Décret tertiaire : les secteurs du commerce et de la logistique mis en difficulté (B. Dubois-Taine)
La première étape du décret tertiaire (après un 1er report imputé à la Covid) semble être fermement fixée pour septembre 2022. Tout paraît prêt pour l’échéance. Des arrêtés ont été promulgués, la plateforme Operat est opérationnelle. Tout, vraiment ? Pas si simple. Si les conditions sont, pour l’essentiel réunies pour que certains secteurs d’activités (comme celui des bureaux) fassent leurs déclarations Operat dans des conditions raisonnables, tel n’est pas le cas pour d’autres secteurs d’importance comme la logistique (sec ou à température ambiante) ou les commerces, analyse Benoit Dubois-Taine
Associé et fondateur @ ECH Énergie (société de conseil)
, fondateur de la société ECH Énergie
• Société commerciale• Activité : conseil indépendant dans le domaine de l’énergie, et propose ses prestations aux propriétaires, occupants et gestionnaires de bâtiments tertiaires• Création …
et cofondateur de Systenza Énergie.
Ce qui distingue ces derniers secteurs d’activité des autres secteurs tels que les bureaux, c’est le fait que, pour les seconds, les arrêtés « valeur absolue » ont été promulgués, alors que, pour les premiers, ils ne sont pas encore disponibles et ne le seront pas avant la fin 2022. Essayons de comprendre. Que sont ces arrêtés « valeurs absolue » ? Pour quelle raison la non disponibilité de ces arrêtés, pour certains secteurs d’activité, pose-t-elle un problème quant à la déclaration décret tertiaire de septembre 2022 pour ces mêmes secteurs ?
Benoit Dubois-Taine est conseil indépendant dans le domaine de l’énergie à destination des propriétaires, occupants et gestionnaires de bâtiments tertiaires.
Que sont les arrêtés « valeurs absolue » ?
La première étape du décret tertiaire semble (après un 1er report imputé à la Covid) être fermement fixée pour septembre 2022. Tout semble prêt pour l’échéance : des arrêtés ont été promulgués, la plateforme Operat est opérationnelle. Tout, vraiment ? Pas si simple. Si les conditions sont, pour l’essentiel réunies pour que certains secteurs d’activités (celui des bureaux) fassent leurs déclarations Operat dans des conditions raisonnables, tel n’est pas le cas pour d’autres secteurs d’importance comme la logistique (sec ou température ambiante) ou les commerces.
Ce qui distingue ces derniers secteurs d’activité des autres secteurs tels que les bureaux, c’est le fait que, pour les seconds, les arrêtés « valeur absolue » ont été promulgués, alors que pour les premiers ils ne sont pas encore disponibles, et ne le seront pas avant la fin 2022.
Essayons de comprendre. Que sont ces arrêtés « valeurs absolue » ? Et pour quelle raison la non disponibilité de ces arrêtés, pour certains secteurs d’activité, pose-t-elle un problème quant à la déclaration décret tertiaire de septembre 2022 pour ces mêmes secteurs ?
Le contexte
Avant d’expliquer la portée des arrêtés « valeur absolue », rappelons que les objectifs de consommation d’énergie des bâtiments assujettis au décret tertiaire sont exprimés
- soit en valeur relative, c’est-à-dire en pourcentage par rapport à une consommation de référence à choisir entre 2010 et 2019 (par exemple, -40 % pour l’année 2030)
- soit en valeur absolue (c’est-à-dire, d’une manière qui est indépendante de la consommation de référence du bâtiment)
Typiquement, les bâtiments déjà « très performants » viseront un objectif en valeur absolue alors que les bâtiments « modérément performants » viseront un objectif en valeur relative.
Les arrêtés dits « valeur absolue » sont des arrêtés permettant de calculer les objectifs en valeur absolue des bâtiments, en fonction « d’indicateurs d’intensité d’usage » du bâtiment, par application d’une formule de calcul de l’objectif en valeur absolue. Pour les bureaux, l’objectif en valeur absolue est calculé sur la base d’une formule faisant intervenir trois indicateurs d’intensité d’usage :
- le nombre d’heures ouvrées dans l’année ;
- le taux d’occupation ;
- la surface moyenne par poste de travail.
Ces indicateurs, et cette formule, permettent de tenir compte, dans l’objectif en valeur absolue, de la manière dont le bâtiment est utilisé (son usage), afin de moduler l’objectif en fonction de l’usage. À ce jour, une partie seulement des arrêtés « valeur absolue », ceux concernant les bureaux, l’enseignement et la petite enfance, et la logistique du frais, ont été promulgués. Les arrêtés concernant les autres secteurs, en particulier la logistique du sec (ou à température ambiante) et le commerce, ne sont pas disponibles.
Pour quelle raison la non disponibilité de ces arrêtés pose-t-elle un problème quant à la déclaration décret tertiaire de septembre 2022 ? Pour quelle raison la non disponibilité de ces arrêtés, pour certains secteurs d’activité, pose-t-elle un problème quant à la déclaration décret tertiaire de septembre 2022 pour ces mêmes secteurs ?
