
Union européenne : produire du logement anti-spéculatif devient vital (Isabelle Rey-Lefebvre)
La spéculation touche l’Europe entière et rend le logement inaccessible à une part grandissante des populations, notamment à tous ceux qui font fonctionner la ville. Les prix ne sont fonction que de ce que les plus riches sont prêts à payer pour placer leurs économies, dans une accumulation de patrimoine immobilier de plus en plus concentrée entre une très petite minorité de multi-propriétaires qui en extrait la valeur en dépit des besoins et des moyens des populations, écrit Isabelle Rey-Lefebvre
journaliste spécialisée urbanisme et logement @ Indépendante
, journaliste spécialiste du logement, dans une tribune adressée à News Tank Cities, le 10/07/2025.
Le démantèlement des politiques sociales du logement, entamé en Angleterre en 1979 par Margaret Thatcher, subi ensuite à Berlin, Amsterdam et récemment en France, a ouvert la porte en grand à cette spéculation. Produire du logement anti-spéculatif devient vital et même l’Union Européenne qui, jusqu’en 2015, encourageait la libéralisation et la financiarisation du marché immobilier, a changé de point de vue et de politique pour soutenir, enfin, les actions pour développer ce qu’elle appelle le « logement abordable ».
Voici la tribune d’Isabelle Rey-Lefebvre qui intervient aux Entretiens d’Inxauseta le 29/08/2025 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème de la « Crise du logement abordable, une urgence européenne ».
Disparition des quartiers de riches et des quartiers de pauvres
Si le logement servait à se loger, pas à spéculer et capitaliser ? Selon une juste et sensée politique du logement, il devrait accueillir les habitants permanents des villes à un coût abordable n’absorbant pas plus de 25 % de leur revenu, dans un habitat de qualité avec des espaces de convivialité, dont le statut favorise la prise en responsabilité de sa gestion par les usagers, dans la recherche d’une mixité sociale dans chaque immeuble. La disparition des quartiers de riches et des quartiers de pauvres est la garantie de la cohésion sociale et d’un fonctionnement harmonieux des villes. Ce n’est pas une utopie puisque cela fonctionne dans plusieurs villes européennes que j’ai visitées et dont j’ai rencontré les acteurs.
La spéculation touche l’Europe entière et rend le logement inaccessible à une part grandissante des populations, notamment à tous ceux qui font fonctionner la ville. Les prix ne sont fonction que de ce que les plus riches sont prêts à payer pour placer leurs économies, dans une accumulation de patrimoine immobilier de plus en plus concentrée entre une très petite minorité de multi-propriétaires qui en extrait la valeur en dépit des besoins et des moyens des populations.
Le démantèlement des politiques sociales du logement, entamé en Angleterre, en 1979, par Margaret Thatcher, subi ensuite à Berlin (Allemagne), Amsterdam (Pays-Bas) et, récemment en France, a ouvert la porte en grand à cette spéculation.
- Au Royaume-Uni, le parc de logements sociaux a fondu de 31 % à 17 % entre 1979 et 2023 et les bailleurs sociaux se retrouvent parfois contraints de racheter cinq fois plus cher ce qu’ils avaient vendu à l’époque…
- Aux Pays-Bas, sous l’injonction, en 2006, de Nelly Kroes, commissaire européenne à la concurrence qui n’était pourtant pas censée s’occuper de logement mais appartenait au parti libéral hollandais, la part de logements sociaux est passée de 38 %, en 2010, à 34 %, en 2018 et leur production a chuté de 42 000 à 14 000 logements par an.
- À Berlin, ville de locataires alors très endettée, la vente, à partir de 2001, de dizaines de milliers de logements municipaux à de grandes foncières nationales et internationales, a provoqué une crise du logement qui est encore loin d’être résolue, aujourd’hui, et provoque la colère et la mobilisation des habitants.
Modèles hybrides entre propriété et location
Produire du logement anti-spéculatif devient vital et même l’Union Européenne qui, jusqu’en 2015, encourageait la libéralisation et la financiarisation du marché immobilier, a changé de point de vue et de politique pour soutenir enfin les actions pour développer ce qu’elle appelle le « logement abordable ».
Le logement social, dont on peut être fier qu’il représente 17 % des logements en France, est anti-spéculatif. Mais d’autres modèles existent, souvent hybrides entre propriété et location tout en offrant aux habitants une stabilité, une sécurité plus assurées que l’un et l’autre, à un prix abordable et avec une gestion à but non lucratif. Il s’agit des modèles du Community Land Trust américain, adapté en France sous la forme des Organismes Fonciers Solidaires et de leur Bail Réel Solidaire, et des coopératives d’habitants, sorte de propriété collective dont les habitants sont à la fois coopérateurs et locataires.
