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Produire du logement abordable avec les contraintes actuelles : mission impossible ? (J.-M. Mangeot)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°292821 - Publié le 23/06/2023 à 11:00
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Jean-Michel Mangeot - ©  D.R.

Produire du logement abordable, compte-tenu des contraintes actuelles : mission impossible ? La question, pour pertinente qu’elle soit, recèle son volume d’imprécisions et porte autant d’angoisses que d’espérance, écrit Jean-Michel Mangeot Directeur du conseil scientifique et de l’innovation @ École supérieure des professions immobilières (ESPI)
, directeur du Conseil scientifique et de perfectionnement et directeur de l’innovation au sein du groupe ESPI École supérieure des professions immobilières (École supérieure des professions immobilières), dans une tribune adressée à News Tank le 22/06/2023.

Qu’est-ce déjà qu’un logement abordable ? Chacun croit le savoir, imagine un logement « pas trop cher ». Pour autant, il n’existe pas une catégorie de logement abordable, comme existe le logement social, le logement intermédiaire ou libre, le logement haut de gamme, pour la simple raison que le logement abordable se définit non par ses caractéristiques, mais par le revenu de ses occupants. Le logement abordable s’adresse aux ménages trop aisés pour bénéficier du logement social et trop modestes pour pouvoir s’installer où ils veulent sans arbitrage sur la localisation ou la taille du bien. En termes statistiques, ces ménages correspondent aux déciles 3 à 5 de l’Insee L’Institut national de la statistique et des études économiques . Ils représentent environ 30 % de la population et 50 % de la demande de logements neufs (source : Adequation • Statut : SAS• Création : 1992• Activités : data, étude, conseil• Missions : observe, analyse et étudie les marchés immobiliers résidentiels en France au travers 3 métiers hybrides : data, études… ).

Voici la tribune de Jean-Michel Mangeot, également conseil d’entreprises du secteur immobilier et ex-délégué général de la FPI Fédération des promoteurs immobiliers - Instance professionnelle représentant les promoteurs immobiliers du secteur privé en France et dirigeant dans de grandes entreprises du secteur financier.


Définition du logement abordable

Produire du logement abordable , compte-tenu des contraintes actuelles  : mission impossible ? La question, pour pertinente qu’elle soit, recèle son volume d’imprécisions et porte autant d’angoisses que d’espérance.

Qu’est-ce déjà qu’un logement abordable ? Chacun croit le savoir, imagine un logement « pas trop cher » ; pour autant, il n’existe pas une catégorie de logement abordable, comme existe le logement social, le logement intermédiaire ou libre, le logement haut de gamme, pour la simple raison que le logement abordable se définit non par ses caractéristiques, mais par le revenu de ses occupants. Le logement abordable s’adresse aux ménages trop aisés pour bénéficier du logement social et trop modestes pour pouvoir s’installer où ils veulent sans arbitrage sur la localisation ou la taille du bien. En termes statistiques, ces ménages correspondent aux déciles 3 à 5 de l’Insee L’Institut national de la statistique et des études économiques  ; ils représentent environ 30 % de la population et 50 % de la demande de logements neufs (source : Adequation).

À partir de cette analyse, le logement abordable se définit par la capacité d’emprunt maximale ou le taux d’effort supportable et peut être aussi bien en accession qu’en location. Apparaît alors la diversité des marchés, mesurée administrativement par la tension, définie comme un déséquilibre entre l’offre et la demande ; dit plus clairement, en zones tendues, l’effet d’éviction joue à plein, renvoyant le logement abordable hors des zones les plus centrales et les plus recherchées et entraînant de longs trajets journaliers entre le domicile et le lieu de travail.

Le paramètre clé du foncier

De ce point de vue, le contexte de marché, combiné à la règlementation, a contribué à contraindre sensiblement la capacité des ménages concernés à accéder à des logements abordables.

Le foncier constitue un paramètre clef puisque sa rareté et l’inflation de son prix en zones urbaines tendues est un facteur majeur de hausse des prix des logements et, partant, d’éviction des ménages à revenus intermédiaires des centres urbains et de leur éloignement dans des communes périphériques plus ou moins éloignées. Une étude, déjà un peu ancienne (2019) du Conseil Supérieur du Notariat (CSN Conseil supérieur du notariat ) estimait l’augmentation moyenne des prix du foncier à +200 % depuis 2000 avec de fortes disparités géographiques.

