Logement : une crise sans précédent en raison d’un « logiciel politique » défaillant (Didier Vanoni)
Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron en 2017, la France a connu une succession de ministres du Logement, huit à ce jour, avec des périodes où cette fonction est même restée vacante, témoignant d’un désintérêt ou d’un manque de continuité dans la gouvernance de ce secteur clé. Pourtant, la période a été marquée par une dégradation alarmante des conditions du logement pour une majorité de Français, en particulier pour les populations les plus vulnérables, écrit Didier Vanoni
Directeur, économiste et sociologue @ FORS Recherche sociale
, directeur de FORS-Recherche sociale, dans une tribune adressée à News Tank Cities le 02/06/2025.
La construction de logements ne suit pas la demande croissante, la précarité énergétique s’aggrave, les expulsions massives se multiplient, et le nombre de sans-abri continue d’augmenter. La situation atteint des niveaux préoccupants, avec certains indicateurs de fragilité multipliés par deux (les demandeurs de logements sociaux), voire par trois (les sans-abri) en moins de 15 ans avec une accélération ces dernières années.
En définitive, depuis huit ans tout se passe comme si les Gouvernements successifs s’étaient trompés de politique, prenant des décisions à courte vue ayant pour effet de prendre systématiquement à contrepied les objectifs à poursuivre.
Voici la tribune de Didier Vanoni, en vue des Entretiens d’Inxauseta qui auront lieu le 29/08/2025 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques).
Discours politique devenu confus et déconnecté
Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron en 2017, la France a connu une succession de ministres du Logement, huit à ce jour, avec des périodes où cette fonction est même restée vacante, témoignant d’un désintérêt ou d’un manque de continuité dans la gouvernance de ce secteur clé. Pourtant, cette période a été marquée par une dégradation alarmante des conditions du logement pour une majorité de Français, en particulier pour les populations les plus vulnérables. La construction de logements ne suit pas la demande croissante, la précarité énergétique s’aggrave, les expulsions massives se multiplient, et le nombre de sans-abri continue d’augmenter. La situation atteint des niveaux préoccupants, avec certains indicateurs de fragilité multipliés par deux (les demandeurs de logements sociaux), voire par trois (les sans-abri) en moins de 15 ans avec une accélération ces dernières années.
Ce constat n’est pas seulement une problématique technique ou économique : il révèle aussi une crise sociale profonde, exacerbée par un discours politique devenu souvent confus et déconnecté des réalités du terrain. La crise du logement touche en premier lieu ceux qui ont le moins de moyens, et tout dérapage du secteur se traduit par une aggravation des inégalités sociales. Pourtant, face à cette urgence, la politique du logement en France apparaît atone, fragmentée, et souvent orientée par des logiques d’économies à court terme plutôt que par une vision stratégique à long terme.
Insuffisance chronique d’une offre abordable
Un bilan sans appel qui prend sa source dans l’insuffisance chronique d’une offre abordable. Avec un appareil de production qui, depuis une quinzaine d’années, a permis de produire environ 250 000 à 300 000 logements par an, la France n’arrive pas à répondre efficacement aux besoins de ses habitants, notamment dans les zones tendues comme l’Île-de-France et la plupart des métropoles, où la demande dépasse largement l’offre. La réalité est que l’offre immobilière reste déconnectée des enjeux sociaux : la majorité des logements qui se construisent ne sont pas accessibles à certaines catégories moyennes et a fortiori aux ménages modestes ou en situation de précarité, avec des loyers moyens, en 2024, qui s’établissent à des niveaux toujours plus élevés :
- à Paris avec 31 €/m², à Nice avec 20€/m², à Lyon avec 17 €/m², à Bordeaux avec 16 €/m² mais aussi 15 €/m² à Rennes, Toulouse et Bayonne.
