Préparer le IIe siècle de la politique du logement avec la République des HLM (François Rochon)

News Tank Cities - Paris - Tribune n°415615 - Publié le
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Le résultat du Ier siècle du logement social est clair. Mais l’avenir de son IIe siècle n’a rien d’évident et les qualités professionnelles immédiates de ses dirigeants ne sont pas les plus à même pour le définir. Un enjeu de compétences collectives est posé, ce qui rend la période passionnante. Si le secteur du logement social a fait la preuve de sa solidité, comment peut-il redéfinir son rôle dans la société qui vient et pour laquelle il n’a pas été conçu ? La perspective avait été seulement évoquée dans le rapport au Congrès HLM de Paris en 2019, écrit François Rochon Consultant politique du logement @ Atelier Saint-Aubert
, dans une tribune adressée à News Tank, le 16/10/2025.

L’exercice à mener n’a rien d’un positionnement marketing, d’une action de communication visant à justifier l’existant ou les capacités internes d’innovations. Il consiste à écrire ce qui compte et que l’on ne peut pas compter, conter une histoire d’avenir qui parle de l’habitat, de la France, de la force d’une tradition, dans une architecture de transformation pour poser l’équation nouvelle.

En l’absence d’impulsion politique et de ressources d’analyses externes, il revient au Mouvement HLM de se saisir lui-même de sa destinée, contre son habitude respectueuse d’attendre l’initiative de l’État.

Voici la tribune de François Rochon.


IIe siècle de la politique du logement avec la République des HLM

Depuis quelques années, les débats sur l’évolution du logement social convergent : le secteur change de nature sous l’effet d’un siècle de développement. Sa financiarisation apparaît même inexorable, du fait de la constance de la politique du logement en France, une originalité dans le monde. Le soutien à la construction de logements sociaux permet d’atteindre aujourd’hui les 5 millions d’unités, un volume qui s’approche de celui du parc locatif privé. Une grande partie de ce parc est remboursé, appelant de nouveaux arbitrages entre rénovation et construction, en fonction des dynamiques territoriales. La précarité installée depuis une trentaine d’années dans la société française a en outre spécialisé petit à petit sa population.

De la gestion à la projection »

Aussi les organismes de logement social sont-ils devenus, de fait, largement des gestionnaires, puisque le stock pèse plus que le développement du parc. Ils ont d’ailleurs considérablement évolué dans leur direction. La génération des militants politiques qui avait davantage impulsé le projet d’un habitat généraliste dans un contexte fortement subventionné a laissé place à une nouvelle génération de techniciens, plus en pointe sur la maitrise des montages financiers. Aujourd’hui, les organismes sont mêmes entrés dans des processus de regroupements qui les placent en véritables gestionnaires d’actifs, au sein de l’économie sociale.

Mais parallèlement à cette évolution des métiers de la stratégie patrimoniale, tournée vers les organismes eux-mêmes, ceux-ci demeurent les instruments d’une politique publique, évoluant dans un cadre normé et dans une forme d’hybridation avec le marché de l’immobilier. La tradition de l’habitat social généraliste à la française, au service de la moyennisation de la société, accueillant les ménages aux revenus modestes, tout en accompagnant leurs projets d’accession sociale à la propriété, continue de traverser les représentations et demeure l’objectif cardinal. Mais ce modèle social, souvent associé à l’idée de pacte républicain, se heurte à la transformation structurelle qui marque le demi-siècle écoulé.

Logement social pris en étau

Les parcours résidentiels sont entravés et génèrent un mal-logement installé. La dynamique des prix a transformé complètement la place du logement dans la vie des familles, devenu le premier poste de dépense. Le parc locatif auparavant actif de sécurité des investisseurs institutionnel est devenu la pierre angulaire du patrimoine des ménages aisés. En outre, l’achat d’une résidence principale est passé d’un financement sur 15 ans à un autre à 25 ans, obérant les capacités de rénovation.

