« Plein emploi, plein logement, l’un n’ira pas sans l’autre » (C. Sabbah et A. Pauchon, Idheal)
Faut-il travailler pour pouvoir se loger ? Ou être logé pour pouvoir travailler ? Alors que louer ou acheter un logement s’est transformé en chemin de croix pour de très nombreux ménages, voilà que les entreprises s’en mêlent… Est-ce pour aider ces familles ou eux-mêmes que les employeurs font entendre leur voix ? Le manque de logements abordables est, en tout cas, le coupable idéal pour justifier de leurs difficultés à recruter, écrivent Catherine Sabbah
Déléguée générale @ IDHEAL
, déléguée générale de l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal
• Association à but non lucratif• Création : 2019• Missions : réaliser des recherches axée sur le logement (et l’emploi), organisation des séminaires de formations (via les Ateliers d’Idheal…
) et Antoine Pauchon, chef de projet, docteur en urbanisme, dans une tribune adressée à News Tank le 25/07/2024.
Sans que l’on puisse vraiment quantifier ce phénomène, qui varie d’une région à une autre, les témoignages sont nombreux, d’entrepreneurs, grands et petits, en quête de solutions : sur les littoraux où une part du parc résidentiel est aspiré par les locations saisonnières comme dans les territoires de « ré-industrialisation », où la perspective d’emplois par dizaines de milliers n’inclut pas toujours des projets de logements qui devraient les accompagner.
Voici la tribune de Catherine Sabbah et d’Antoine Pauchon.
Plein emploi, plein logement, l’un n’ira pas sans l’autre
« Plein emploi, plein logement », c’est le slogan lancé par Idheal (Institut des Hautes Études pour l’Action dans le Logement). Contre l’indifférence manifestée par de nombreux responsables politiques aux profondes crises que traverse le logement, nous apportons cette réponse : s’il faut parler emploi pour être entendu, qu’à cela ne tienne, les deux sujets sont voisins et indéfectiblement liés. Le plein emploi ne sera à portée de main que, si et seulement si, tous les salariés sont logés.
Faut-il travailler pour pouvoir se loger ? Ou être logé pour pouvoir travailler ? Alors que louer ou acheter un logement s’est transformé en chemin de croix pour de très nombreux ménages, voilà que les entreprises s’en mêlent… Est-ce pour aider ces familles ou eux-mêmes que les employeurs font entendre leur voix ? Le manque de logements abordables est en tout cas le coupable idéal pour justifier de leurs difficultés à recruter.
Sans que l’on puisse vraiment quantifier ce phénomène, qui varie d’une région à une autre, les témoignages sont nombreux, d’entrepreneurs, grands et petits, en quête de solutions : sur les littoraux où une part du parc résidentiel est aspiré par les locations saisonnières comme dans les territoires de “ré-industrialisation”, où la perspective d’emplois par dizaines de milliers n’inclut pas toujours des projets de logements qui devraient les accompagner.
Emploi et logement, une histoire au long cours
L’histoire ne date pas d’hier entre ces deux piliers de la vie des ménages. L’une des fonctions historiques du logement social, au moins depuis la loi Siegfried de 1894, est bien, d’ailleurs, d’aider les salariés à se loger, indépendamment du métier qu’ils exercent ou de l’entreprise pour laquelle ils travaillent. Une forme d’émancipation du paternalisme industriel, une philanthropie bien ordonnée développée au 19e siècle, qui fournissait à certains ouvriers, employés, cadres et à leurs familles, en plus d’un emploi, un toit, l’école, les soins, l’encadrement spirituel et culturel dans des « cités ouvrières », mini villes parfois magnifiquement conçues.
Des lieux et des liens construits pour garantir la “loyauté” envers l’entreprise et assurer la fidélité : car risquer de perdre son emploi, c’était aussi faire une croix sur tout le reste et se retrouver à la rue. En 1953, la création du 1 % patronal (devenu 1 % logement puis Action Logement • Missions : faciliter l’accès au logement pour favoriser l’emploi • Création : 1953 (Participation des Employeurs à l’Effort de Construction dit 1 % logement) • Organisation : - Action Logement… en 2009) vient conforter la possibilité de séparer le contrat de travail de celui qui régit l’habitation en mutualisant la participation des entreprises à l’effort de construction (la Peec Participation des employeurs à l’effort de construction - Impôt versé par les employeurs sous forme d’investissements directs en faveur du logement des salariés. Appelé également le 1 % logement. ).