Dans ces contextes, lorsque le secteur privé devient inabordable, la demande se reporte massivement sur le secteur social, qui se trouve saturé, avec des taux de rotation très faibles, notamment en Île-de-France où il est inférieur à 5 % (en 2024) mais aussi de façon assez générale dans toutes les grandes agglomérations. La conséquence est que ceux qui ont le plus besoin - les ménages très modestes, les jeunes, les sans-abri - peinent à accéder à un logement social adapté, ce qui contribue à la montée du mal-logement, de l’exclusion et de la précarité énergétique.
Ceux qui n’accèdent pas au secteur social, doivent se contenter lorsqu’ils le peuvent, d’un logement du parc privé, peu adapté ou qui leur fait subir des charges financières excessives, accentuant dans les deux cas, leur précarité. Les autres adopteront des solutions de fortune, seront sans abri ou recourront à l’hébergement chez des tiers…
Sans vision stratégique
Une politique du logement sous contraintes budgétaires et sans vision stratégique. Depuis 2017, la politique des gouvernements s’est principalement orientée vers la réduction des dépenses publiques. La baisse des aides personnelles au logement (APL), la diminution des financements pour la construction ou la rénovation, et la ponction sur Action Logement, ont considérablement affaibli la capacité du secteur à répondre aux besoins. La réduction des aides, qui avaient permis de soutenir la construction et la rénovation, a freiné la relance du secteur et limité la capacité à lutter contre la précarité énergétique.
Par ailleurs, les Gouvernements successifs ont échoué à maîtriser les prix dans les zones tendues. Malgré la mise en place d’encadrements des loyers, leur application reste insuffisante, avec de nombreuses annonces illégales et peu de volonté politique pour généraliser ces mesures. La réforme foncière, qui pourrait permettre de maîtriser la spéculation et d’accélérer la construction, n’a pas été engagée sérieusement. La relance de la construction neuve s’est limitée à des mesures ponctuelles, sans vision d’ensemble pour rééquilibrer le marché, réduire la demande spéculative et favoriser la mixité sociale.
Toujours plus de mal-logés
Une crise plus profonde : la stagnation du logement social et la montée des inégalités avec toujours plus de mal-logés. Le secteur du logement social, qui aurait dû être un rempart contre la crise, est lui aussi en crise. Depuis 2017, les coupes budgétaires et la baisse de la production ont provoqué un recul historique : en 2024, seulement 85 000 agréments ont été délivrés, contre plus de 124 000 en 2016. La réduction des moyens publics a freiné la construction et la rénovation, renforçant la logique de marché et aggravant les inégalités sociales.
Ce recul, conjugué à la montée des expulsions et à la difficulté à reloger les occupants expulsés, contribue à une fragmentation accrue du parc logement et à une polarisation sociale dans les quartiers prioritaires. En 2024, 24 000 ménages ont été expulsés de leur logement et 2 à 3 fois plus sont partis avant l’expulsion. Ces chiffres sont les plus élevés jamais atteints et ont plus que doublé depuis 10 ans.
La politique de relogement d’urgence peine à suivre le rythme des besoins, laissant des milliers de ménages habiter dans des conditions précaires, voire rester sans solution. Paradoxalement, les efforts consentis ces dernières années en matière d’urgence sociale, notamment par une augmentation des crédits et la mise en œuvre du plan Logement d’abord se traduisent par une situation qui n’a jamais été aussi critique : 350 000 personnes sont toujours sans domicile, et chaque année, 80 000 nouveaux sans-abris entrent dans cette situation. La raison de cet échec, en forme de tonneau des Danaïdes, vient de ce que la politique d’urgence, axée sur la mise à l’abri immédiate, ne s’accompagne pas suffisamment d’un dispositif de relogement durable ou de prévention efficace. Une façon de ne pas démentir la formule selon laquelle : le « Logement d’abord », c’est d’abord du logement.
Pour une réforme en profondeur du secteur
Pour faire suite à une période dépourvue de vision stratégique, plus qu’une réforme, tout un secteur à refonder. Les acteurs de terrain, qui agissent quotidiennement aux côtés de ceux qui sont dépourvus d’un logement personnel digne et adapté à leurs besoins, appellent de leur vœux une réforme en profondeur du secteur, en mobilisant des ressources publiques renforcées, en régulant plus strictement le marché foncier, en favorisant la mixité sociale, et en intégrant résolument la transition écologique dans toutes les politiques du logement. La France doit faire de l’accès au logement une priorité nationale, pour garantir à tous un droit fondamental, et bâtir un avenir plus juste, plus durable et plus solidaire.
