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Décret tertiaire : pourquoi l’arrêté du 13/04/2022 modifie certaines orientations (B. Dubois-Taine)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°255730 - Publié le 27/06/2022 à 10:35
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Les bâtiments concernés par l’arrêté du 13/04/2022 - ©  BB

L’arrêté du 13/04/2022, promulgué au Journal Officiel du 24/04/2022, précise certaines modalités d’application du décret tertiaire. Si, sur un certain nombre de points, l’arrêté précise certaines facettes du dispositif décret tertiaire (sans pour autant le compléter, soulignons-le, car pour l’instant, les dispositions relatives aux secteurs d’activité de la logistique et du commerce restent imprécises), il en amende et, au vrai, en modifie profondément certaines orientations, écrit Benoit Dubois-Taine Associé et fondateur @ ECH Énergie (société de conseil)
, associé et fondateur chez ECH Énergie et associé et cofondateur chez Systenza.

Les deux points de l’arrêté du 13/04 (titres XVI et XX de l’article 1) interrogent le propriétaire d’un bâtiment alimenté en chaud par un réseau urbain. Car, au-delà des conséquences financières pour les exploitants des bâtiments (tout le monde le sait, les réseaux urbains sont chers), ces dispositions amènent à se poser deux questions sur ce que cela dit sur la finalité du décret tertiaire et sur sa stabilité.

Voici la tribune de Benoit Dubois-Taine.


Au gré des vents…

Le 24/04/2022 a été promulgué l’arrêté du 13/04/2022 qui précise certaines modalités d’application du décret tertiaire. Si, sur un certain nombre de points, l’arrêté précise certaines facettes du dispositif décret tertiaire (sans pour autant le compléter, soulignons-le, car pour l’instant, les dispositions relatives aux secteurs d’activité de la logistique et du commerce restent imprécises), il en amende et, au vrai, en modifie profondément certaines orientations.

Des dispositions inattendues en faveur des réseaux urbains

 Relevons les deux points suivants de l’arrêté.

  • Dans le titre XVI (art. 16) de l’article 1, on note que « le changement de type d’énergie utilisée ne doit pas entraîner, à volume d’activité constant : d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ; ni d’augmentation du recours aux énergies non renouvelables dont l’évaluation sera appréciée par conversion des consommations d’énergie finale en énergie primaire suivant les coefficients de conversion présentées en annexe VII ».
  • Toujours dans le titre XX (annexes) de l’article 1, on relève que le « coefficient de conversion des consommations en Énergie finale (exprimées en kWh PCI Pouvoir Calorifique Inférieur, quantité de chaleur dégagée par la combustion d’une unité de masse de produit (1kg) dans des conditions standardisées ) en Énergie primaire non renouvelable » est valorisé à 2,33 pour l’électricité, à 1 pour le gaz, à 1 pour les réseaux d’eau glacée, et, pour les réseaux d’eau chaude, au « ratio d’énergie renouvelable ou de récupération du réseau (chaleur) ».

Quelle est la conséquence concrète des deux points ?

Elle est toute simple : imaginons un propriétaire dont le bâtiment est alimenté en chaud par un réseau urbain. Eh bien, dès lors que le ratio d’énergie renouvelable ou de récupération du réseau de chaleur est tant soit peu inférieur à 1 (par exemple, 0,75), il n’a tout simplement légalement pas le droit de remplacer sa production de chaud réseau urbain par une production de chaud thermodynamique (par exemple, à base de pompes à chaleur, ou de détente directe). Le COP Coefficient de performance moyen de ce type de machine, en général de l’ordre de 2,5 à 3, est insuffisant pour « compenser » le rapport (égal à 2,33/0,75 = 3,1) entre le coefficient de conversion énergie finale - énergie primaire de l’électricité (2,33) et celui du réseau de chaud (qu’on a supposé égal à 0,75).