En reversant une part de leur masse salariale (1 % à l’origine, 0,45 % depuis 1992), toutes les entreprises (de +50 salariés aujourd’hui) aident à construire des logements pas tous destinés à loger leurs salariés. Alors que des initiatives ont récemment réémergé pour instaurer une clause de fonction (liant contrat de travail et bail dans le logement social, comme dans le rapport du député Amiel (RE) “Loger les travailleurs des services publics”), Jules-Mathieu Meunier, auteur d’une thèse sur l’histoire d’Action Logement, invite d’ailleurs à (re)penser ensemble emploi et logement au prisme des risques qui pourraient, à nouveau, fragiliser les parcours résidentiels et professionnels.
Le logement, frein ou accélérateur pour l’emploi
Pourquoi la question du logement des salariés refait-elle si fortement irruption dans le débat public ? Est-ce par bonté d’âme que les employeurs s’intéressent à nouveau, de si près à la vie de leurs salariés ? Un sondage auprès des adhérents de Paris Île-de-France Capitale Économique (PCE), l’agence chargée d’attirer les investisseurs vers la Région Capitale, indique que près des trois quarts des employeurs franciliens peinent à recruter et fidéliser des salariés.
Autre signe, entre 2019 et 2023, les hôpitaux de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris ont perdu 11 % de leurs effectifs d’infirmier·e·s et choisi de fermer près de 10 % des lits. À Dunkerque, une vingtaine d’entreprises venues du monde entier prévoient d’investir avec l’État et les collectivités locales, plus de 30 Md€ à un horizon de dix ans pour une énergie décarbonée qui devrait donner du travail à plus de 34 000 personnes. Dans ces trois cas, et pour des raisons diverses, le logement semble être à la fois le problème et le remède, pour recruter un personnel adapté, fidéliser ces salariés parfois peu payés et permettre à certains territoires de retrouver leur attractivité.
Des employeurs pragmatiques
Comme Gilles Crague, sociologue spécialiste du développement territorial, Chloë Voisin-Bormuth
Directrice des études et de la recherche @ La Fabrique de la Cité
, la directrice générale de PCE sont formels : c’est par pur pragmatisme que les employeurs se soucient du logement de leurs salariés. Dès lors que, des difficultés à trouver un logement adapté, la trop longue distance domicile-travail ou les mauvaises conditions d’habitat peuvent nuire à la productivité et au développement de l’entreprise, le logement devient un nouveau sujet d’intérêt pour les services des ressources humaines.
L’arsenal d’Action Logement est déjà ouvert à tous les salariés d’entreprises de +10 salariés : avance de caution, aides à la mobilité des apprentis, prêt bonifié pour l’accession à la propriété ou encore garantie Visale Contrat de cautionnement gratuit et dématérialisé d’Action Logement, qui garantit les loyers et les charges impayés des parcs locatifs privés pour accompagner les locataires vers l’emploi pour les jeunes. Mais d’autres employeurs vont plus loin et participent directement au financement du logement de leurs salariés. En sollicitant, par exemple, Sofiap, établissement financier filial de la SNCF et de La Poste qui bonifie les prêts octroyés aux salariés de ses entreprises clientes. En cas de licenciement ou de démission, l’avantage de taux prend fin.
Paris Capital Économique a recensé en 2023 une douzaine d’autres initiatives (rapport ) qui vont jusqu’à l’achat de résidences. L’association Parme, présidée par Romain Dubois
Directeur Général @ ICF Habitat • Président @ Parme • Conseiller spécial du directeur général @ SNCF Immobilier
, Dg d’ICF Habitat
• Le Groupe ICF Habitat, filiale logement de SNCF, a un patrimoine de près de 95 000 logements et équivalents (6440 nouveaux logements mis en service de 2015 à 2020), dont près de 85 % de logements…
, propose 6 500 hébergements temporaires à destination d’alternants, de cheminots pendant la semaine, ouverts aussi à des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles qui ne peuvent retourner chez elles. Dans les territoires dont la croissance industrielle a été relancée par des politiques publiques, les entreprises qui créent des milliers d’emplois se demandent où et comment seront logées leurs futures recrues.
