’urgence permanente.
La mise en œuvre pourrait ensuite passer par une prolongation de la loi SRU Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, du 13/12/2000, dont l’article 55 impose un quota de 25 % de logements sociaux en 2025, dans chaque commune de 3 500 habitants avec des quotas spécifiques afin de créer des places d’hébergement dans les communes pour rééquilibrer territorialement les capacités de prise en charge. Il faudrait enfin et surtout accompagner et encourager les bailleurs sociaux à construire davantage de logements abordables.
Encourager les bailleurs sociaux à construire davantage de logements abordables »Les pensions de famille mériteraient d’être mieux connues des élus locaux et de nombreuses solutions pourraient aussi être imaginées en s’appuyant sur les expérimentations locales, comme les constructions modulaires ou l’expérience des tiny house à Lyon.
L’accès au logement doit être accélérée
Deuxièmement, la précarité ne doit pas être une fatalité et pour cela, il faut que tout soit mis en œuvre pour en sortir vite : c’est là la meilleure réponse à la peur du déclassement qui se diffuse dans la société française. Pour cela, l’accès au logement doit être accélérée ce qui passe par une meilleure fluidité des parcours de la rue au logement.
Une nouvelle conception des APL pourrait être étudiée en visant l’accélération de l’accès au logement : il serait intéressant par exemple de calculer le coût pour la société du maintien en hébergement de ménages qui pourraient accéder à un logement si les APL Aides personnelles au logement correspondant à 3 types d’aides : l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement à caractère familial et l’allocation de logement à caractère social leur permettaient de bénéficier d’un reste à vivre minimum.
Situations administratives incomplètes et souvent particulièrement complexes »Par ailleurs, les jeunes sont les grandes victimes de la crise et méritent une attention particulière, notamment pour sortir de la précarité et accéder au logement. Enfin, l’insertion de nombreux ménages est bloquée, du fait de situations administratives incomplètes et souvent particulièrement complexes. Une étude menée par plusieurs associations en Ile de France dont Aurore a montré à quel point de nombreux freins administratifs existent et freinent les régularisations, parfois au mépris des lois en vigueur.
Pour une société plus résiliente
Troisièmement, rien n’est possible sans considérer le métier du travail social comme essentiel à la cohésion nationale. Quel plus beau métier que celui consistant à créer du lien et à fabriquer des chemins avec celles et ceux qui ont, à un moment de leur vie, besoin d’être accompagnés ? Pourtant, ce métier est dévalorisé à tel point que les centres de formation ne remplissent pas leurs promotions alors qu’entre 10 et 15 % des emplois dans le secteur sont vacants.
Cela doit faire l’objet d’un véritable sursaut, pour mieux faire connaître ces métiers, pour adapter les parcours de formation et les passerelles tout au long de la vie, et surtout pour revaloriser les carrières. En 20 ans, le salaire d’embauche d’un jeune travailleur social diplômé a décroché au regard de l’inflation. Mieux considérer le travail social, c’est aussi un levier pour penser des solutions nouvelles qui permettraient non seulement d’accélérer la sortie de la précarité, mais aussi de mieux prévenir les risques d’y tomber : un impayé de loyer est souvent un symptôme de bien d’autres difficultés liées à l’emploi, à la santé, à l’accès aux droits…
Autant de situations qui pourraient être résolues si un accompagnement approprié pouvait être rapidement mis en place : le travail social est un investissement pour une société plus résiliente et gagnerait être valorisé en tant que tel.
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. L’édition 2021 a eu lieu le 27/08/2021 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur la thématique : « Présidentielle 2022 : plaçons l’habitat au cœur du projet politique ». Jean-Luc Berho est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
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Fiche n° 39345, créée le 27/04/2020 à 18:47 - MàJ le 27/01/2022 à 18:40