Et quant à rester sur le terrain purement économique et budgétaire, il deviendrait urgent de reconsidérer la politique du logement comme une politique d‘investissement et non comme une charge pour la nation ou pire même comme un secteur pourvoyeur d’économies ou de ressources pour d’autres politiques. Rappelons que par la taxation et les effets multiplicateurs en matière d’économie résidentielle qu’elle génère, l’économie du logement et de l’habitat est productrice nette de richesses pour un territoire et qu’elle permet par ailleurs, des économies substantielles en matière de dépenses sociales, de par le mécanisme des coûts évités : un logement (même solvabilisé par les APL Aides personnelles au logement correspondant à 3 types d’aides : l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement à caractère familial et l’allocation de logement à caractère social ) coûtera toujours moins cher à la collectivité que les politiques sociales de compensation et de régulation du mal-logement, sans parler des coûts en matière de santé, d’éducation, de formation.
En définitive, depuis huit ans tout se passe comme si les Gouvernements successifs s’étaient trompés de politique, prenant des décisions à courte vue ayant pour effet de prendre systématiquement à contrepied les objectifs à poursuivre : chercher à économiser sur les APL Aides personnelles au logement correspondant à 3 types d’aides : l’aide personnalisée au logement, l’allocation de logement à caractère familial et l’allocation de logement à caractère social c’est affaiblir le secteur social et de fait affaiblir l’action publique en faveur de plus défavorisés ; redonner la main au marché aboutit à l’inverse à bloquer la mobilité résidentielle et à ralentir la production de logements ; afficher le Logement d’Abord comme un axe d’intervention majeur et financer un volume de places d’hébergement d’urgence jamais atteint…
Le marché au détriment de l’intérêt général »En somme, le bilan des huit années de macronisme en matière de logement est celui d’un secteur en crise, fragilisé par un désengagement politique, des politiques d’économies successives et une absence de vision stratégique cohérente. Pourtant, il est de notoriété publique que la crise du logement ne peut se résorber par des mesures ponctuelles ou des dispositifs de court terme ; elle nécessiterait une vision à long terme reposant sur une refondation profonde de ses mécanismes, mobilisant des moyens financiers renforcés, une régulation foncière ambitieuse, une politique de logement social renouvelée et une transition écologique intégrée.
Le diagnostic est sans appel : la France doit sortir de l’ornière où l’a conduite une politique à courte vue, centrée sur la maîtrise des coûts et la réduction des dépenses. La crise du logement n’est pas une fatalité, mais le résultat de choix politiques et économiques qui privilégient le marché au détriment de l’intérêt général. Pour retrouver une dynamique positive, il faut une volonté politique forte, sans compromis sur la qualité de vie, la justice sociale et la durabilité des options prises. D’aucuns, comme Louis Besson [1], prétendent que la solution à la crise actuelle passe par « un retour en politique de la question du logement ». Les deux années à venir étant des années électorales : il y aurait un enjeu à faire du logement un thème de campagne électorale et surtout un marqueur politique clairement affiché.
[1] Cf. entretien de Louis Besson réalisé en février 2024 par Thibault Tellier et Didier Vanoni pour un ouvrage à paraître en octobre 2025 aux éditions de l’Aube, intitulé « De la loi Besson au Logement d’abord : histoire et perspectives d’une politique en faveur du logement des personnes défavorisées »
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition est prévue le 29/08/2025 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème du logement en Europe. Jean-Luc Berho est président de Soliha Solidaires pour l’habitat, réseau PACT et réseau Habitat & Développement Pays basque, président du conseil de surveillance de la Coopérative de l’immobilier à Toulouse, administrateur de l’association Aurore, administrateur d’Espacité et membre du Conseil national de l’habitat. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.