Création artificielle d’un effet de rareté »

La raréfaction des terrains disponibles en zones urbaines n’a fait que renforcer cette tendance à la hausse avec la concurrence entre opérateurs et, pour les terrains publics, le jeu des enchères. De ce point de vue, le ZAN Zéro artificialisation nette - Objectif de réduction de la consommation d’espace à zéro unité nette de surface consommée en 2050, fixé par le plan Biodiversité du Gouvernement en juillet 2018 fait peser une nouvelle menace sur ces ménages à revenus intermédiaires en restreignant drastiquement les espaces constructibles dans les zones moins denses où le foncier est moins cher ; il risque de pousser encore plus les prix du foncier constructible à la hausse, en particulier en zones détendues, en créant artificiellement un effet de rareté. La « garantie rurale » actuellement avancée qui laisserait à chaque commune rurale 1 hectare à urbaniser n’y change rien. Globalement, la pénurie des terrains constructibles risque d’être encore fortement aggravée dans les années qui viennent, conduisant -sauf mesures horizontales- à une nouvelle hausse des prix des logements.

Les coûts de construction constituent un 2e facteur. Selon une formule mille fois répétée par les professionnels, « on construit mieux, mais on construit plus cher » : la qualité des logements neufs s’est continûment renforcée sous l’effet des règlementations thermiques et environnementales successives (ainsi que celle relative à l’accessibilité), ce dont chacun ne peut que se féliciter ; pour autant, cette amélioration de la qualité des logements a eu un coût que les gains de productivité des opérateurs n’ont pas pu compenser (+50 % entre 2000 et 2018 selon le CSN). De surcroît, lors des deux dernières années, la construction a été confrontée à une explosion des prix des matériaux qui s’est répercutée sur les coûts de construction (entre +8,7 % et +12,4 % pour le BT01 Indice de référence sur l’évolution des coûts de construction dans le secteur du bâtiment actualisé tous les mois par l’Insee entre décembre 2020 et juillet 2022 selon la FFB Fédération française du bâtiment ).

Coup d’arrêt à l’accession à la propriété

Augmentation globale des prix des logements »

De ces deux facteurs est résulté un plus que doublement des prix des logements sur 20 ans, aussi bien collectifs qu’individuels, sur l’ensemble du territoire, très accentué en zones urbaines denses avec les effets d’éviction corrélatifs des ménages à revenus intermédiaires, mais également en zones périphériques où le même phénomène d’envolée des prix peut être constaté, voire accentué. Sur une période plus courte (2013-2022), l’Insee fait ressortir une hausse moyenne de près de 30 %, toutes catégories confondues, avec de fortes disparités géographiques et une explosion particulièrement nette dans les métropoles. L’augmentation globale des prix des logements, plus rapide que celle des revenus des ménages, a donc pu contribuer à évincer le décile le plus bas des ménages aux revenus intermédiaires, sauf à ce qu’ils aient eu massivement recours à l’endettement.

Or, après avoir longtemps été facilitée par la baisse des taux d’intérêt et l’allongement des durées d’endettement, l’acquisition de logements abordables a connu deux coups d’arrêt successifs. D’abord, les mesures prises par le HCSF Haut conseil de stabilité financière en septembre 2021, en plafonnant le taux d’endettement et la durée de prêt, ont porté un coup d’arrêt à l’accession à la propriété d’une partie des ménages à revenus intermédiaires que les dérogations pour les primo-accédants n’ont que marginalement atténué. D’autre part, et surtout, la remontée des taux d’intérêt depuis mi 2022 aggrave la situation en portant l’effort de remboursement des ménages au-delà du niveau de soutenabilité.

Mise en place des OFS et du BRS

Dans ce contexte compliqué pour le logement abordable, la politique menée ces dernières années semble obéir davantage à un objectif budgétaire qu’à une volonté cohérente et planifiée d’accompagner le développement du logement à destination des ménages à revenus intermédiaires.

D’un côté, il faut souligner la mise en place des OFS Organisme de foncier solidaire - Créé par la loi ALUR, agréé par le préfet de région et dédié au portage foncier pour réaliser des logements en accession ou location à usage de résidence principale et du BRS Bail réel solidaire - Créé par la loi ALUR : le ménage est propriétaire de sa maison mais locataire du terrain. Contient des clauses de prix de revente et des plafonds de ressources des acheteurs ou l’essor du bail emphytéotique et, du côté de plusieurs opérateurs privés, le développement de la propriété à durée déterminée ou avec dissociation entre foncier et bâti qui, tous, contribuent à mettre sur le marché des logements à des prix environ 25 à 30 % inférieurs à ceux du marché. Ces dispositifs permettent aux institutionnels ou aux organismes publics d’amortir sur le long terme la réduction de prix consentie par le bailleur. Ils constituent le pendant des mesures de péréquation qui ont longtemps pesé et pèsent toujours sur les seuls acquéreurs « en libre » mais atteignent leurs limites avec les prix atteints.