En d’autres termes, notre propriétaire est « prisonnier » de son réseau urbain et ne peut pas s’en défaire. Ce d’autant plus qu’a été insérée, également dans le titre XX de l’article 1, cette mention qui indique que le « facteur de conversion en énergie finale des énergies consommées » est valorisé, pour les réseaux urbains chaud, à 0,77, et pour les réseaux urbains froid, à 0,25. En d’autres termes, à cause de ce dernier facteur 0,25, le remplacement d’un réseau urbain froid par de la production venant de groupes froids ou de systèmes à détente directe entraine tout simplement -du point de la loi- une augmentation de la consommation en énergie finale de l’actif (sauf si le COP est supérieur à 4, ce qui est difficile à atteindre en pratique) et donc une dégradation de sa performance du point de vue du décret tertiaire…  

Tout est fait pour pérenniser la présence des réseaux urbains dans les bâtiments là où ils sont déjà implantés. Et la loi supprime la pertinence - voire interdit la mise en œuvre - sur de tels bâtiments, d’actions d’économie d’énergie consistant à mettre en place de systèmes thermodynamiques pour assurer conjointement la production de chaud et de froid. « Joli coup, messieurs des réseaux » a-t-on envie de dire.

Quelle cohérence avec les objectifs affichés du décret ?

Au-delà de leurs conséquences financières pour les exploitants des bâtiments (car, tout le monde le sait, les réseaux urbains sont chers), ces dispositions amènent à se poser deux questions.

Question 1 : ce que cela dit sur la finalité du décret

La première question est celle de l’alignement avec la finalité affichée du décret. Le décret tertiaire est le décret d’application d’un des articles de la loi ELAN Évolution du logement et aménagement numérique - Loi « Logement » adoptée le 23/11/2018 par le Parlement , article qui, selon la loi, « s’inscrit en cohérence avec les objectifs fixés par la stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone mentionnée à l’article L. 222-1 B du code de l’environnement ». Le décret tertiaire vise donc, en théorie, à inciter les acteurs à réduire leur empreinte carbone.

Les dispositions que nous venons d’analyser ne sont pas alignées avec cet objectif. Le critère de « renouvelabilité » avancé ci-dessus conduit les rédacteurs des arrêtés à pénaliser l’électricité - pourtant très largement décarbonée en France - au profit de réseaux urbains, quand bien même ils seraient fortement émetteur de CO2. Imaginons, par exemple, un réseau urbain alimenté à hauteur de 25 % par de la biomasse (renouvelable), et à hauteur de 75 % par du gaz : pour un tel réseau, la simple application des dispositions ci-dessus conduit à le pérenniser dans les bâtiments qu’il dessert, alors même qu’une solution thermodynamique, de COP 2,5 par exemple, se traduirait par une réduction d’un facteur 6,5 des émissions de CO2 liées à la production de chaleur.

Ce point du non alignement du décret par rapport à son objectif affiché de décarbonation avait déjà été souligné dans un précédent article (les deux « péchés originels » publié le 29/03/2022 sur LinkedIn). L’arrêté promulgué le 24/04/2022 conforte cette analyse.

Question 2 : ce que cela dit sur la stabilité du décret

La seconde question est plus dérangeante. Les deux points relevés ci-dessus dans l’arrêté sont des nouveautés par rapport aux précédents arrêtés. Des nouveautés de fond, pas du tout marginales, mais au contraire très structurantes pour les propriétaires concernés. Elles sont de nature à changer radicalement la stratégie qu’ils envisagent pour la rénovation de leurs actifs. Alors que rien, dans la rédaction du décret et des arrêtés antérieurs, ne pouvait laisser entrevoir que de tels « coups de volant » seraient donnés. Et ce à quelques mois seulement de la déclaration de l’année de référence en septembre 2022 !

Est-ce à dire que les dispositions du décret sont susceptibles de subir des réorientations soudaines et importantes ? Au gré des modes ou des lobbys ?

  • Celui des anti-nucléaires (cf. le coefficient 2,33)
  • Celui du solaire (cf. le fait que l’installation d’une production solaire avec autoconsommation réduit les obligations de sobriété énergétique)
  • Celui du gaz (cf le fait que le gaz est « compté » de la même manière que l’électricité, alors qu’il émet plus de CO2)
  • Et celui des réseaux.

Tout cela est, pour les propriétaires, inquiétant. Inquiétant car pour construire des stratégies robustes d’évolution de leurs actifs dans le temps, ils ont absolument besoin d’une stabilité réglementaire. Et si les « à-coups » comme celui que nous relevons ci-dessus leur donnent à penser que la loi peut changer d’un jour à l’autre, alors ils auront tout lieu d’estimer que la meilleure stratégie est de ne rien faire…

Benoit Dubois-Taine


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Fiche n° 46108, créée le 18/05/2022 à 14:18 - MàJ le 18/05/2022 à 14:28


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