Planification territoriale et collectivités locales au cœur de l’équation
À Dunkerque, accueillir 34 000 emplois d’ici à 12 ans est un épineux défi. La communauté urbaine s’est dotée d’un chef de projet chargé à la fois de l’habitat et des implantations industrielles, chef d’orchestre du logement de tous les salariés qui commencent à affluer dans la cité industrielle du Nord. Il faut d’abord loger ceux qui vont participer aux grands chantiers, avant d’accueillir ceux qui feront fonctionner les nouvelles infrastructures, des ouvriers d’abord, des cadres ensuite. Les premiers ne vont pas rester, les seconds arriveront en famille… La filière locale du bâtiment devra tripler sa production annuelle de 500 à 1 500, afin de produire les 12 000 logements supplémentaires nécessaires d’ici à 2034. Ces chiffres vertigineux à l’échelle de l’agglomération mettent la puissance publique sous tension comme garante de l’aménagement de son territoire : logements bien sûr, mais également écoles, médecins et autres services publics.
Il faut aussi construire les routes qui permettront aux marchandises et salariés d’accéder aux gigafactories en cours de construction, comme celle de Verkor, de batteries pour véhicules électriques. « On a passé une vingtaine d’années à considérer que le développement des villes et des territoires était une histoire de capital immatériel, de réseaux sociaux et de coopération. On assiste à l’irruption des questions infrastructurelles », analyse Gilles Crague : les logements et la route reviennent sur le devant de la scène. Xavier Desjardins, géographe et urbaniste, le dit autrement : « Nous sommes arrivés au bout de la capacité de déconnexion entre lieux de travail et domicile. Les gens payaient cette déconnexion en faisant le plein de leur voiture ».
Alors, une nouvelle forme de planification territoriale s’impose. Elle doit être écologique et signe d’une convergence sans doute inédite depuis près de 50 ans, entre les intérêts de secteurs économiques en plein boom, pourvoyeurs d’emplois et créateurs de richesses, et une puissance publique qui cherche à accompagner ce développement par la planification, la régulation et l’investissement. Sous l’impulsion des entreprises et des investisseurs, la production de logements pourrait trouver là un nouveau souffle et de nouveaux marchés, alors qu’elle nage en plein marasme.
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition est prévue le 30/08/2024 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème du logement. Jean-Luc Berho est président de Soliha Solidaires pour l’habitat, réseau PACT et réseau Habitat & Développement Pays Basque, président du conseil de surveillance de la Coopérative de l’immobilier à Toulouse, administrateur de l’association Aurore, administrateur d’Espacité et membre du Conseil national de l’habitat • Missions : instance de consultation placée auprès du ministre chargé de la construction et de l’habitation. Le CNH est consulté sur toutes mesures relatives au barème, au financement et au… . La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
Parcours
Déléguée générale
Commissaire de l’exposition Hotel Metropole depuis 1818
Journaliste
Établissement & diplôme
Sciences politiques
Journalisme
Territoires en Europe
Fiche n° 39697, créée le 08/06/2020 à 18:09 - MàJ le 02/09/2024 à 15:26
IDHEAL
• Association à but non lucratif
• Création : 2019
• Missions : réaliser des recherches axée sur le logement (et l’emploi), organisation des séminaires de formations (via les Ateliers d’Idheal, référencés Datadock)
• Membres adhérents : Action Logement, CDC Habitat, Gecina, Nexity, Groupama Immobilier, SNCF, Cheuvreux, ICF Habitat, SAMBTP, Quartus, Poste Immo…
• Déléguée générale : Catherine Sabbah
• Tél. : 01 87 02 59 75
• Contact
Catégorie : Association, Fondation
Adresse du siège
21 quai d’Austerliz75013 Paris France
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Fiche n° 9612, créée le 06/02/2020 à 01:59 - MàJ le 04/12/2024 à 16:05
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