Entre les deux, le logement social se trouve pris en étau : révélateur d’un parc locatif insuffisant et trop cher et d’une accession de moins en moins accessible, il se place comme le révélateur du grippage du système, avec ses 2,5 millions de demandeurs.

En conséquence, le secteur du logement social qui a progressé dans ses performances de gestion, se trouve dans l’embarras en ce qui concerne sa projection. Autrement dit, s’il a en quelque sorte résolu la question de sa pérennité par la professionnalisation de sa gestion, en tant qu’acteur économique, il se trouve désormais confronté à devoir faire de même pour le renouvellement de sa mission sociale, la projection de son rôle politique. Le secteur a réussi sa gestion, se pose sur la table sa projection. Pour le formuler de façon imagée, ces derniers temps, les dirigeants du logement social ont appris à compter, il s’agit maintenant d’apprendre aussi à raconter, positivement, l’avenir de la politique du logement entendue globalement.

Compter et raconter, pour décider

Le résultat du Ie siècle du logement social est clair. Mais l’avenir de son IIe siècle n’a rien d’évident et les qualités professionnelles immédiates de ses dirigeants ne sont pas les plus à même pour le définir. Un enjeu de compétences collective est posé, ce qui rend la période passionnante. Si le secteur du logement social a fait la preuve de sa solidité, comment peut-il redéfinir son rôle dans la société qui vient et pour laquelle il n’a pas été conçu ? La perspective avait été seulement évoquée dans le rapport au Congrès HLM de Paris en 2019. L’exercice à mener n’a rien d’un positionnement marketing, d’une action de communication visant à justifier l’existant ou les capacités internes d’innovations. Il consiste à écrire ce qui compte et que l’on ne peut pas compter, conter une histoire d’avenir qui parle de l’habitat, de la France, de la force d’une tradition, dans une architecture de transformation pour poser l’équation nouvelle.

Voilà un demi-siècle en 1975, l’Union HLM avait organisé la concertation de son livre blanc, qui fit débat et marqua un repère, après la fin de la période des grands ensembles. Mais cette initiative venait en contre-mesure de la future réforme Barre sur le financement de la politique du logement en général. Aujourd’hui, le contexte politique est inversé : la politique du logement ne se situe pas en phase explicite de refonte, mais en adaptation continue sous la pression de l’endettement public, et en concurrence avec d’autres priorités d’actions. De plus, le poids marginal des partis politiques dans le débat public et l’influence limitée des laboratoires d’idées ne permettent pas de positionner la question du logement et, a fortiori, celle du logement social au cœur des enjeux. Le sujet reste cantonné aux cercles professionnels.

Se saisir lui-même de sa destinée

C’est pourquoi, en l’absence d’impulsion politique et de ressources d’analyses externes, il revient au Mouvement HLM de se saisir lui-même de sa destinée, contre son habitude respectueuse d’attendre l’initiative de l’État. Cela implique pour lui de se doter d’une capacité interne d’expertise originale, différente mais complémentaire de ses précédents efforts en matière de gestion. Dans une époque déjà reculée, des revues de fond venaient alimenter le débat, croiser les points de vue, capitalisant les idées dans des textes et des équipes de journalistes et d’intellectuels, comme la revue H. Alors que les cabinets de conseils sont des recours ordinaires aujourd’hui, à visée applicative, il existait auparavant d’autres formes de logiques contributives, comme en témoigne le sigle de l’ancêtre d’HTC (Habitat et Territoire Conseil), le CREPHA (Centre de recherche et d’étude pour l’habitat). La fusion récemment annoncée avec la Scet • Société de conseil et d’appui aux territoires, spécialiste de l’économie mixte et du développement territorial, filiale de la Caisse des dépôts • Missions : accompagne les initiatives locales… , filiale de la Caisse des dépôts Groupe public, investisseur de long terme au service de l’intérêt général et du développement économique de la France. • Filiales : La Poste, Icade, Egis, Transdev, RTE, SFIL, GRTGaz, Compagnie des… , contribuera-t-elle à développer ce type d’activité ?