Année de référence à choisir entre 2010 et 2019
On se rappelle que ce qui doit être déclaré, à l’échéance septembre 2022, ce sont, d’une part, les consommations 2021, et, surtout, l’année de référence à choisir entre 2010 et 2019. Quel peut être le lien entre la valeur absolue et le choix de l’année de référence ?
Quel peut être le lien entre la valeur absolue et le choix de l’année de référence ? »La réponse à la question se trouve nichée dans l’art. 10 de l’arrêté du 10/04/2020 : « L’objectif exprimé en valeur relative est modulé sur la base du niveau de consommation de référence Cref auquel est appliqué le rapport entre le niveau de consommation Cabs modulé, et le niveau Cabs de référence, déterminés chacun en fonction des valeurs des indicateurs d’intensité d’usages respectives ». (1) En application de cette phrase, l’objectif en valeur relative (ici pour 2030) est déterminé par la formule : Objectif 2030 = (1-40 %) x Cabs Somme de deux composantes d’usage de l’énergie CVC + USE (niveau cible de consommation d’énergie finale) modulé x (Cref Niveau de consommation énergétique de référence qui s’exprime en kWh/m2 de surface de plancher. Ajusté en fonction des variations climatiques / Cabs référence)
Réfléchissons à la portée de cette phrase pour un assujetti qui souhaite déterminer la meilleure année de référence pour son actif (année de référence qui peut être choisie librement par l’assujetti entre 2010 et 2019). Notre assujetti, très logiquement et surtout si son actif est « modérément performant » (le cas le plus fréquent), cherchera une année de référence lui permettant de minimiser la quantité d’économie d’énergie lui restant à accomplir, c’est-à-dire, à maximiser son objectif exprimé en valeur relative.
En application de la formule ci-dessus, l’année de référence optimale sera donc celle qui maximisera le rapport Cref/Cabs référence, c’est-à-dire celle pour laquelle : Cref/Cabs référence = maximum (Cref (2010)/Cabs référence (2010) ; Cref (2011)/Cabs référence (2011)… Cref (2019)/Cabs référence (2019).
Ce que cette expression montre clairement, c’est qu’en l’absence d’arrêté « valeur absolue », notre assujetti ne peut pas identifier l’année de référence qui lui permet de maximiser son objectif exprimé en valeur relative. Il ne peut pas, valablement, choisir de manière éclairée son année de référence, car la consommation de l’année de référence doit être modulée selon des dispositions dont, au moment où il fait son choix, il n’a pas connaissance.
Conclusion : un moratoire inévitable ?
Les assujettis des secteurs de la logistique et du commerce se voient donc, du fait des insuffisances des arrêtés, privés de cette faculté de sélectionner, entre 2010 et 2019, l’année de référence la plus favorable, faculté que la loi, en théorie, leur reconnaît (afin de prendre en compte d’éventuelles actions d’économie d’énergie mises en œuvre antérieurement à la promulgation du décret tertiaire). Ils sont, par rapport à d’autres secteurs d’activité, lésés. Ce qui constitue potentiellement une rupture de l’égalité devant la loi.
Rien ne laisse à penser que le choix de l’année de référence sera modifiable après 2022 »Cet état de fait a des conséquences importantes car, comme on le sait, le volume d’activité peut varier considérablement, d’une année sur l’autre, sur une plateforme logistique comme dans une surface commerciale. L’impossibilité de sélectionner l’année de référence la plus favorable est, pour les assujettis, potentiellement très pénalisante. S’il était possible de modifier le choix de l’année de référence postérieurement à septembre 2022, il n’y aurait pas lieu de s’émouvoir. Mais pour l’instant, rien dans les textes ne laisse à penser que le choix de l’année de référence sera modifiable après 2022.
Alors, peut-être notre administration ouvrira-t-elle la porte à une forme de flexibilité. Ou peut-être y sera-t-elle contrainte par quelque recours, recours dont on n’imagine pas comment il pourrait ne pas survenir, tant les insuffisances des arrêtés promulgués à ce jour ont placé nombre d’assujettis, et des secteurs d’activité entiers, dans une situation intenable. Dans tous les cas, on ne voit pas comment elle pourrait échapper à une forme de moratoire…
(1) Cette phrase est, à la réflexion, parfaitement cohérente : il est logique que les consommations de l’année de référence Cref soient modulées (ou redressées) en fonction des indicateurs d’intensité d’usage observées lors de cette même année de référence ; de sorte que lorsque, par exemple, l’usage du bâtiment est peu intense (et donc, lorsque Cabs référence est bas), la consommation Cref soit modulée à la hausse, via une division par Cabs référence. Inversement, lorsque l’usage du bâtiment est intense (et donc lorsque Cabs référence est élevé), la consommation Cref est modulée à la baisse, toujours via une division par Cabs référence.
Benoit Dubois-Taine
Associé et fondateur @ ECH Énergie (société de conseil)
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Fiche n° 46108, créée le 18/05/2022 à 14:18 - MàJ le 18/05/2022 à 14:28
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