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Rénover ne suffira pas, il faut construire pour loger les ménages (J.-M. Mangeot et S. Depraz, ESPI)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°264158 - Publié le 16/09/2022 à 11:10
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©  D.R.
Samuel Depraz (à g.) et Jean-Michel Mangeot - ©  D.R.

Les Entretiens d’Inxauseta, le 26/08/2022 à Bunus (64), ont été placés sous le signe de l’urgence et d’un slogan « Ne perdons pas de temps » L’événement a permis de faire ce constat unanimement partagé : rénover ne suffira pas, il faut construire. Si l’objectif de 500 000 logements par an n’est plus cité, comme l’a relevé Didier Vanoni Directeur, économiste et sociologue @ FORS Recherche sociale
, tous les acteurs convergent sur la nécessité de poursuivre sans relâche l’effort de construire pour loger les ménages car un « trou » dans l’effort de construction ne se rattrape jamais, comme l’a rappelé Valérie Fournier Directrice générale @ Groupe 3F • Présidente @ Fédération des entreprises sociales pour l’habitat (FESH)
, président de la Fédération des ESH Entreprise sociale pour l’habitat , écrivent Jean-Michel Mangeot Directeur du conseil scientifique et de l’innovation @ École supérieure des professions immobilières (ESPI)
, directeur du conseil scientifique et de l’innovation de l’ESPI, et Samuel Depraz Directeur de la recherche @ École supérieure des professions immobilières (ESPI)
, directeur de la recherche, dans une tribune adressée à News Tank le 14/09/2022.

Pour autant, acteurs privés comme publics de la construction constatent qu’on n’a rarement aussi peu construit depuis une décennie. Ce que Pascal Boulanger Président @ Fédération des promoteurs immobiliers (FPI)
résume au nom de la FPI Fédération des promoteurs immobiliers - Instance professionnelle représentant les promoteurs immobiliers du secteur privé en France en disant qu’il n’y a pas un problème de demande, mais un problème d’offre : nous accordons trop peu de permis de construire pour pouvoir répondre correctement aux besoins.

Voici la tribune de Jean-Michel Mangeot et Samuel Depraz.


« Ne perdons pas de temps »

Les Entretiens d’Inxauseta ont été placés, en 2022, sous le signe de l’urgence. « Ne perdons pas de temps » : ce slogan, qui aurait pu n’être qu’incantatoire, a été dûment vérifié par de nombreux participants.

Après une matinée de constats et de propositions, les Entretiens de l’après-midi ont rassemblé des représentants des métiers de l’urbanisme et de la construction, ainsi que de l’autorité publique créatrice des normes d’urbanisme. Les échanges ont permis de dégager de larges espaces de convergence entre acteurs de la chaîne du logement et de la ville, qu’il s’agisse des objectifs et des méthodes, d’identifier des points de blocages, et de faire apparaître de nouvelles sources d’inquiétude, liées au contexte macroéconomique.

Rendre acceptable la construction

Le constat est unanimement partagé : rénover ne suffira pas, il faut construire. Si l’objectif de 500 000 logements n’est plus cité, comme l’a relevé Didier Vanoni, tous les acteurs convergent sur la nécessité de poursuivre sans relâche l’effort de construire pour loger les ménages, car un trou dans l’effort de construction ne se rattrape jamais, comme l’a rappelé Valérie Fournier pour les ESH Entreprise sociale pour l’habitat . Pour autant, acteurs privés comme publics de la construction constatent qu’on n’a rarement aussi peu construit depuis une décennie, ce que Pascal Boulanger résume au nom de la FPI Fédération des promoteurs immobiliers - Instance professionnelle représentant les promoteurs immobiliers du secteur privé en France en disant qu’il n’y a pas un problème de demande, mais un problème d’offre : on accorde trop peu de permis de construire pour pouvoir répondre correctement aux besoins.

Nécessaire qualité esthétique et d’habitabilité des projets »

Pour autant, les acteurs sont tous convenus qu’il ne s’agit pas que d’un malthusianisme lié à la lutte contre l’étalement urbain. Il s’agit aussi d’une pression exercée par les populations auprès de leurs élus municipaux pour ne plus construire (le fameux effet Nimby Not in my backyard : « surtout pas chez moi » ) [1]. Les motifs, rappelés par Jean-Claude Driant Professeur @ École d’urbanisme de Paris
, en sont multiples et assez bien identifiés : volonté de rester « entre soi », craintes à l’égard des nouveaux arrivants, en particulier si les programmes incluent du logement social, refus des troubles provisoires liés à la construction (bruit, poussière, circulation d’engins…), répugnance à l’égard de l’esthétique et de la qualité des constructions récentes - systématiquement les plus mal classées dans les enquêtes selon Didier Vanoni [2] - et interrogations sur leur intégration dans la ville existante, refus d’une densité excessive et, parfois, de la part des élus, craintes de ne pouvoir construire les équipements que rend nécessaires l’augmentation de la population.