Ce double travail de réflexion et d’animation est de nature différente de l’innovation sur les territoires, de la formation sur les métiers du logement social, ou encore des campagnes d’image. Elle relève de la conception stratégique qui redevient un enjeu principal, après une période utile et certainement nécessaire centrée sur le professionnalisme du secteur. Plusieurs chantiers de moyen terme pourraient ainsi s’ouvrir. L’un serait consacré au diagnostic, mais décentré de la position classique d’opérateur dont on a vu les limites lors des dernières grandes concertations de type CNR Conseil national de la refondation - grande consultation publique dans le cadre du CNR lancé par le chef de l’État le 08/09/2022 , pour se concentrer sur les données structurelles du problème du logement, en fonction du logement social mais dans son interaction avec les autres segments du parc. Cette étape est nécessaire pour renouveler la conception des services offerts à la population, afin de résoudre effectivement la crise du logement endémique, en s’attaquant aux processus qui la génère.

Faire converger la reconfiguration en groupes »

Un autre chantier pourrait être mené sur les formes organisationnelles du secteur, degré d’évolution après la tradition des « familles ». Il s’agirait d’expliciter l’objectif commun qui pourrait faire converger la reconfiguration en groupes, dans l’articulation entre dimension territoriale et dimension capitalistique, spécialisation en gestion ou en développement, pour obtenir la meilleure efficience d’une politique d’ensemble et de long terme. Cela permettrait de positionner pleinement le secteur par rapport au marché immobilier, dans son environnement financier et dans la complémentarité de ses métiers.

En effet, la rénovation énergétique, comme la construction aux exigences d’aujourd’hui, dans un aménagement du territoire qui se cherche, vont nécessiter d’importants volumes d’investissements que le modèle économique historique ne peut pas fournir, d’autant plus avec un surendettement public durable, qui pratique un forçage de l’efficacité interne avec la RLS Réduction de loyer de solidarité , montrant désormais ses limites à terme.

Les limites du financement du logement social

C’est le 3e chantier. Par-delà les critiques récurrentes sur le dispositif RLS Réduction de loyer de solidarité lui-même, la période récente de sa mise en vigueur a la vertu de montrer clairement les capacités et surtout les limites du financement du logement social. Le paradoxe de placer le secteur à la fois comme secteur aidé et comme contributeur à la réduction des aides sociales cherchait à obtenir l’auto-portage optimisé d’une politique publique sur ses objectifs initiaux, c’est-à-dire produire dans le temps des logements aux loyers en dessous des prix de marché.

Aucune voie alternative de politique du logement »

Force est de constater, au terme d’une petite décennie d’application, que l’optimisation, si elle perdure, va trop loin, selon les prospectives. Force est de constater que durant cette période, aucune voie alternative de politique du logement ne s’est montrée en mesure d’apporter de solution systémique de substitution. Au contraire, une crise immobilière historique est même survenue. Une voie de sortie par le haut du dispositif est donc à concevoir, qui doivent tenir compte du très haut niveau d’endettement public, en passant par exemple par une forme plus conventionnelle de fiscalité comme l’impôt sur les sociétés, moyennant une meilleure mobilisation des fonds européens pour en amortir les effets, pour ne citer qu’un exemple des formules possibles à négocier.

Souhaitons que le mouvement HLM puisse se saisir de ces grands enjeux avec succès, fort de la capacité d’autonomie acquise d’un secteur porté par un siècle d’histoire et soutenu par un parc présent à travers le pays. Heureusement, investir dans une expertise nouvelle coûte comparativement beaucoup moins cher que d’investir dans la pierre. Cette simple observation peut rationnellement rendre optimiste.

La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho (berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La dernière édition le 29/08/2025 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) a été dédiée au logement en Europe. Jean-Luc Berho est président de Soliha Pays basque, président du conseil de surveillance de la Coopérative de l’immobilier à Toulouse, administrateur de l’association Aurore, administrateur d’Espacité et membre du Conseil national de l’habitat. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.

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