Les OFS Organisme de foncier solidaire - Créé par la loi ALUR, agréé par le préfet de région et dédié au portage foncier pour réaliser des logements en accession ou location à usage de résidence principale /BRS Bail réel solidaire - dispositif créé par la loi ALUR : le ménage est propriétaire de sa maison mais locataire du terrain. Contient des clauses de prix de revente et des plafonds de ressources des… connaissent un essor spectaculaire en France depuis la loi Alur Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24/03/2014 de 2014 qui les a créés, et les premiers projets, à Lille et Espelette (Pyrénées-Atlantiques), en 2017. Aujourd’hui, près de 4 000 logements en OFS/BRS sont livrés et habités et plus de 20 000 en projet à l’initiative de près de 150 OFS/BRS. Les élus y trouvent un moyen d’aider l’accession sociale à la propriété en sanctuarisant les terrains, en ne vendant que les murs et en contrôlant les prix de sortie pour que leur effort initial serve aux générations successives d’occupants. Ainsi, là où la propriété ordinaire laisse espérer une plus-value à la revente, la propriété en OFS/BRS, avec des appartements vendus 30 % à 50 % moins chers que le prix de marché, offre cette plus-value dès le premier mois.
Des exemples inspirants en Suisse et en Autriche
Les exemples les plus inspirants de coopératives d’habitants nous viennent de Suisse, à Genève (5 % du parc et bientôt 10 %) et à Zurich (25 % du parc locatif), où elles créent, au cœur des villes, des immeubles où nous aimerions tous habiter, conçus pour le bien vivre ensemble.
À l’échelle d’une ville, la politique du logement menée avec constance, depuis 100 ans, par la ville de Vienne (Autriche), lui a permis de se doter d’un parc étoffé de 42 % des logements qui accueille 60 % de la population, riches et pauvres dans les mêmes immeubles, en gestion directe par la ville (logements municipaux) ou par l’intermédiaire de coopératives dont elle est partenaire et parfois actionnaire ou d’autres organismes à but non lucratif. Les loyers n’y dépassent pas 10 € le m2 mensuel ! Résultat : les Viennois aiment leur logement municipal et coopératif et patientent dans des listes d’attente pour intégrer des grands ensembles, centenaires ou des années 1970, de 3 000 à 5 000 logements où il fait bon vivre. La ville n’a jamais, depuis 1920, démoli ni vendu un logement !
En France, après l’interdiction des coopératives, pourtant nombreuses et actives, par le ministre de la construction de Pompidou, Albin Chalandon, en 1971, l’esprit coopératif a été étouffé pendant plus de 40 ans jusqu’à la loi Alur Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové du 24/03/2014 de 2014 qui permet à nouveau d’en créer. Leur développement est compliqué par l’absence d’écosystème financier (notamment l’existence de prêts à très long terme pour faciliter l’investissement mais aussi de sociétés foncières publiques qui proposent des terrains et de sociétés faîtières qui amorcent les financements et garantissent les prêts) et d’une ‘culture coopérative’ en voie de renaissance.
Rubrique dirigée par Jean-Luc Berho
La rubrique est dirigée par Jean-Luc Berho
Président @ Les Entretiens d’Inxauseta (rendez-vous annuel sur le logement) • Président @ Soliha Pays Basque • Directeur Analyses Débats et Tribunes Cities @ News Tank (NTN) • Président @ Supastera…
(berhoji@laposte.net), créateur des Entretiens d’Inxauseta, événement annuel dédié aux politiques du logement et de l’habitat. La prochaine édition est prévue le 29/08/2025 à Bunus (Pyrénées-Atlantiques) sur le thème du logement en Europe. Jean-Luc Berho est président de Soliha Pays basque, président du conseil de surveillance de la Coopérative de l’immobilier à Toulouse, administrateur de l’association Aurore, administrateur d’Espacité et membre du Conseil national de l’habitat. La rubrique a vocation à mettre en exergue des avis experts sur l’accès au logement, le parcours résidentiel, la politique de la ville, l’urbanisme et l’aménagement des territoires, en France et à l’international.
Isabelle Rey-Lefebvre
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Fiche n° 54513, créée le 10/07/2025 à 12:06 - MàJ le 10/07/2025 à 12:15
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