Tous les acteurs ont insisté sur l’importance du dialogue et de la concertation avec la population, avant tout acte de construire. Constatant que les projets qui se réalisaient entre 3 à 5 ans prennent de 8 à 10 ans, Dominique Estrosi Sassone Administratrice @ Côte d’Azur Habitat • Sénatrice @ Sénat • Conseillère métropolitaine, membre du bureau, Présidente de la commission logement, rénovation urbaine et cohésion sociale @ Métropole… a recommandé de «  »ecréer des solidarités«  et de co-construire ; Valérie Fournier a insisté sur le dialogue permanent entre opérateurs et élus mais aussi avec la population environnante pour expliquer et convaincre. Plusieurs intervenants ont insisté sur la nécessaire qualité esthétique et d’habitabilité des projets [3] pour renforcer leur acceptabilité par la population.

A été également évoquée l’importance à aider les maires bâtisseurs, qu’il s’agisse de redistribuer une part de la TVA comme le propose la FPI ou que des moyens techniques et humains supplémentaires leur soient alloués comme l’a demandé Jean-René Etchegaray qui a souligné le  »grand sentiment de solitude«  des élus. Valérie Rabault a relevé à ce sujet que beaucoup de collectivités et même beaucoup de communautés de communes n’avaient pas les moyens de recruter les hommes nécessaires et de leur assurer une carrière.

Répondre aux attentes en étant économe en foncier

Élus comme acteurs de la chaîne du logement sont convenus qu’il faut écouter les attentes de la population et y répondre. François Rieussec Président @ ARP Foncier (Toulouse)
a évoqué, au nom de l’UNAM Union nationale des aménageurs , les  »injonctions contradictoires«  d’un modèle urbain où la maison individuelle, rebaptisée  »pavillon«  n’aurait plus sa place, alors que la grande majorité de la population rêve de maison et que cette dernière est, le plus souvent, le premier pas d’accession à la propriété. Après avoir rappelé que l’accession sociale à la propriété se faisait en deuxième couronne faute de modèle économique viable en centre-ville, Yannick Borde Président @ Crédit Immobilier de France Développement • Président @ Procivis-UESAP • Vice-président @ USH • Directeur général @ Procivis Anjou-Vendée • Directeur général @ Groupe Procivis Ouest… a souligné que le Réseau Procivis procédait chaque année à un sondage pour connaître les attentes de la population et a recommandé de rassembler élus, architectes, promoteurs et aménageurs pour concilier ces attentes et la lutte contre l’étalement urbain.

Concilier ville et nature, densité et maison individuelle »

À ce propos, Dominique Estrosi Sassone a souligné qu’il y avait consensus parmi les élus pour respecter les objectifs du ZAN Zéro artificialisation nette - Objectif de réduction de la consommation d’espace à zéro unité nette de surface consommée en 2050, fixé par le plan Biodiversité du Gouvernement en juillet 2018 de réduire la consommation d’espaces naturels et agricoles, pour autant qu’il soit mis en place progressivement et avec souplesse et soit accompagné par de l’ingénierie et des financements pour le mettre en œuvre ; elle a cependant tonné contre les décrets pris, à ses yeux, à la va-vite qui méconnaissent les principes posés par la loi Climat & Résilience et incluent dans les espaces artificialisés les parcs et jardins ou les périmètres d’utilité publique nationaux, amputant d’autant la capacité d’agir locale.

De son côté, François Rieussec a parlé de  »psychose«  en rappelant que sur les 8 % du territoire artificialisé, un tiers était en parcs et jardins qui absorbaient la pluie presque aussi bien que les terres agricoles et a plaidé pour le permis d’aménager bioclimatique. Un consensus s’est exprimé pour concilier ville et nature et densité et maison individuelle. À tout le moins, suggère la FPI, faudrait-il libérer plus de foncier public pour permettre une meilleure réponse aux besoins.

Territorialiser la politique du logement

Dans la continuité des travaux de la matinée, à l’unanimité, les participants se sont prononcés en faveur de la territorialisation de la politique du logement. Les élus ont, à l’instar de Jean-René Etchegaray Président @ Communauté d’agglomération du Pays Basque • Maire (UDI) @ Ville de Bayonne
• Né le 6 mars 1952
, déploré la méfiance de l’État à l’égard des élus et des territoires. Yannick Borde Président @ Crédit Immobilier de France Développement • Président @ Procivis-UESAP • Vice-président @ USH • Directeur général @ Procivis Anjou-Vendée • Directeur général @ Groupe Procivis Ouest… a recommandé de revoir le zonage et de le territorialiser, mais pas de le supprimer, sur le modèle du Pinel breton. Au passage, il a souligné les risques d’effets de bord d’un changement de classement d’une commune, s’il n’intègre pas les impacts sur les communes avoisinantes.