Les politiques Action Cœur de Ville et Petites Villes de Demain, en redonnant de l’attractivité aux villes moyennes et petites avec un volet logement, concourent également à cet objectif de produire ou de remettre sur le marché des logements abordables. En ce sens, elles contribuent à recréer du logement abordable avec une morphologie conforme aux attentes des ménages contemporains dans des villes moyennes auxquelles elles s’efforcent de redonner un peu de lustre. Il est, naturellement, encore trop tôt pour conclure sur la réussite ou l’échec de ces deux politiques. Néanmoins, ces dernières auront au moins contribué à relancer le logement abordable dans des communes qui avaient perdu de leur attractivité.

Relance du logement intermédiaire »

De même, la relance en 2014 du logement intermédiaire, le développement de l’offre d’Action Logement et de ses entités spécialisées, notamment In’Li, qui a doublé sa production de logements abordables, ou encore le lancement du logement abordable contractualisé par CDC Habitat sont autant de mesures ou d’initiatives qui contribuent à développer une offre de logements abordables, en locatif ou en accession différée, de la part des institutionnels.

Enfin, le dispositif Pinel, même si son champ est plus large que celui du logement abordable, a contribué au cours des dernières années au développement d’une offre à la location de logements à loyers inférieurs à ceux du marché. Il n’est pas sûr, avec la remontée des taux d’intérêt, que l’appétit des investisseurs institutionnels vienne durablement compenser sa disparition.

Gonflement du volume du parc de logements vacants

À l’inverse, le Gouvernement n’a eu de cesse, pour des raisons principalement budgétaires, à rogner voire supprimer les dispositifs permettant d’offrir des logements abordables, à l’accession ou à la location. Qu’il s’agisse de la suppression de l’APL Aides personnelles au logement correspondant à 3 types d’aides : l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement à caractère familial et l’allocation de logement à caractère social Accession, malgré la demande unanime des opérateurs, de l’exclusion de la maison individuelle du dispositif Pinel ou, très récemment, l’annonce de la disparition pure et simple du Pinel, toutes ces mesures pèsent sur la production de logements abordables. De même, l’annonce du recentrage du PTZ Prêt à taux zéro sur le collectif en zone tendue ou l’ancien avec travaux de rénovation en zones moins denses laisse augurer un nouveau rétrécissement de l’offre de logements abordables.

Les logements deviennent non louables »

De la même façon, on ne peut que s’inquiéter que l’objectif, en soi louable, d’améliorer la performance énergétique du parc existant aboutisse à retirer du marché un volume significatif de logements abordables aujourd’hui en location, que les logements deviennent non louables compte-tenu des exigences de performance et de l’obligation de retirer du marché les logements les moins performants, ou que les propriétaires bailleurs ne réalisent les travaux, compte-tenu de leur ampleur ou d’une insuffisante rentabilité nette, contribuant ainsi à gonfler le volume du parc de logements vacants.

Enfin, et même si le sujet sort du champ de la question, on ne peut que s’interroger sur le parc actuel de logements abordables détenus par des propriétaires occupants qui se retrouvent aujourd’hui confrontés à la rénovation de leur logement pour éviter qu’il se dégrade et se déprécie et qui ne disposent ni des compétences ni, surtout, des moyens financiers pour en améliorer la performance.

Risque de pénurie durable

Au total, si produire du logement abordable ne relève pas de la mission impossible, en dépit des multiples contraintes qui s’empilent depuis des années, et si, paradoxalement, les outils fiscaux et les opérateurs publics ont permis ces dernières années la création de logements abordables à un niveau inégalé jusqu’alors, force est de reconnaître que le contexte financier, les impératifs contradictoires et le désengagement progressif de l’État, au moins en termes financiers, ne facilitent pas la production d’une offre de logements abordables à la hauteur des besoins, en locatif ou à l’accession, en neuf ou dans l’existant.

Sauf mise en place d’une stratégie claire et pérenne accompagnée des moyens financiers adéquats, il y a fort à craindre que les 30 % de la population française qui aspirent à du logement abordable restent confrontés à une pénurie durable. Mission impossible non, gageure certainement.

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition a lieu le 25/08/2023 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de l’urgence à agir. Jean-Luc Berho est président de la Coopérative de l’immobilier, à Toulouse. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

Jean-Michel Mangeot


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École supérieure des professions immobilières (ESPI)
Directeur du conseil scientifique et de l’innovation
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Activité : établissement d’application spécialisé dans l’immobilier dont les titres sont reconnus par l’État
• Création :
1972
• Président du groupe :
Christian Louis-Victor
• Directeur général :
Bernard Pinat
• Directeur du conseil scientifique et de perfectionnement
 : Jean-Michel Mangeot
• Tél. :
01 45 67 20 82
Relations Presse  : Florencia Simpore-Konan
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Catégorie : Enseignement supérieur et formation


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