Constatant qu’il n’existe plus de consensus sur ce qu’il faut faire, plusieurs intervenants comme Dominique Estrosi Sassone, Valérie Rabault ou Valérie Fournier recommandent une approche au plus près des territoires car les élus savent quelle politique ils veulent déployer. La territorialisation permettra seule de faire émerger la souplesse dans l’application des politiques que tous appellent de leurs vœux et de recréer ce que Valérie Fournier a appelé  »le consensus républicain pour faire du logement une priorité« .

Imposer une pause normative

Assez naturellement, les représentants des deux Fédérations en charge de la construction (FPI et FFB) ont appelé à une pause normative que Samuel Minot, au nom de la FFB Fédération française du bâtiment , a même présentée comme la toute première priorité, face au dérapage des coûts de construction : en effet, à l’augmentation du prix des matériaux et des intrants - les deux tiers de la hausse venant de l’énergie - et à celle des salaires (quatre hausses du SMIG en 1 an), s’ajoute l’impact des nouvelles normes. Dématérialiser les procédures de permis de construire, mieux exploiter les zones ouvertes à la construction dans les PLU Plan local d’urbanisme - actuellement mobilisées seulement à 65 % des périmètres prévus - ou encore éviter la surenchère de chartes locales et autres documents de cadrage qui ralentissent fortement les projets : les pistes sont nombreuses pour mieux fluidifier la construction dans le cadre réglementaire existant et répondre ainsi à l’urgence sociale.

Il ne s’agit pas seulement de construire toujours mieux, encore faut-il construire plus à des prix accessibles pour l’ensemble de la population. Valérie Fournier s’est interrogée sur le dérapage des coûts de construction (+18 % depuis 2019).

Deux nouvelles sources d’inquiétude

Au-delà des prescriptions pour mieux répondre quantitativement et qualitativement au besoin de logements de nos concitoyens, deux nouvelles sources d’inquiétude se sont exprimées : l’inflation et les taux d’intérêt.

L’inflation est un phénomène nouveau mais très prégnant dans la construction de logements : la démondialisation et l’inflation du prix des matières premières constituent autant d’éléments nouveaux que les quatre augmentations du SMIG en 2022 ne font que conforter : le BT01 Indice de référence sur l’évolution des coûts de construction dans le secteur du bâtiment actualisé tous les mois par l’Insee a augmenté de 14 % comme l’a rappelé Samuel Minot. Surtout, après 40 ans de désinflation, plus personne ne sait comment construire un budget intégrant l’inflation ni n’ose imaginer une indexation des prix à date de réalisation des constructions, et non selon des coûts fixés définitivement à l’acceptation des projets.

En miroir, Pascal Boulanger souligne que le choc d’offre évoqué était double : non seulement il est de plus en plus difficile et long d’obtenir un permis de construire mais, une fois obtenu, les coûts de construction s’avèrent plus élevés que prévu, condamnant le promoteur à soit négocier une augmentation de  prix auprès de ses acheteurs en VEFA Vente en l’état futur d’achèvement , soit abandonner l’opération, faute de rentabilité. Potentiellement, l’inflation pourrait conduire à une nouvelle baisse de la construction neuve.

Avancer sous vents contraires »

De même, comme l’a souligné Hakim Lahlou de la Banque des Territoires • Groupe Caisse des dépôts• Activités : conseil et ingénierie, prêts à l’habitat et au secteur public local, investissements en fonds propres, opérateur de logement social, services bancaires… , l’augmentation de l’inflation entraîne non seulement la hausse des taux d’intérêt décidée par les Banques Centrales mais la repentification des taux d’intérêt et, avec un effet retard, la hausse du taux d’usure  : techniques en apparence, ces mesures contribuent à exclure un nombre croissant de ménages de l’accession à la propriété, surtout si elles s’ajoutent aux mesures décidées par le HCSF Haut conseil de stabilité financière de réduction des durées de prêts ou de calcul du taux d’endettement maximal. Des efforts sur la maturité des prêts sont à prioriser face à la contrainte forte sur les taux.

Les tables rondes de l’après-midi ont confirmé et consolidé les conclusions de la matinée ; reste, comme le disait le titre des Entretiens 2022, à ne pas perdre de temps, sachant que des vents macroéconomiques contraires commencent à souffler avec force.

[1] Not in my backyard,  »pas dans mon jardin« . Voir aussi le concept de « clubbisation », décrit par Eric Charmes dans son ouvrage La ville émiettée. Essai sur la clubbisation de la vie urbaine (2011) pour signifier ce refus d’accueil du dernier arrivé dans les villages périurbains.

[2] Rappelons le débat autour de l’article « Comment la France est devenue moche » de Télérama (2010) et la réponse du sociologue Eric Chauvier à ce sujet (Contre Télérama, 2014).

[3] voir les travaux de l’IDHEAL et le rapport 2021 de la mission Girometti sur la qualité du logement, en ligne :  (https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport %20Mission %20Logement %20210904.pdf)

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La dernière édition a eu lieu le 26/08/2022 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de « l’urgence à agir ». Jean-Luc Berho est également président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

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Samuel Depraz (à g.) et Jean-Michel Mangeot - ©  D.R.